Lettre à ses deux autres enfants

Auteure: Laurence Nadeau

Ce matin Maman ne se lèvera pas, elle est trop crevée. Elle est sortie du lit à 2h30 du matin pour faire vos sandwichs, et peut-être que c'est la dernière fois qu'elle va les faire vos sandwichs, vous les ferez vous-mêmes la prochaine fois. Maman est trop occupée et fatiguée avec votre petit frère et elle aura besoin de dormir demain matin. Cela fait plusieurs nuits qu'il dort mal, qu'il s'endort à des heures pas possibles, et cette nuit, c'est le carnaval dans sa chambre.

Lorsqu'on ouvre la porte, il est nu comme un ver, lance des petits cris et y'a des petits bouts de caca un peu partout dans sa chambre. Il a de la difficulté avec ses selles et là cette semaine, ça le rend fou cette affaire de devoir faire un no 2.

Pendant que votre petit frère ne dort pas, Maman se dit qu'elle a la mi-quarantaine et que votre petit frère si bruyant cette nuit, n'a que 7 ans. Normalement à cet âge-là, vous étiez tranquilles depuis bien longtemps. Au pire, la nuit, un cauchemar ou un verre d'eau nous faisait sortir du lit quelques minutes. Mais avec votre petit frère, c'est plus compliqué. C'est plus du 7 jours-24 heures avec le répit que nous donne l'école.

Oui, je dis bien le répit. On l'aime votre petit frère, vous n'en doutez pas, et je pense que vous l'aimez aussi, tout autant que nous. Notre cœur est plus grand grâce à lui et certainement le vôtre aussi. Mais lorsqu'il est à l'école, on se sent, votre père et moi, en répit. Wow, on peut juste se concentrer sur travailler, et faire rentrer de l'argent. On vit bien, mais avec votre petit frère les questions d'argent et d'avenir, c'est angoissant.

Avant lui, juste avec vous, nous avons été une famille normale avec ses hauts et ses bas pendant 10 ans. Lorsqu'il est né, l'autisme est rapidement entré dans nos vies à tous. Il a fallu que vous compreniez. Oh que vous êtes aimants, gentils et patients avec votre petit frère. Et c'est pour la même raison que nous, pendant la journée, on se repose, on travaille et on fait avancer les choses.

Souvent, travailler la journée, c'est beaucoup plus reposant que de s'occuper de votre petit frère. Mais il progresse votre petit frère. Il a 7 ans, il ne parle pas encore, mais on n'est pas découragés qu'il va le faire un jour, ou qu'on va trouver un moyen de mieux communiquer avec lui. En ce moment, il voit deux orthophonistes différents par semaine, et l'ergo à l'école. Il fait son petit bout de chemin, votre petit frère. Mais les nuits où il ne dort pas, votre mère se demande comment ça sera dans 10-15 ans.

Oh je sais qu'il faut rester positif et ne pas trop y penser, mais partout ça rattrape, surtout les nuits d'insomnie. Et Maman se met à penser aux gouvernements, comme celui du Québec, où finalement il reste pu d'argent pour des projets de société qui aideraient des personnes comme votre petit frère. Ça sort un peu votre mère de ses gonds ces histoires-là.

Maman est super en forme, elle pourrait courir presque un marathon demain matin, même si elle ne le fera pas, parce que son marathon, c'est tous les jours. Mais elle sait qu'elle n'est pas éternelle, que sa santé n'est pas infaillible, que dans 15-20 ans, ça va pas s'améliorer, même si elle met toutes les chances de son côté.

Elle espère que votre petit frère va, lui, s'améliorer vite vite, bien bien progresser, afin que Maman et Papa ne soient pas désemparés rendus à un certain âge. Ben oui, parce que votre petit frère qui est autiste est en grande forme. Il n'a aucun handicap moteur ou presque, il pète le feu cet enfant. Il grimpe partout, mange comme deux, il est heureux et c'est un ange tellement attendrissant à ces moments.

L'autisme, c'est pas une maladie, on n'en meurt pas. Être autiste ne coupe pas l'espérance de vie comme d'autres handicaps; le seul problème c'est qu'il faut tout le temps le surveiller parce qu'il pourrait faire des choses pas bonnes pour lui, et pour sa santé. Mais à part ça, il pourrait faire un centenaire comme votre arrière-grand-père.

Je vous ai dit que tout ira bien, que lorsque vous serez grands, vous n'aurez pas besoin de vivre avec lui pour vous occuper de lui comme nous le faisons. Ça, c'est s'il va bien, ça c'est pour le scénario où il avance vite vite vite et qu'il a juste besoin de supervision d'une façon superficielle.

Mais j'ai pas parlé de l'autre scénario, où là il se réveille encore la nuit avec du caca autour de lui. Là à 35-40 ans, ça risque d'être plus difficile de trouver des gens pour s'en occuper. Il va falloir les payer cher et il sera moins mignon pour que ça ne soit pas si grave.

Vous avez compris les enfants, dans ce cas-là, il faudrait des maisons pour les adultes autistes. Il paraît qu'en Finlande, selon mon amie Reetta qui a aussi un enfant autiste, c'est déjà la norme et c'est payer par le gouvernement. Mais pour l'instant, le gouvernement au Québec et au Canada a d'autres chats à fouetter. Votre petit frère n'est pas seul et on ne trouve pas la cause de l'autisme malheureusement, et c'est pour ça que Véronique Cloutier a raison d'ouvrir des maisons pour les grands enfants autistes.

Faut être prévoyant!

Votre maman qui vous aime,

FΩRMIdea, le 4 mai 2016

Lettre publiée aussi dans le Huffington Post Québec, le 30 avril 2016. 

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