Écriture : l’art de l’entêtement

Entretien avec Gilles Pétel

Écrivain et professeur de philosophie 

Gilles Pétel est né à Dunkerque, dans les Flandres. Après des études de philosophie à l’université de Nice, Il est parti enseigner à l’étranger où il a passé de nombreuses années. Il a travaillé à Istanbul, à Genève, à Hambourg, à Londres enfin.Il avait 27 ou 28 ans lorsqu'il a achevé son premier roman. Ensuite il n’a plus cessé d’écrire, des romans essentiellement, publiés chez Fayard et chez Stock, quelques nouvelles également, du théâtre aussi avec Le Monologue de la femme ivre de bonheur créé par Valère Foy en décembre 2009 à la résidence d’artiste « Lilas en scène ». Son dernier roman Exhibitions, paru en septembre 2015, est disponible en version numérique sur la plateforme d’Iggybook.Il réside aujourd’hui à Paris.

Êtes-vous une personne disciplinée ?

Gilles Pétel : Tout dépend des circonstances : quand je décide d’écrire, je suis capable de m’imposer une discipline de moine. Dans la vie courante en revanche, je me montre plus bohème et suis prêt à saisir la bonne occasion, quitte à chambouler mon emploi du temps.

Quand écrivez-vous ? Et où ?

De préférence le matin, mais je cherche les idées le soir, voire la nuit. Le travail de préparation d’un roman relève d’une toute autre dynamique que le travail d’écriture. Le premier est plus libre, plus imprévisible tandis que le second, même s’il laisse une grande part à l’inventivité, est beaucoup plus contraint.

Où puisez-vous l’inspiration ?

Il est difficile de répondre simplement à cette question tant les sources d’inspiration sont variées : il peut s’agir d’une observation, d’une lecture, de ma propre vie bien sûr. Mais il y aussi de nombreuses sources inconscientes. Je ne crois pas qu’un écrivain puisse entièrement maîtriser le processus de création. Pascal écrivait : « Hasard donne les pensées, hasard les ôte. Point d’art pour conserver ». Nous ne savons au fond presque jamais pourquoi telle idée ou telle image s’imposent à nous. L’essentiel est de pas les laisser filer lorsqu’elles arrivent. Il faut écrire. C’est l’art de conserver…

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Dans votre roman, de quoi s’agit-il ?

Sous la Manche est un roman sur le thème de l’identité, bien qu’il se présente, au moins à première lecture, comme un roman policier. Mais l’énigme n’est pas là où on pourrait d’abord le croire.

Est-il un peu noir ?

C’est en partie ce qu’on appelle un roman noir au sens où on parle de film noir pour évoquer un certain cinéma américain. La question de l’identité n’affecte pas seulement les personnages du roman mais aussi la ville où se déroule une bonne partie de l’action. Comme chez Balzac, la ville, Londres en l’occurrence, est un personnage à part entière. Or, au moment où se déroulent les faits que raconte Sous la Manche, Londres est traversé par une grave crise financière. La ville brillante se métamorphose, les magasins ferment, la pauvreté devient visible. Enfin Sous la Manche est un roman noir parce qu’il n’offre aucune forme de rédemption. La fin, volontairement comique et légère, révèle l’absence de signification de l’existence du Lieutenant Desfeuilllères. « Tout passe », comme lui dit Kate, sa nouvelle collègue de travail.

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Si vous aviez un conseil à donner à un novice dans l’art de l’écriture, quel serait-il?

Faire preuve d’entêtement !

Lorsque vous écrivez, vous arrive-t-il de tomber dans une impasse?

Oui, cela m’est arrivé à deux reprises. J’ai lâché ces deux projets alors que j’y avais consacré plusieurs mois.

Vous avez vécu à Londres. Est-ce que cette ville vous manque ?

Parfois, oui, bien sûr, ai-je envie d’ajouter. Londres est une ville réellement étonnante. J’y ai passé six années fantastiques. C’est aussi une ville où les rencontres se font, mais se défont aussi, plus facilement qu’ailleurs. Je crois que les gens qui y vivent, qu’ils soient ou non Anglais, sont plus curieux que dans les autres grandes métropoles.

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Qu’avez-vous trouvé difficile à votre retour à Paris ?

Mon retour à Paris s’est très bien passé, sans doute parce que j’y avais conservé de nombreux amis. C’est ensuite que certaines pesanteurs propres à la France me sont apparues. Puis les Parisiens n’ont pas cette détente incroyable qu’on trouve chez les Anglais. Cela vient sans doute de l’insularité de ces derniers.

Trouvez-vous que le pessimisme et le scepticisme ambiants en France pèsent sur le pays ?

À l’évidence, oui. La mauvaise situation économique du pays pèse sur ce qu’on appelle « le moral des Français ». Mais comment pourrait-il en aller autrement ?

Se sent-on plus libre en Angleterre ?

Londres, et non l’Angleterre, donne une grande impression de liberté, tant du point de vue du travail que du point de vue des mœurs. Les Londoniens ne vous regardent pas ou ne vous observent pas comme peuvent le faire les Français. C’est le résultat sans doute d’une culture réellement libérale. Mais cette culture, qui est aussi une politique, offre également de nombreux inconvénients. Tout va bien à Londres tant que vous pouvez payer. Il ne faut pas se bercer d’illusions.

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Vous êtes professeur de philosophie. Est-ce que vos élèves s’intéressent à cette matière ? Ne les trouvez-vous pas trop jeunes, manquant d’expérience, pour en comprendre la profondeur ?

Contre une idée communément répandue, les élèves que j’ai depuis mon retour en France sont la plupart du temps intéressés par la philosophie. Ils sont curieux, ils se posent de nombreuses questions sur la liberté, le rôle de l’Etat, la conscience ou la religion encore. Ils manquent bien sûr de maturité mais l’un des buts de la philosophie est justement de les conduire à réfléchir par eux-mêmes et à acquérir cette maturité.

Est-ce qu’une bonne compréhension de la philo pourrait nous amener à un monde meilleur ?

Très sincèrement je ne le crois pas ! Ce ne sont pas les idées qui gouvernent le monde. Je suis sur ce sujet de l’avis de Hegel qui compare la philosophie à une chouette : un oiseau qui ne prend son envol que la nuit. Le temps de la réflexion n’est pas celui de l’action. Peut-être peut-on espérer que ceux qui philosophent sont un peu moins intolérants que le commun des mortels.

Dieu est-il mort ?

Je ne le sais pas ! Il est sûr en revanche qu’il ne donne guère de ses nouvelles…

Quel est le livre qui vous a le plus marqué ? Pourquoi ?

Il y a tant de livres qui m’ont marqué qu’il m’est difficile de répondre. Un peu au hasard, je répondrai Mort à crédit de Céline, son plus beau roman.

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Travaillez-vous sur un nouveau roman ?

Oui, mais je ne peux rien en dire. Un livre est une chose extrêmement fragile. Tant qu’il n’est pas achevé, je n’ai jamais aucune certitude à son propos. Je suis presque superstitieux à ce sujet : il me semble que si j’en parlais, je risquerais de le perdre.

Avez-vous un rêve ? Quel est-il ?

Proust disait que la vérité n’est pas dans un seul rêve, mais dans plusieurs. Et je conclurai sur cette très belle pensée.

Publié le mardi 20 octobre 2015, à Paris. Suivez Gilles sur Facebook

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