Non, l’État espagnol n’est pas l’ennemi de la Catalogne et la Catalogne n’est pas le Québec.

Auteurs: Claudio Sales Palmero & Pierre Scordia

Nombreux sont les Québécois qui éprouvent une certaine sympathie envers les indépendantistes catalans pensant que ces derniers seraient victimes d’un État oppresseur qui nierait l’identité, la culture et la langue catalanes. Pourtant, les Catalans ont ratifié avec enthousiasme, à plus de 90% par référendum (avec un taux de participation de 67%), la nouvelle constitution espagnole de 1978 qui accorde à chaque communauté l’autonomie et l’égalité au sein de l’État espagnol. Elle permet aux communautés de gérer l’éducation, la culture, la santé, l’environnement et l’économie. Chaque entité qui compose l’Espagne démocratique a son propre gouvernement issu d’une assemblée législative communautaire. De plus, la Catalogne et le Pays basque gèrent eux-mêmes une police régionale. Contrairement au Pays basque et à la Navarre, les dirigeants catalans ont refusé en 1977 « el concierto económico », c’est-à-dire le droit de prélever directement les impôts. Ainsi opposer la Catalogne à l'Espagne est une aberration ; comme si la Catalogne était une entité singulière attachée à l'État espagnol, masse homogène !

L'Espagne est composée de nombreuses identités historiques et culturelles, la Catalogne en est une parmi d’autres : la basque, la galicienne, la castillane-léonaise, la valencienne, l'andalouse, l'asturienne… Si nous énumérons les entités historiques, nous avons les royaumes de Castille, de Léon, des Asturies, de Galice, de Valence, de Majorque, de Jaén, de Tolède, de Séville, de Badajoz ... d’innombrables petits royaumes médiévaux qui pourraient être revendiqués en tant qu'unités politiques.

A l’histoire s’ajoutent des langues qui se chevauchent : on parle le galicien-portugais en Galice, au Portugal et dans les régions limitrophes de Castille-et-Léon et des Asturies ; le basque, quant à lui, est utilisé dans le Pays Basque et dans le nord de la Navarre ; on s’exprime en catalan dans la Communauté Valencienne, dans les Îles Baléares, en Catalogne et dans les zones limitrophes d'Aragon. Certains territoires revendiquent la reconnaissance de leurs dialectes.

Lorsque les indépendantistes opposent la Catalogne au reste de l'Espagne, ils nient la singularité du reste des identités culturelles, historiques et linguistiques de l'État espagnol. Ils mettent toutes les autres communautés dans le même sac. Il est curieux qu'ils exigent tant de respect pour leur unicité alors qu’ils en ont si peu pour celle des autres.

Quant à l’absurde revendication ethnique, non seulement elle comporte le danger du nettoyage ethnique ou des préjugés suprématistes, elle repose sur l’imaginaire. Après 500 ans d’appartenance à l’État espagnol et des millénaires de présence dans la péninsule ibérique, les Catalans sont inévitablement très mélangés. N'oublions pas que la Catalogne apparaît comme une série de comtés de la marque hispanique dépendant du royaume de France comme tampon entre ce dernier et le califat de Cordoue. De ces principautés pyrénéennes, qui avaient déjà une base hispano-romaine-wisigothique commune, apparaissent les royaumes de Navarre, d'Aragon et les comtés catalans qui s'étendent au sud et s'entrelacent avec les principautés qui s'étaient formées dans la corniche cantabrique, qui elles aussi ont fait un lent progrès vers le sud avec un métissage conséquent.

L'industrialisation catalane tout au long du 20ème siècle a également attiré d'innombrables travailleurs du reste de l'Espagne. Heureusement, le nationalisme catalan a pris soin de ne pas suivre cette ligne d'identité ethnique, malgré quelques tentatives, comme la note suivante d'Oriol Junqueras, président du gouvernement catalan, actuellement en détention préventive, note parue dans le journal AVUI du 27 août, 2008 : «Les Catalans ont plus de proximité génétique avec les Français qu'avec les Espagnols; plus avec les Italiens qu'avec les Portugais; et un peu avec les Suisses, alors que les Espagnols ont plus de proximité avec les Portugais qu'avec les Catalans et très peu avec les Français ». On s’imagine mal une telle déclaration dans un Québec inclusif et solidaire.

La prétention des nationalistes catalans à établir un dialogue bilatéral avec le gouvernement espagnol, en tant que deux entités équivalentes, n'est rien d'autre qu’une violation de la constitution espagnole et une volonté d'être reconnus comme plus distincts que le reste des identités qui composent l'État espagnol, ce qui est injuste et infondé.

Lorsque les indépendantistes ou les nationalistes catalans désignent l'État espagnol comme l'ennemi, ils semblent oublier que l'État espagnol est le pays auquel nous appartenons tous, y compris les séparatistes catalans, État vers lequel convergent toutes les singularités du territoire espagnol, État dans lequel il s'agit tout simplement de s'entendre sur la place de chacun dans la maison commune. Voilà la raison pour laquelle le reste de l'Espagne est surpris que les indépendantistes disent qu'ils ne sont pas contre les Espagnols mais contre l'État espagnol, comme s’il s’agissait d’une autorité imposée à tous et non du fruit d’un long travail consensuel obtenu par nous tous. Ils semblent également oublier que nous tous pouvons faire progresser la marche de l’État.

Les nationalistes se considèrent dépositaires de la volonté des Catalans alors que leur plus grand succès électoral n’ a recueilli que 48% des suffrages; mais en raison de la loi électorale actuelle qui favorise les zones moins peuplées, ce déficit proportionnel se traduit par 52% des sièges au parlement catalan. C’est à la fois une cause de surprise et d’indignation dans la majorité silencieuse catalane et dans le reste de l’Espagne.

Non, l’État espagnol n’est pas l’ennemi de la Catalogne et la Catalogne n’est pas le Québec.

FΩRMIdea Montréal, le 1 février 2018. Publié dans le HuffPost Québec

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