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Des médecins libanais veulent démystifier de façon scientifique les nombreux préjugés qui persistent auprès de la population du Levant.

Liban: la révolution tranquille de la santé sexuelle

Auteur : Pierre Scordia

Pendant que nous sommes bombardés d’images violentes, de nouvelles désespérantes et pessimistes en provenance du monde arabe, dans le pays des cèdres, des scientifiques altruistes contribuent par leurs actions à promouvoir une société tolérante et plurielle. Malheureusement, leur engagement est souvent passé sous silence par nos médias.

 

LebMASH (Lebanese Medical Association for Sexual Health), une association libanaise reconnue officiellement en 2014, fondée par des médecins libanais qui vivent au Liban, aux États-Unis et au Canada, financée majoritairement par des fonds libanais dans ces trois pays, a une double mission : informer la population sur la santé sexuelle, former et soutenir le personnel médical, avec une attention particulière portée aux LGBT.

Les dirigeants de cette association caritative sont pour la plupart des médecins, psychiatres, psychologues libanais exerçant au Liban ou en Amérique du Nord ; ils veulent démystifier de façon scientifique les nombreux préjugés qui persistent auprès de la population du Levant ; il reste encore beaucoup à faire notamment auprès des docteurs et des infirmiers : certains gynécologues s’étonnent de l’absence du mari lorsqu’une femme vient les consulter. Si elle est célibataire, elle aura cette réponse : «Si vous n’êtes pas mariée, pourquoi en avez-vous besoin?» Il est clair qu’au XXIe siècle, de telles réactions paternalistes doivent cesser.

Omar Fattal, président de l’association, me dit qu’il est urgent de mener une campagne auprès de la population libanaise pour lui faire comprendre que l’homosexualité n’est pas une maladie, mais tout simplement une condition naturelle chez certaines personnes. Les campagnes de LebMASH sont utiles car elles évitent aux jeunes gays de subir rejet, thérapie de «conversion» (avec antidépresseurs, rencontres «amoureuses» forcées avec des femmes, viagra) ou haine de soi. Or, la honte et la haine de soi peuvent mener aux pires scénarios tels que la consommation excessive d’alcool, la prise de drogues dures et le suicide.

 

LebMASH reçoit régulièrement des appels à l’aide de jeunes hommes en détresse ou de professionnels de la santé désemparés pour qu’on leur réfère un bon thérapeute… Par exemple, il y a ce médecin spécialisé en entérologie qui est intervenu dans le nord du pays auprès d’un jeune homme de 16 ans qui a tenté de mettre fin à ses jours à cause de la pression des examens à l’école, selon l’avis des parents. Une fois seul avec le patient, le gastro-entérologue s’approche de lui pour en discuter. La première réaction du mineur est de lui serrer la main et de l’étreindre. Par la suite, il lui avoue que la raison pour laquelle il a attenté à sa vie est son homosexualité et que sa famille très religieuse le tuerait si elle apprenait la vérité. Le médecin tente de lui expliquer pendant plus d’une heure qu’il ne s’agit ni d’un péché, ni d’une maladie que d’être gay, mais d’un état naturel, d’une identité. Le jeune homme sera envoyé par la suite dans un autre service spécialisé pour les troubles de comportements, auquel l’entérologue n’aura pas accès. Inquiet de la fragilité psychologique de l’adolescent, le médecin rapporte le cas à LebMASH.

Au Liban, contrairement à ce que l’on pourrait croire en Occident, ce n’est pas une question de confession. Non. Que l’on soit musulman, druze ou chrétien, plus l’environnement dans lequel on vit sera religieux, plus on sera enclin à préserver mythes et tabous et on s’enfermera dans la discrétion absolue : «Don’t ask, don’t tell».

Dirigée par d’éminents professionnels de la santé, LebMASH parvient à briser les tabous grâce à l’apport de ses réponses scientifiques.[1] Il est clair que le défi est de taille car il existe la loi 534 qui condamne « tout rapport contraire aux lois de la nature ». Mais n’étant pas plus explicite, la loi permet de la contourner, ainsi en 2009, un juge a acquitté deux homosexuels en déclarant «L’homosexualité est une exception aux règles, mais elle n’est pas contraire à la nature puisqu’elle fait partie de la nature (…) Elle  n’est donc techniquement pas illégale.»Un autre facteur important dans la démystification des préjugés, selon le Dr Omar Fattal avec qui je me suis entretenu à New York, est le rôle des médias libanais, qui contribuent depuis quelques années à donner une image plus acceptable, plus digne, plus réelle des homosexuels, en s’abstenant de tomber dans le piège de la caricature.

Il en est de même en Tunisie, par exemple, où Al Huffington Post dénonce l’homophobie, le sexisme, les stéréotypes et s’insurge contre les lois discriminatoires. Au Liban, comme au Maghreb, un amalgame entre orientation sexuelle et genre entraîne certains à considérer l’homosexualité comme une déviance, un mal curable, ce qui est démenti par les scientifiques.

Grâce à une bourse de l’ambassade suisse à Beyrouth, LebMASH a obtenu les fonds pour réaliser une campagne nationale avec une vidéo qui montre l’homosexualité comme un phénomène normal, naturel, et qui convainc que le meilleur remède est l’acceptation. Grâce aux nombreux dons nord-américains, ils collaborent désormais avec plusieurs universités libanaises pour former les jeunes médecins à la santé sexuelle. Leur intervention est plutôt bien perçue par de nombreuses institutions, notamment par les associations professionnelles psychiatriques et d’accompagnement psychologique.

Le docteur Fattal ne croit pas que la religion soit vraiment le problème puisqu’au Liban, dans sa pratique, elle reste flexible. Dans leur grande majorité, les Libanais suivent uniquement les préceptes religieux qui les arrangent. À titre d’exemple, ils boivent de l’alcool et fument énormément. LebMASH encouragerait plutôt les gens à fumer moins et à avoir un suivi au niveau de la santé sexuelle pour le bien-être de la population en général. Le défi est de taille. Comme Omar Fattal le rappelle, la phrase «ne prends pas une douche, car tu vas t’enrhumer» ferait rire aujourd’hui ; pourtant cette croyance a perduré pendant de nombreux siècles.

Beyrouth n’est toujours pas Ibiza, mais cette ville reste néanmoins le lieu le plus libéral dans le monde arabe. Ce n’est pas un hasard si de nombreux sujets des monarchies du Golfe passent de fréquents week-ends dans cette cité méditerranéenne aux airs gais. Avec la Tunisie, le Liban est l’un des rares pays arabes ou tolérance et démocratie progressent. Ils tiennent bon malgré l’instabilité politique et la présence d’un million de réfugiés syriens.

Au pays des cèdres, certaines femmes peuvent espérer ne plus devoir reconstituer leur hymen avant leurs noces comme le montre la réalisatrice Nadine Labaki avec tant d’humour et de sensibilité dans le film Caramel ; bientôt les homosexuels n’auront plus à vivre dans la honte et dans le rejet : désormais la police beyroutine se refuse à mener dans les beaux quartiers des descentes dans les lieux gays comme c’était le cas aussi à Montréal et dans le reste du Canada jusqu’au début des années 90 ; la justice libanaise interdit aussi l’humiliation des tests anaux. Ces décisions représentent un changement de comportement important, une avancée considérable. LebMASH n’invoquera jamais la philosophie ou la sociologie, par contre, elle fera valoir les preuves scientifiques irréfutables.

[1] Quatre organisations aident la cause des gays, bisexuels et aussi des hétérosexuels au Liban, Helem qui n’est toujours pas reconnue par le gouvernement libanais parce qu’elle se concentre exclusivement sur la population gaye ; MARSA qui offrent des services comme le dépistage du VIH et le soutien psychologique ; Mosaic travaille, quant à elle, avec les communautés LGBT et d’autres groupes marginalisés. Il y a aussi Legal Agenda qui est composée d’avocats et qui apporte un soutien juridique.

FΩRMIdea Paris, le 8 août 2016 – Article publié dans le Huffington Post | Read in English

 

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