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The Crown : une série détonante

Auteurs : Beverly Andrews & Pierre Scordia

La chute des monarchies

Le XXe siècle n’a pas été tendre avec les familles royales ; la Première Guerre mondiale a eu l’effet d’un catalyseur, entraînant dans sa folie destructrice de nombreuses maisons royales dont la prussienne, la bavaroise, la saxonne, la grande dynastie de Habsbourg d’Autriche-Hongrie, le sultanat ottoman. La monarchie grecque fut une des premières à être abolie, puis rétablie pour être au final bannie dans la deuxième partie du XXe siècle. La liste est longue mais le siècle fut surtout marqué par le renversement du régime tzariste et le massacre de la famille impériale russe afin de prévenir tout retour en arrière. Les principes de Machiavel furent appliqués par les révolutionnaires bolchéviques.

Quant à la Seconde Guerre mondiale, elle entraîna la chute des monarchies roumaine, italienne et serbe et elle porta un coup dur au système impérial japonais avec le tour de force américain qui fractura le lien entre l’État et le shintoïsme. Désormais, l’Empereur n’était plus un Dieu vivant. Il dut se contenter d’un rôle cérémonial à l’instar des Windsor. Le fait que la monarchie britannique soit constitutionnelle et limitée à un rôle symbolique l’a certainement préservée. Non seulement elle a survécu mais elle a réussi à redorer son blason auprès de la population, phénomène unique et exceptionnel. Dès lors, il n’est pas étonnant que la série « The Crown » produite par Netflix ait entraîné un tel engouement mondial. Ce feuilleton reste toutefois une fiction proche de la réalité et la saison 4 couvre les premières années les plus difficiles pour la Reine Elizabeth 1ere.

L’impact de l’Histoire sur la famille royale britannique

Peter Morgan, le créateur de cette série, s’est d’abord concentré sur les événements historiques qui ont marqué la famille royale comme l’accident minier d’Aberfan, au Pays de Galles (saison 3). À cause de pluies torrentielles et d’une grande négligence des autorités compétentes, un pan de terril s’est éboulé le 21 octobre 1966 sur l’école de la ville minière, emportant ainsi toute la population infantile de la communauté (116 enfants au total). Cet épisode est choquant sinon surprenant parce qu’il témoigne de l’effort d’empathie de la souveraine consciente de son manque de compassion : une image de la Reine qui tranche nettement avec la représentation positive dont on avait l’habitude dans les deux premières saisons.

Le premier épisode de la saison 4 commence par une autre négligence, cette fois imputée aux forces de sécurité irlandaise, inattention qui permit l’assassinat spectaculaire de Lord Mountbatten par l’IRA, attentat qui marqua grandement les membres de la famille royale, en particulier l’héritier de la Couronne, le Prince Charles.

Un autre aspect intéressant de la série est le récit de la relation qu’entretenait la reine avec ses premiers ministres. Morgan imagine les conversations pendant les rencontres hebdomadaires à partir de témoignages contemporains. La première rencontre avec Winston Churchill fut quelque peu glaciale mais avec le temps, les deux dirigeants sont arrivés à parvenir à une entente et à un respect mutuel (saison 1). Contrairement à toute attente, le premier ministre travailliste, Harold Wilson, a noué avec la Reine une relation de confiance, de respect, voire d’amitié (saison 3).

L’arrivée des années 80

Dans la quatrième saison, deux événements vont changer la perception de la monarchie : l’arrivée au pouvoir de la première femme Premier Ministre, la charismatique Margaret Thatcher et l’entrée d’une très jeune fille dans la famille royale : Lady Di (Diana Spencer), fiancée au Prince Charles. L’angle initial de la série portant sur les événements extérieurs change et se concentre dorénavant sur les affaires familiales. Les années 80 nuisent gravement à l’institution monarchique et certains diraient même qu’elles menacent sa continuité. C’est justement la venue de ces deux femmes qui laisseront des empreintes dont une sera une plaie vive.

Il est intéressant de noter le portrait qu’on dépeint de ces deux femmes :

  • Diana, fille d’un pair du royaume, enchante immédiatement la famille royale. Elle semble correspondre aux critères pour devenir l’épouse parfaite de l’héritier de la Couronne, même si on sait que Charles n’a pas tout à fait coupé les ponts avec son ancienne maîtresse, Camilla. Il semble néanmoins que le Prince de Galles soit prêt à mettre un terme à cette relation pour se consacrer à son mariage.
  • Margaret Thatcher n’aurait pas été accueillie chaleureusement par les Windsor. Les rapports entre la cheffe du gouvernement et la cheffe d’état (la Reine) semblent très tendus. Il faut dire que Thatcher a des sentiments ambigus envers la famille royale. Bien qu’elle ait une déférence très marquée en présence des membres de la monarchie, elle éprouve une certaine aversion pour toute cette caste d’aristocrates privilégiés qui s’opposent à la modernisation du pays, aux réformes drastiques de l’état-providence.

 

Dans la série, on voit qu’au départ la Reine essaie de créer des liens entre femmes d’État, mais c’était mal connaître son Premier Ministre peu soucieuse des enjeux féminins. D’ailleurs, son cabinet était presque exclusivement masculin.

Commonwealth et Apartheid

La lutte féroce que Margaret Thatcher a menée contre les mineurs – lutte qui a marqué profondément l’ADN de la société britannique - n’est pas du tout mentionnée dans cette série, ni même la guerre civile en Irlande du Nord (avec plus de 3.000 assassinats). Par contre, le différend entre la souveraine et le chef du gouvernement au sujet de l’Afrique de Sud a fait l’objet d’un épisode entier. A l’époque, les tabloïds anglais ont accusé la Reine de sortir de sa neutralité politique en tentant d’adoucir l’intransigeance de Margaret Thatcher, qui refusait de condamner la ségrégation raciale en Afrique du Sud, ce qui risquait d’isoler la Grande-Bretagne du reste du Commonwealth. Certes, l’objectif d’Elizabeth II reste encore flou de nos jours : voulait-elle sauver le Commonwealth auquel elle était attachée ou soutenait-elle vraiment les sanctions économiques contre Pretoria? Nul n’en est certain. Toujours est-il que la souveraine, quelques années plus tard, a réservé à Nelson Mandela, nouveau président sud-africain, un accueil très chaleureux lors de sa visite officielle au Royaume-Uni après que les sanctions économiques ont fait tomber le régime ségrégationniste. Une reine s’opposant à l’apartheid ne peut être qu’une bonne reine.

Famille désunie

Certains médias anglais reprochent à la série Netflix d’insister sur les situations conflictuelles qui opposent les membres de la famille royale. Elizabeth serait devenue l’antithèse de Margaret Thatcher, femme politique mettant la famille au premier plan, même à la veille d’une guerre contre l’Argentine. La dévotion de Thatcher pour son fils Mark, perdu dans le désert pendant le rallye Paris-Dakar en 1982, est totale. Pendant une des audiences hebdomadaires avec la Reine, le Premier Ministre déclare sans ambages que son fils Mark est son préféré[1].  Cette déclaration pour le moins surprenante oblige la reine à s’interroger sur sa relation avec ses propres enfants, les rencontres avec chacun d’entre eux restent convenus bien que son enfant préféré, selon la série, le chouchou ait été le Prince Andrew, jeune homme gâté, arrogant et bon vivant. L’affaire scandaleuse Jeffrey Epstein qui est toujours en cours aux États-Unis pourrait laisser penser que le choix de la Reine n’a pas été judicieux.

Les personnalités de Thatcher et de Diana

Thatcher

Gillian Anderson joue admirablement bien le rôle de Margaret Thatcher, une femme intraitable croyant au pouvoir rédempteur des marchés. Selon elle, seul le capitalisme brutal est capable de sortir son pays du marasme économique. Il est indéniable que le Royaume-Uni devient nettement plus riche grâce aux réformes entreprises mais celles-ci ont un coût humain énorme. Durant ses trois mandats, Thatcher a fait preuve d’un manque total d’empathie, sa politique économique a détruit des pans entiers de l’industrie britannique entraînant la suppression de dizaines de milliers d’emplois.

Un prêté pour un rendu, lorsque Maggie devient de plus en plus impopulaire et surtout quand elle commence à utiliser une logorrhée europhobe menaçant par conséquent les intérêts de la City, ses alliés politiques au sein de son propre cabinet ourdissent un complot et la force impitoyablement à démissionner. Maggie se retrouve complètement déstabilisée et perdue. Beaucoup de ses proches disent qu’elle ne s’en remettra jamais complètement.

Gillian Anderson dans le rôle de Margaret Thatcher

Diana

Emma Corrin rentre remarquablement dans la peau de la charmante Diana, une femme qui sans doute portait déjà des blessures profondes, notamment causées par le divorce précoce de ses parents ; des plaies qui se sont rouvertes par son entrée dans la famille royale. Corrin incarne la princesse d’une manière que personne d’autre n’a réussi auparavant. Quant à Josh O’connor, il dépeint un prince Charles sensible et perdu, écorné par le manque d’attention et d’affection de ses parents. On ressent une certaine compassion pour ce jeune homme jusqu’à ce qu’il se marie et devienne un époux ambigu, exécrable, incapable de renoncer à Camilla et surtout jaloux du succès croissant de sa femme auprès des foules et des médias.

Emma Corrin dans le rôle de la princesse Diana

Crise maritale

Les scènes des premiers jours de fiançailles où l’on voit Diana faire du patin à roulettes dans les couloirs et pièces du Palais de Buckingham tout en écoutant de la musique Pop avec son walkman détonnent avec les représentations d’un Charles plutôt intellectuel ayant la trentaine, féru de musique classique. Ce contraste ne présage rien de bon. L’échec du mariage n’est finalement pas une surprise ; ce qui l’est, ce sont les conséquences désastreuses pour la monarchie : la démystification de la famille royale britannique qui a réussi jusqu’à là à se dissimuler dans une sorte de mystère.

Trois décades plus tard, nous vivons toujours avec les conséquences de cette démystification, notamment avec le Prince Andrew. Les médias britanniques n’hésitent plus à reporter les demandes de plus en plus pressantes des autorités américaines désireuses d’interroger le prince Andrew sur ses liens avec Epstein accusé de pédophilie et de violences sexuelles. On a l’impression que la famille royale n’est plus hors d’atteinte comme autre fois. On retrouve le même phénomène avec la famille royale espagnole, beaucoup moins populaire et plus fragile notamment à cause de scandales financiers de Juan Carlos et de l’Infante Cristina.

Nombreux sont les royalistes en Angleterre qui accusent ce type d’émissions comme The Crown d’altérer l’image de la monarchie, mais dans le fond, nous pensons que le contenu des dialogues entre les acteurs correspondent à la réalité. Certes, des détails sont purement fictifs mais l’essentiel reste véridique.

On peut comprendre aujourd’hui l’attachement des peuples britanniques à Elizabeth II mais cette estime établie, voire inconditionnelle, sera-t-elle présente avec les nouvelles générations ? En regardant cette série, on pourrait comprendre les raisons qui ont poussé le prince Harry et sa femme Meghan Markel à prendre leurs distances avec ce milieu particulier en déménageant au Canada puis en Californie. On a appris récemment qu’en pleine nuit le jeune couple a fait emballer puis expédier le mobilier de leur manoir de Frogmore aux États-Unis et a fait remettre les clefs à leur cousine Béatrice, fille du prince Andrew. La rupture avec cette famille bien étouffante semble définitive.

[1] Elle semble totalement indifférente aux susceptibilités de sa fille Carole.

FORM-Idea london, le 26 décembre 2020.

Twitter: @pierre_scordia | @BeverlyAAdrews

Bande annonce de la saison 4

Bande annonce de la saison 3 en VO

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