Auteur : Rinaldo Tomaselli

Temps de lecture : 7 minutes

May Török von Szendrő

Née comtesse May Török von Szendrő ou Marianne Torok de Szendro, le 15 juin 1877 à Philadelphie, Pennsylvanie, États-Unis d’Amérique, décédée le 5 août 1968 à Graz, République d’Autriche.

 

Lorsque la comtesse Sofie Vetter von der Lilie met au monde la petite Marianne à Philadelphie le 15 juin 1877, elle est déjà séparée du père, le comte Josef Török de Szendrő.

Quelques mois plus tôt, elle avait laissé son mari et leur petit garçon de quatre ans, pour suivre son amant Tivadar Puskás de Ditró. Celui-ci était un aristocrate hongrois, inventeur et précurseur dans les liaisons téléphoniques. Quand Graham Bell inventa le téléphone, Tivadar Puskás de Ditró travaillait sur ce projet. Ils décidèrent ensuite tous les deux de collaborer et en 1877, Tivadar Puskás de Ditró œuvrait pour la compagnie Bell à Boston et cherchait à créer une centrale téléphonique.

La légende dit que c’est à lui que nous devons, dans le langage téléphonique international, le fameux « allô ». Lorsqu’il essayait le prototype d’un appareil, il finit par entendre la voix de son interlocuteur et s’écria : « Hallom », qui signifie « j’entends » en hongrois. A force de répéter des centaines de fois le mot « Hallom », les Américains adoptèrent le mot en le transformant en « hello ».

Par la suite et jusqu’en 1889 Tivadar Puskás de Ditró était le responsable européen de la compagnie de Thomas Edison. Il mit au point une centrale téléphonique performante à Paris en 1878, puis s’occupa du réseau téléphonique à travers toute l’Europe. Lui et sa famille voyageaient souvent et la petite Marianne a grandi entre Budapest, Vienne, Paris, Londres et le château de famille à Waasen près de Graz, en Styrie. A l’âge de 12 ans, elle parlait le hongrois et l’allemand avec ses parents et avait appris le français, le russe, l’italien et l’anglais.

A 13 ans, elle s’en alla seule rendre visite à son frère qui était à l’Académie militaire à Vienne. Josef avait 18 ans et s’occupa de sa sœur. Il l’emmenait en balade et lui présenta un de ses amis, le prince khédivial d’Égypte, Abbas Hilmi, lors d’un bal. Dix plus tard, en 1900, Marianne et Abbas Hilmi se retrouvèrent par hasard au Grand Hôtel à Paris. Abbas Hilmi était monté sur le trône égyptien peu de temps après leur première rencontre à Vienne, en 1892. Josef, le frère de Marianne, était mort prématurément en 1898. Ils parlèrent ensemble pendant des heures, puis Abbas l’invita à se rendre en Égypte, au palais de Salamlek à Alexandrie, qu’il avait fait construire en 1892 quand il prit le titre officiel de khédive d’Égypte et du Soudan. Elle accepte l’invitation et s’y rendit quelques semaines plus tard.

 

Le Khédive d’Égypte: Abbas II Hilmi

Le khédive était un bel homme, de belle prestance, raffiné et de grande culture. Il avait été éduqué dans son jeune âge par un précepteur britannique, puis il avait fréquenté de grandes écoles à Lausanne, Genève et Vienne. Il parlait le turc, le français, l’allemand et l’anglais couramment, mais pas l’arabe. Marianne était éblouie par Abbas, son palais et tout ce qui l’entourait. Débuta alors une passionnante romance, assombrie quelque peu par l’état civil du khédive. Celui-ci était déjà marié à celle qu’il avait épousé cinq jours après la naissance de leur fille en 1895, Ikbal, une servante circassienne de la reine-mère. Ils eurent au total six enfants entre 1895 et 1902.

Le khédive et la comtesse savaient tous les deux que la situation était sans issue, mais passionnément amoureux l’un de l’autre, ils décidèrent de se marier sur le champ, en secret et en prenant deux cheiks pour témoins. Abbas divorça, Ikbal retourna chez la reine-mère et Marianne s’établit dans le somptueux palais de Mostorod. Tout se déroula en quelques semaines.

L’installation de la comtesse au palais khédivial déchaîna les commérages dans la communauté étrangère, tandis que la mère du khédive refusait de recevoir la nouvelle princesse et que le grand mufti déclarait qu’il ne reconnaissait pas Marianne comme épouse. Pour l’administration ottomane dont l’Égypte dépendait toujours officiellement, elle n’était considérée que comme concubine (la polygamie ne fut prohibée qu’en 1909).

Rue Chéril Pasha – Alexandrie (Égypte)

Les Britanniques qui occupaient l’Égypte à cette époque étaient agacés par les caprices du khédive. Ils voyaient d’un mauvais œil se multiplier les Austro-hongrois dans l’entourage d’Abbas II. Son écuyer en chef, son médecin, son dentiste, ses architectes et même son boulanger étaient tous des ressortissants de l’Empire d’Autriche-Hongrie. Voilà que maintenant, il s’entichait d’une comtesse autrichienne. Si le mariage mettait du temps à être reconnu par les Égyptiens, Marianne avait aussi sa part de responsabilité. Elle avait attendu plusieurs mois avant d’annoncer qu’elle aussi était mariée à un baron suédois, Arthur von Klingspor. Le divorce fut officiellement prononcé en 1909, puis Marianne se convertit à l’islam devant le grand mufti. Elle avait suivi des cours de Coran dispensés par l’islamiste suisse Hess von Wyss. Elle devint Djavidan Hanım.

Cette fois plus rien ne pouvait empêcher la cérémonie officielle du mariage khédivial qui eut lieu devant le grand mufti et les dignitaires de l’État, le 28 février 1910. La comtesse Marianne de Török Szendrö devenait Djavidan Hanım Efendi, épouse du vice-roi d’Égypte et du Soudan. Le protocole égyptien n’autorisait pas une vie publique pour l’épouse du khédive. Elle n’y participait donc pas, pas plus que l’ex-épouse Ikbal ne l’avait fait. Toutefois, elle suivait parfois son mari en voyage officiel et assistait à des réceptions, déguisée en garçon.

Palais khédivial à Alexandrie

Elle évitait la plupart du temps de voyager sur le yacht khédivial et prenait des bateaux de ligne pour le rejoindre à Constantinople ou à Trieste. Elle vivait entre le palais de Mostorod et celui du Caire. En 1907 Abbas lui offrit un autre palais à Çubuklu, à proximité de la capitale ottomane. Dominant le Bosphore, bâtit par les architectes austro-hongrois Antonio Lasciac et Delfo Seminati, Marianne avait supervisé les travaux et dessiné les jardins.

Le palais de Çubuklu – Istanbul

Le palais de Çubuklu était de style Art nouveau avec une tour panoramique comme en avaient les palais égyptiens. Le mobilier Art nouveau aussi, venait de France et d’Italie. Une rosière s’étendait entre le palais et l’immense parc qui dominait la colline au-dessus du village de Kanlıca. De la tour on pouvait apercevoir à la fois la presqu’île d’Istanbul avec le vieux sérail et l’embouchure de la mer Noire.

Marianne y passa beaucoup de temps entre 1907 et 1912. Pendant la première guerre des Balkans, elle avait elle-même organisé une infirmerie dans ce palais d’où les blessés étaient ramenés du front par la Croix-Rouge.

En 1913, la vie de princesse égyptienne allait prendre fin. Le khédive Abbas s’amouracha d’une danseuse de cabaret à Paris, Georgette Mesny, qu’il finit par ramener en Égypte. Marianne s’en retourna en Autriche et le divorce fut prononcé la même année. La danseuse s’avérera plus tard être une espionne pour le compte du gouvernement français. Quand la guerre éclata en 1914, Abbas était à Istanbul. Les Britanniques en profitèrent pour abolir le khédivat qu’ils occupaient militairement depuis longtemps. Abbas s’exila ensuite en Suisse.

Grâce à une pension que l’ex-khédive lui versait, Marianne put monter un « salon de beauté » à Vienne, puis s’installa à Berlin en 1920, où elle écrivit des pièces radiophoniques et des articles pour plusieurs journaux.

En 1921, elle rencontra un Russe, Simon Kulatschkoff, un ancien officier devenu chanteur et acteur. Ils se fiancèrent et vécurent à Berlin jusqu’en 1938, puis aménagèrent à Vienne. Ils partirent pour Innsbruck à l’approche de l’Armée rouge à la fin de la guerre et elle travailla comme traductrice pour l’armée française stationnée au Tyrol.  Elle connut quelques soucis financiers, surtout après la mort du khédive survenue à Genève en décembre 1944. Elle perdit sa pension.

Elle passa le reste de sa vie en écrivant pour les journaux, mais également en éditant plusieurs livres. Le couple resta à Innsbruck jusqu’en 1952, puis ils s’installèrent dans des appartements séparés à Graz.




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