Fatih: du Grand Bazar aux remparts de Théodose II
Auteur: Rinaldo Tomaselli
Rinaldo Tomaselli raconte la vie des quartiers d’Istanbul entre Beyazıt et Fatih : l’histoire, les habitants, l’architecture, les projets ; le tout illustré par des photos prises entre 1900 et 1960.
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C’est une vaste zone que je vous propose de visiter, dont il n’est pas facile à couvrir en une seule journée en se déplaçant à pied. Si l’étendue des quartiers est importante, la concentration des points d’intérêt ne l’est pas.Déjà à l’époque des Byzantins, puis sous les Ottomans, le centre de la presqu’île n’était pas très peuplé, contrairement au bord de mer et à la pointe du sérail. Pendant la période byzantine, cette espace contenait surtout des ensembles monastiques qui avaient des fermes et de vastes jardins, alimentés par de grandes ci- ternes d’eau à ciel ouvert. On y élevait aussi du petit bétail, ce qui permettait d’alimenter une partie de la population lors des sièges, par exemple.
Au début de l’ère ottomane, le souci premier fut de repeupler la ville. Ainsi on déplaça des musulmans d’Anatolie vers le centre, aujourd’hui les quartiers entre Beyazıt et Fatih. Des Grecs du Pont et de l’Egée vinrent peupler la zone entre les quartiers actuels de Çarşamba, Edirnekapı, Tekfur et Ferner. De même des Latins de Crimée furent installés dans le secteur de Salmatomruk, près de la porte d’Andrinople (Edirnekapı). A la fin du XVe siècle, les Juifs d’Espagne étaient placés entre Salmatomruk et Balat et des Arméniens, vers la porte de Topkapı.
Le quartier de Beyazıt doit son nom au sultan qui a fait construire en ce lieu une mosquée à la gloire de Dieu et à la sienne. Si Beyazıt (qu’on écrivait autrefois en français Bajazet) est resté dans la mémoire universelle, c’est surtout pour avoir invité les réfugiés juifs chassés d’Espagne et d’Italie en 1492, à s’installer librement dans l’Empire ottoman. C’est moins de 30 ans après la Conquête de la ville que le règne de Beyazıt II débuta. Il fut un acteur important dans le changement d’apparence d’Istanbul. Il fit reconstruire ou remplacer un grand nombre de monuments byzantins et repeupla des quartiers abandonnés en transférant des populations de tout l’empire vers la capitale. Par ailleurs, il agrandit territorialement de manière considérable l’Etat ottoman avec une expansion au nord de la mer Noire et en Asie Mineure. Il prit également quelques possessions vénitiennes dans les Balkans. Dès la conquête ottomane de 1453, Mehmet Il avait érigé son palais (Eski Saray) à proximité de la « Mese » (Voie impériale des Byzantins), en laissant une vaste place devant l’édifice et qui correspondait plus ou moins au forum de Théodose des Byzantins. Après la construction du nouveau palais de Topkapı en 1465, seul le gynécée resta en ces lieux. Cette grande place était donc encadrée au Nord par le vieux sérail, le Sud était délimité par la « Mese » et à l’Est se dressait déjà le Grand Bazar. Entre 1501 et 1506, Beyazıt Il fit construire sa mosquée et des dépendances entre le vieux sérail, la « Mese » et le Grand Bazar, mordant ainsi largement sur l’espace du forum de Théodose.
Entrée de l’université de l’architecte Auguste Bourgeois
De nos jours les traces du passé byzantin sont moindres dans le quartier, mais de beaux monuments ottomans lui donnent une allure agréable, au moins dans sa partie Est.Un redécoupage malheureux des quartiers a réduit la surface d’origine de Beyazit. Aujourd’hui, seul le Grand Bazar, la mosquée et une partie de la place de l’université constituent officiellement la totalité du quartier de Beyazit. Même les symboles que sont la porte de l’université et la tour de Beyazit (anciennement tour du Sérakiérat), sont en dehors du nouveau périmètre.La rue principale (Divan Yolu, puis Ordu Caddesi) correspond à la « Mese » byzantine, mais les portiques de marbre qui la bordaient autrefois ont disparu, tout autant que le monumental arc de triomphe de Théodose, dont quelques vestiges couchés sont visibles près de la faculté des Sciences.
Vers 1950
Réaménagement de la place de Beyazıt en 1959
La partie sud de l’ancien quartier de Beyazit a été attribuée au quartier de Mimar Kemalettin. C’est une zone de commerces de textile et d’hôtels. Au nord de la place, tout le secteur de l’université fait partie du quartier de Süleymaniye. Tous les alentours du quartier de Beyazit, dont la place est le point central sont inhabités. C’est un haut lieu commerçant, touristique et estudiantin. Chaque jour, c’est entre 300 et 400 000 personnes qui se rendent dans ce secteur.
L’université d’Istanbul (Stamboul) vers 1925
L’université d’Istanbul vers 1925 et la mosquée de Soliman
Vue du Grand Bazar, entre les mosquées de Beyazıt et de Nuruosmaniye (en haut)
Mercan se situe à l’ouest du Grand Bazar et à l’est de l’université de Stamboul (istanbul Üniversitesi). Il est encadré par les quartiers de Mahmutpasa, Eminönü, Tahtakale, Süleymaniye et Beyazıt. Sur une vingtaine de rues, les magasins, les ateliers et les dépôts se succèdent à flan de colline. Le quartier est exclusivement consacré au commerce et cela depuis l’an 1000 environ.Le haut de la vallée est occupé surtout par des commerces spécialisés dans la fourniture de cuisine, tandis que le bas est partagé entre les commerces de foulards et autres couvre-chefs, et les commerces de jouets et matériaux en bois.
Vue sur l’entrée de la Corne d’Or depuis les toits du quartier de Mercan
Les hans et caravansérails, ne sont pas toujours visibles depuis la rue, car ils sont entourés d’échoppes masquant le bâtiment principal. Une grande partie des marchandises en provenance de tout l’empire et même de plus loin (Route de la Soie), arrivait dans ce secteur. On pouvait loger les chevaux ou les chameaux des caravanes à l’intérieur des caravansérails qui étaient de véritables forteresses. Les voyageurs pouvaient aussi y rester, mais généralement pas plus de trois jours.Même si ce sont les Ottomans qui ont développé ce système de caravanes / caravansérails, le principe existait déjà à l’époque byzantine et plusieurs bâtiments datent de ce temps-là. La tour Irène qui domine le quartier à l’est, en est un bon exemple.Plusieurs tracés de rue, sont exactement les mêmes qu’à l’époque de Constantin-le-Grand, à l’instar de la rue Uzun Çarsı, partant du forum Théodose (place Beyazıt), aboutissant au port sur la Corne d’Or et ayant gardé sous la forme turque, son nom ancien (Makro Embollos).Dans ce dédale de rues et ruelles encombrées d’une profusion de marchandise de toutes sortes, il est bien difficile d’avoir une vision exacte sur les bâtiments anciens. Toutefois, le quartier est parsemé de caravansérails et de hans, parfois dans un état ahurissant, mais d’une valeur historique incontestable. Plusieurs petites mosquées datant des premières années de l’époque ottomane (XVe), émergent aussi de part et d’autre de ce bric-à-brac extraordinaire.Si des milliers de personnes travaillent à Mercan, personne n’y réside depuis les années 1940-50. Jusque-là, les habitants étaient des gens de conditions plutôt modeste appartenant à plusieurs communautés (musulmane, arménienne, juive, grecque).
Entrée du Büyük Valide Han vers 1930
Projet de percement d’un boulevard entre Eminönü et les environs de la mosquéée de Soliman le Magnifique
Le quartier de Süleymaniye englobe administrativement l’université de Stamboul et la mosquée de Soliman-le-Magnifique, incluant toutes les dépendances de ces deux bâtiments et les vastes jardins. Autrement dit, le quartier n’est pas du tout habité mais il reçoit le passage de milliers d’étudiants et de visiteurs chaque jour.Süleymaniye est aussi le nom turc de la mosquée dédiée au plus grand des sultans. Comme il s’agit de la plus grande et certainement de la plus belle des mosquées stambouliotes, le nombre de visiteurs et de fidèles est important.Plus de la moitié du quartier de Süleymaniye n’est pas accessible au simple passant. En effet, il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans l’enceinte de l’université, ne serait-ce que pour traverser l’immense parc qui s’étant la porte principale donnant sur la place Beyazıt et le bâtiment universitaire initial.
Une rue en dessous du complexe de Soliman-le-Magnifique, en direction de Vefa
Vue aérienne de la mosquée de Soliman-le-Magnifique
Mosquée Gürani et ruines du quartier après l’incendie de 1930
On ne sait pas exactement comment était disposé le quartier à l’époque byzantine, toutefois, c’est l’emplacement qu’avait choisi le sultan Mehmet-le-Conquérant pour édifier le palais impérial peu de temps après la prise de la ville. Le palais avait une position assez stratégique puisqu’il était perché sur la 3e colline de la ville, dominant d’un côté le port naturel de la Corne d’Or et de l’autre à proximité des marchés du cour de Constantinople. Malgré l’avantage de la situation, le nouveau sérail de Topkapı fut construit une douzaine d’années plus tard, sur l’ancienne acropole près de Sainte-Sophie. Seul, le gynécée resta à l’emplacement initial, tandis que le pouvoir ottoman et les appartements du sultan furent transférés.Plusieurs maisons en bois du XIXe siècle avaient échappé aux incendies. La municipalité (AKP) a cru bon de les faire raser en 2013.
Les découpes actuelles des quartiers de la mairie de Fatih ont fait disparaître Laleli, mais les habitants continuent de désigner l’endroit de son ancien nom, tout en ayant une notion plutôt vague du périmètre en question. En principe, il s’agit d’une portion de chaque côté du boulevard reliant Aksaray et Beyazıt, dans les alentours de la mosquée Laleli ou mosquée des Tulipes.Toute cette zone a été détruite en 1918 par un grand incendie. Peu de bâtiments anciens ont échappé aux flammes et les constructions édifiés plus tard ont toutes un point commun : la laideur.Laleli est surtout consacré au commerce du textile qui emploie des milliers de personnes dans cette zone. On y trouve aussi un grand nombre d’hôtels dont la large majorité est de basse catégorie. L’un dans l’autre, il y a toujours beaucoup de monde qui arpente les trottoirs de Laleli en journée, mais tout redevient calme quand les commerces ferment, car personne n’y habitent de manière permanente. Ces dernières années la municipalité a fait quelques efforts pour redorer le blason de Laleli en aménageant des zones piétonnières et en restaurant plusieurs anciens bâtiments ottomans, voire byzantins.
Aménagement du boulevard en 1957. Au fond, la place d’Aksaray
Mosquée Şehzade et caravansérial Taşhan vers 1955
Comme les quartiers voisins de Laleli et Süleymaniye, Şehzadebaşı n’est pas habité, mais la concentration des hôtels est importante et les commerçants sont pour la plupart dans le secteur du textile.En comparaison avec Laleli, on trouve plus de bâtiments anciens à Şehzadebaşı, mais seulement de la période ottomane et la star du quartier est sans conteste la mosquée de Şehzade.Şehzade (prince) Mehmet était un des fils de Soliman-le-Magnifique qui mourut prématurément. Son père lui fit construire cette grande mosquée en son honneur par Mimar Sinan. Elle est considérée comme œuvre majeure du plus grand architecte ottoman, immédiatement après la mosquée de Selim à Edirne et la mosquée de Soliman-le-Magnifique.L’ouest du quartier est délimité par le boulevard Atatürk percé à la fin des années 1950. Plusieurs parcs sont de chaque côté. La mairie du Grand Istanbul est à proximité des parcs et du boulevard.Au Nord, c’est l’aqueduc de Valens qui termine le quartier de Şehzadebaşı. Au-delà, c’est le quartier de Vefa, complètement différent du précédent, bien qu’il ait été détruit aussi par des incendies en 1908 et 1918.Vefa ne possède pas de grand monument et le commerce est plus rare qu’à Şehzadebaşı ou à Laleli. Par contre, c’est une zone habitée par des populations plutôt modestes et avec un artisanat bien présent, ce qui donne un air de village au quartier.
Quartier de Vefa après l’incendie de 1908
Saraçhane, devant la mosquée Şehzade (à droite) vers 1950
Emplacement des parcs de Saraçhane et Fatih vers 1940. Au fond, mosquée de Fatih
Quartier de Vefa vers 1930 et ancienne église du Pantocrator (Zeyrek)
Horhor se situe à l’ouest de Laleli Laleli et de Şehzadebaşı et au nord d’Aksaray. C’est un quartier sans grand intérêt. Des populations modestes y résident et on y trouve quelques hôtels bon marché, mais en principe, si on y voit des étrangers, c’est qu’ils s’y sont perdus.
Aksaray est aussi laid que les quartiers voisins, mais plus vaste. Officiellement, il s’étend jusqu’à la mer de Marmara. L’est du quartier est traversé par le boulevard Atatürk qui relie la mer de Marmara à la Corne d’Or. On y trouve essentiellement des commerces, des bars louches et des hôtels de premier prix.La partie ouest d’Aksaray est habitée et mieux fréquentée. Toutefois la majorité des immeubles date des années 50-60 et ils offrent toute la disgrâce de l’architecture de l’époque.C’est au XVIIIe siècle que le quartier prit le nom d’Aksaray quand, après un incendie, on repeupla le secteur avec des habitants de la ville d’Aksaray en Karamanie. Ceux-ci étaient de langue turque, mais l’écrivait avec les caractères grecs. De religion chrétienne, ces Karamanides dépendaient du patriarcat orthodoxe de Fener. Il existe encore deux églises karamanides à Istanbul, mais pas à Aksaray. Elles se trouvent dans les quartiers de Yedikule et de Kumkapı. Culturellement, les Karamanides sont pratiquement assimilés aux Grecs.Les amoureux des vieilles pierres, des belles mosquées et de l’art byzantin, ne peuvent qu’éviter Aksaray qui est un exemple de ce qui n’aurait pas du être fait. Seule, la mosquée rococo au bord du boulevard donne une lueur de beauté dans ce marasme architectural.
Place d’Aksaray dans les années 1960 – À gauche : mosquée Validé
Les nouveaux boulevards traversant Aksaray dans les années 1960
Place d’Aksaray dans les années 1960
Percement du boulevard Vatan devant la mosquée Murat Pacha
L’ancien monastère de Constantin Lips vers 1935 (Vatan Caddesi)
Entrée de la mosquée Validé vers 1900
Quartier populaire au début du XXe siècle, Aksaray ne s’est jamais développé correctement et de nos jours il reste des rues à la limite de l’insalubre. Dans les années 1950, on a passé de gros coups de bulldozer dans tout ça pour ouvrir des boulevards très larges devant faciliter la circulation, ce qui d’ailleurs avait réussi à l’époque, mais ne suffit plus du tout de nos jours.Les constructions qui bordent les boulevards sont une succession d’horreurs, survivances de l’architecture calamiteuse des années 1950-1960-1970.Il faut quand même reconnaître que des efforts ont été faits ces dernières années par la municipalité pour donner un aspect convenable au moins sur les boulevards et les places. Il reste certes des bâtiments à démolir, mais les nouvelles constructions sont assez harmonieuses. Les deux boulevards percés à la fin des années 1950 et partant en V en direction des remparts depuis la place d’Aksaray, d’Aksaray, ont été renommés en l’honneur de deux anciens présidents de la République. Auparavant, le boulevard au Sud s’appelait « Millet » (Nation) et celui au Nord « Vatan » (Etat). Actuellement le premier est « Türgüt Özal » et l’autre « Adnan Menderes », question de ne pas oublier que ce dernier a été pendu haut et court en 1961 pour trahison.C’est dans la partie sud d’Aksaray, dans le sous-quartier de Yenikapı, que l’on a découvert lors des travaux du métro, un des ports antiques de Byzance (en fait, de Constantinople). Plus de 30 bateaux et d’innombrables objets ont été acheminés vers le musée Archéologique avant que les travaux ne se poursuivent. Une découverte primordiale pour le patrimoine mondial.Les travaux du métro sont maintenant terminés. Le nœud d’Aksaray permet de relier la ligne Sud à la ligne Nord et à celle qui passe sous le Bosphore pour rejoindre les banlieues anatoliennes. A terme une nouvelle dimension sera donnée à la place d’Aksaray avec une large zone piétonnière.
Zeyrek est en bordure du boulevard Atatürk qui traverse, en changeant de nom pour mieux se camoufler, toute la vieille ville, de la mer de Marmara à la place du Taksim. Il ne faut cependant pas se fier à cette rivière de goudron, le petit quartier de Zeyrek est vraiment charmant et compte quelques beaux exemples d’art byzantin.
Ancien monastère du Pantocrator
Une partie de Zeyrek abrite des populations défavorisées, ce qui contribue largement à la décrépitude de nombreuses maisons en bois ou non. La municipalité a bien fait des efforts pour améliorer les rues, mais il reste encore beaucoup à faire.Dans la partie ouest du quartier, aux limites de Fatih-centre, les rues et les immeubles sont plus présentables qu’à l’Est. Du côté d’At Pazarı, on y a même aménagé une zone piétonnière avec de nombreux cafés, ce qui rend l’endroit agréable pour y boire le thé (il faut oublier la bière dans ce coin-là).Le monument le plus remarquable de Zeyrek est l’ancien monastère du Christ Pantocrator qui domine de ses coupoles la colline. La fin des travaux de restauration est prévue en 2150, ce qui laisse de la marge pour le fignolage.
Aménagement du boulevard Atatürk en 1958, au pied du Pantocrator (à droite)
Officiellement le quartier de Fatih est Ali Kuşçu, mais rares sont les Stambouliotes qui connaissent ce nom. Ils sont habitués à l’ancien nom (Fatih) qui désigne une zone assez vague autour de la mosquée du sultan Mehmet-le-Conquérant, comprenant non seulement Ali Kuşçu, mais la partie sud du quartier de Zeyrek, où se trouve l’hôtel de ville de Fatih.
A l’époque Antique, la zone n’était pas comprise à l’intérieur des remparts de Septime Sévère. Toutefois, le haut de la colline possédait un temple grec à l’emplacement-même de l’actuelle mosquée de Fatih. La ville de Byzance était confinée autour de la colline palatine où se trouve le sérail de Topkapı.
L’impressionnant complexe de la mosquée de Fatih. En bas de l’image à droite, début du quartier de Çarşamba
Constantin-le-Grand agrandit significativement la nouvelle capitale de l’Empire romain en y incluant la IVe colline aujourd’hui appelée Fatih. Les remparts passaient à proximité de la mosquée, mais il ne reste plus trace. Théodose II fit construire de nouveaux remparts moins d’un siècle après ceux de Constantin, à un peu plus d’un kilomètre de là (412). Lorsque la colline fut intégrée à la ville, le temple grec fut détruit et remplacé par une vaste église (Saints-Apôtres). A l’état de ruines avant même la Conquête de la ville par les Ottomans en 1453, les éléments de l’église furent récupérés pour la construction de la mosquée dédiée au conquérant de Constantinople.
L’architecte grec qui fit construire l’édifice ne parvint pas à atteindre les dimensions de Sainte-Sophie, ce qui mit le sultan dans en colère et ordonna de couper les mains de « l’incapable », puis la tête. Le sultan regretta toute sa vie ce geste impulsif, ce qui ne changea rien au résultat. L’ancienne voie impériale, la « Mese », suit encore de nos jours l’itinéraire original. Elle partait de Sainte-Sophie en direction des remparts, se séparait en deux au forum de Théodose (Beyazıt) et la partie au Nord continuait jusqu’à la porte d’Andrinople (Edirnekapı) en passant devant l’église des Saints-Apôtres.De nos jours, le quartier de Fatih comporte de nombreux édifices anciens, et bien que la plupart datent de l’époque ottomane, il reste également quelques monuments de l’époque byzantine, notamment plusieurs anciennes églises, des citernes et le fameux aqueduc de l’empereur Valens. Devant la magnifique mosquée dédiée au Conquérant, un cimetière contient le mausolée d’une sultane française. Aimée Dubuc de la Rivery était la cousine de Joséphine de Beauharnais. Elle était l’épouse du sultan Abdülhamid Ier et mère du sultan Mahmut II dit aussi le « sultan infidèle » (Gavur Sultan).
Entre la mosquée de Fatih et l’ensemble de Zeyrek (Pantokrator), se tient le marché de la viande (permanent). Un autre marché a lieu le mercredi seulement et est totalement diversifié. On y trouve toutes les spécialités turques traditionnelles.Depuis le début de l’époque ottomane, la 4e colline a été habitée très majoritairement par des musulmans. On n’y trouve ni église ni synagogue, ce qui est exceptionnel pour un quartier de la vieille ville.La population actuelle est assez conservatrice et de milieu modeste. Dans le nord du quartier, on y trouve beaucoup de Kurdes et des Alévis. Les réfugiés syriens sont également nombreux à Fatih, depuis le début de la guerre civile.
Aménagement de l’avenue Fevzipaşa à la hauteur de la mosquée, 1958 (photo)
Çarşamba est le nom d’un ancien quartier qui a été important autant à l’époque byzantine qu’à l’époque ottomane. Situé au sud de la 5e colline entre les 4e et 6e, Çarşamba s’étendait de la mosquée du Conquérant (Fatih) à la porte d’Andrinople (Edirnekapı). L’avenue Fevzi Paşa au Sud-ouest, Fener et Balat au Nord-est, délimitaient le quartier.Officiellement, Çarşamba n’existe plus. Le redécoupage des quartiers l’a démembré entre les quartiers actuels d’Ali Kuşcu, d’Atikali et de Derviş Ali. La partie entre la mosquée impériale de Yavuz Selim, la citerne de Bonus et le musée Fethiye (Theotokos Pammakaristos) font bizarrement partie du quartier de Balat dont le centre névralgique est en bas de la 5e colline, au bord de la Corne d’Or.
A l’époque byzantine le quartier de Çarşamba portait le nom de Deuteron et formait le XIXe arrondissement. La 6e colline est la plus haute de la péninsule historique avec 77 mètres d’altitude. La topographie de Çarşamba lui a donné une importance à l’époque byzantine, quand on y trouvait de somptueuses églises (Saint-Sauveur de Chora, Théotokos Pammakaristos) et des monastères comme celui de Saint-Jean-Baptiste de Trullo, ainsi que des palais (Bonus, Boğdan) et d’énormes réservoirs d’eau (Bonus, Aspar, Pulchérie, Aetius). À l’époque ottomane des populations musulmanes originaires de la région de la ville de Çarşamba sur la mer Noire, ont été installées dans la partie Sud, surtout entre les mosquées impériales de Fatih et de Yavuz Selim (entre la 4e et 5e colline). Dans la partie Nord, les musulmans étaient moins nombreux et aux populations initiales vinrent s’ajouter des Grecs et des Latins de Crimée. Les lieux de culte latins étaient Notre-Dame-de-Constantinople et Saint-Nicolas-des-Caffariotes.Plusieurs églises byzantines ont été converties en mosquées : Saint-Sauveur de Chora, Saint-Jean-Baptiste de Trullo, Théotokos Pammakaristos. L’église des Apôtres qui étaient en ruines lorsque les Ottomans prirent la ville, fut reconstruite avec les matériaux récupérés (mosquée du Conquérant ou de Fatih). La partie dénommée aujourd’hui Atikali, dont le point central est la mosquée et le hammam de Mehmet Ağa, se couvrit de mosquées, d’écoles religieuses et de mausolées. C’est cette partie à laquelle on pense quand on parle de Çarşamba de nos jours, en y ajoutant la zone entre Fethiye et Yavuz Selim (lycée de Darüşşafaka), dont l’épine dorsale est l’avenue Manyasizade Caddesi qui change en Fethiye Caddesi, puis en Draman Caddesi, quand on la parcoure dans le sens Fatih – Edirnekapı.
Si Çarşamba possède encore quelques jolies maisons et des ruelles attrayantes, de manière générale le style d’architecture est infâme. Les bétonneuses des années 1960 -1970 ont irrémédiablement défiguré l’endroit qui est quand même très visité par la population musulmane qui se rend sur les tombes de saints autour des nombreuses mosquées. Les visiteurs étrangers sont beaucoup moins nombreux, mais visitent volontiers le musée Fethiye qui est classé juste après Saint-Sauveur et Sainte-Sophie pour le nombre et la qualité de ses mosaïques. Ils visitent également les grands monuments qui sont en périphérie de Çarşamba (mosquées Mihrimah, Fatih, Yavuz Selim). Enfin, comme Çarşamba est en bordure des quartiers de Balat et de Fener et qu’on y accède facilement avec le métro et le tramway, de plus en plus de touristes étrangers s’y déplacent librement.La population du quartier a toujours été majoritairement musulmane, même si des communautés arméniennes et grecques y vivaient jusqu’au milieu du XXe siècle. Depuis de nombreuses années, on trouve à Çarşamba une concentration de gens très religieux, voire extrémistes. Il n’est donc pas rare d’y voir des femmes en tcharchaf et des hommes barbus enturbannés, ce qui donne un aspect exotique à cette partie d’Istanbul. Notons quand même que même si ces costumes peuvent rebuter au premier abord, il n’y a pas de danger à se balader à cet endroit.Sociologiquement, il est intéressant d’observer le comportement de cette frange de la population stambouliote ayant adopté des us et coutumes d’un autre temps et étrangères aux traditions turques. C’est l’un des rares quartiers d’Istanbul où il est possible de constater cette évolution que certains qualifient de régression.
Le quartier doit son nom au sultan Yavuz Selim (Selim Ier) qui y fit construire une mosquée impériale au sommet de la 5e colline de la ville.La population actuelle est de condition modeste et de confession musulmane avec une concentration importante de bigots de toutes sortes, voire carrément de fanatiques. Si ces gens ne forment qu’une toute petite partie des habitants d’Istanbul, leur visibilité dans ce quartier est quand même impressionnante.Le nom du quartier couvre aussi l’ancien Fener des Grecs qui lui a disparu officiellement. Fener symbolisant l’orthodoxie chrétienne, Yavuz Selim convenait plus aux extrémistes musulmans puisque le sultan en question était d’une rigidité religieuse effrayante qu’il a d’ailleurs prouvé en massacrant des dizaines de milliers « d’hérétiques » en Anatolie (essentiellement des alévis). Ainsi, à chaque fois qu’un gouvernement a des penchants religieux douteux, il nomme des rues, des boulevards ou des ponts, du nom du sultan qui a le plus persécuter les minorités du pays. Le gouvernement actuel vient d’ailleurs de lui rendre hommage en nommant le 3e pont du Bosphore du nom du plus cruel des sultans.Le quartier offre quand même de belles traces du passé, autant de l’époque byzantine que celle des Ottomans. Plusieurs citernes sont visibles, de belles mosquées et quelques églises du côté de la Corne d’Or.
Vue ancienne des jardins de la mosquée de Selim Ier sur la Corne d’Or
LE SULTAN SELIM Ier
Selim-le-Hardi pour les Ottomans – Yavuz | Selim-le-Cruel pour les Occidentaux
Né en 1470 à Amasya sur la mer Noire, il fut le 9º sultan ottoman. Il était connu pour sa cruauté et son fanatisme religieux, mais il agrandit l’empire de manière considérable en Asie et en Afrique. C’est le premier sultan ottoman qui porta le titre de calife qu’il ravit aux Mamelouks d’Egypte en 1517. En Europe, Yavuz Selim fit la conquête des territoires autours de la Crimée, d’une partie de la Géorgie et du territoire de Kars. Il prit la totalité de l’Asie
Mineure avant de fondre sur la Syrie, la Palestine et l’Egypte. Grâce à Barberousse, il mit également la main sur une large bande côtière en Algérie. En 1514 le sultan fit massacrer 40’000 alévis d’Anatolie, qu’il considérait comme hérétiques et une insulte à l’islam sunnite. Les persécutions durèrent pendant tout son règne, mais à moins grande échelle et rarement contre les chrétiens.Selim Ier mourut à Istanbul à l’âge de 50 ans, probablement d’un cancer. Son fils Soliman (le Magnifique), lui succédera en 1520.
Sans disparaître totalement, les femmes en tcharchaf et les hommes en costume religieux du Moyen-Age, sont nettement moins nombreux dans les quartiers entre la ligne Yavuz Selim – Çarşamba et les remparts de Théodose II. Bien que très majoritairement musulmans, les habitants n’ont rien des fanatiques des quartiers précédents et la tolérance est de mise avec les alévis, les chrétiens et les juifs qui vivent également dans ce périmètre. Par ailleurs, le long des remparts des deux côtés de la porte d’Edirne, vit également une communauté tzigane, dont les mœurs religieuses sont plutôt légères.
Église du monastère de Chora avec une vue sur la Vallée de Salmatomruk – vers 1970
Située sur la 6e colline, Edirnekapı (porte d’Andrinople) était l’une des principales entrées de la vieille ville. C’est par là que les Ottomans entrèrent à Constantinople le 29 mai 1453. Le sommet de la colline est couronné d’une gracieuse mosquée du XVIe siècle, œuvre de l’architecte Sinan, la Mihrimah Camii, dont la silhouette est reconnaissable de loin.À l’époque byzantine, au moins jusqu’à l’occupation latine (1204-1261), le quartier était opulent et la proximité du palais impérial des Blachernes n’y était pas étrangère.La zone d’habitations et de commerces, était concentrée vers le haut de la colline dominée elle-même par le monastère Saint-Georges et par les remparts de Théodose avec la porte d’Andrinople.Au Nord, la vallée descendant vers la Corne d’Or (Petra, aujourd’hui Salmatomruk) était surtout occupée par des monastères, parfois vastes et riches comme Saint-Jean-Baptiste (disparu) ou Saint-Sauveur de Chora, dont l’église est toujours là.Quand les Ottomans prirent la ville en 1453, ils se ruèrent naturellement sur les riches monastèresdont la réputation avait depuis des siècles dépassée les frontières byzantines. Pillés et ruinés, ils ne se relevèrent jamais. Quelques églises ont été transformées en mosquées, les autres ont disparu.
Karagümrük en 1959. Au loin, la mosquée de Mihrimah
Remparts extérieurs à Edirnekapı
Remparts entre Topkapı et Edirnekapı
La vallée de Petra (Salmatomruk) resta peu habitée au début de l’ère ottomane et les gens qui y demeuraient étaient des Grecs. Par la suite, les Ottomans repeuplèrent le quartier en y transférant des populations principalement de Crimée (Grecs et Latins), puis en y établissant des réfugiés espagnols vers le bas de la vallée. Au fil des siècles, des Arméniens et des musulmans s’y installèrent également, mais en nombre restreint.De nos jours, toute la zone entre Çarşamba et les remparts est densément peuplée. Il s’agit essentiellement d’une population aux origines rurales et anatoliennes et très majoritairement musulmane. Les Latins ont quitté le quartier certainement vers la fin du XVIIe siècle en allant s’établir à Galata. Les Grecs et les Juifs sont partis surtout après les émeutes de 1955 contre les minorités.La vallée de Salmatomruk change plusieurs fois de nom le long de sa courbe. Le haut est divisé par les quartiers de Draman et Karagümrük à l’Est, par Salmatomruk, Edrinekapı et Tekfur à l’Ouest.
Le boulevard Fevzipaşa ne passe pas par la porte antique. Une percée a été effectuée un peu plus loin afin de faciliter la circulation qui est assez dense à cet endroit. Le périphérique longe les remparts à l’extérieur (quartiers de Topçular et Defterdar, municipalité d’Eyüp) avec une ligne de tramway et une ligne de métrobus, le tout traversant l’immense cimetière militaire, lui-même suivi de plusieurs autres cimetières anciens, dont celui des Français musulmans (Topkapı). C’est aussi dans cette suite de champs des morts que l’on trouve la tombe de la fameuse Aziyadé dont Pierre Loti fait mention dans ses romans (Topkapı).Les quartiers intérieurs sont divisés en deux zones assez distinctes. Celle au sud de la mosquée Mihrimah a été complètement détruite en 2012 pour laisser place à un projet de la mairie d’habitations à loyers modérés. Les Tziganes qui habitaient le quartier de Sulukule, ont été délogés et replacés dans de lointaines banlieues (40 km).La partie au nord de la mosquée Mihrimah a une population modeste. Plusieurs monuments de première importance s’y trouvent également. Depuis le centre ou depuis la vieille ville, on peut facilement accéder à Edirnekapı avec les transports en commun. D’abord avec les bus de ville, mais aussi avec le tramway (changement à Topkapı) ou avec le métro (changement à Topkapı-Ulubatlı) ou encore avec le métrobus.
Une vallée sépare la 6e colline (Edirnekapı) du quartier de Topkapı situé sur un promontoire un peu avant la 7e colline. A la période byzantine, cette vallée peu profonde contenait quelques monastères, mais il s’agissait surtout de vergers et de potagers et donc, d’une zone inhabitée à l’intérieur des remparts. Les Ottomans laissèrent plus ou moins en l’état, sans y construire de
grands monuments, cela jusqu’à la fin de l’empire. La seule zone habitée était autour de la porte de Topkapı (du canon) où se tenaient deux petites communautés chrétiennes, des Grecs et des Arméniens et une communauté musulmane assez importante.
C’est à la fin des années 1950 que la vallée commença à se couvrir de bâtiments administratifs et d’immeubles destinés à l’habitation alors que le boulevard Vatan (aujourd’hui Adnan Menderes) était construit pour relier la place d’Aksaray aux remparts et au-delà, le périphérique E5.L’architecture des années 1960 et 1970 est très présente de nos jours, autant sur le boulevard longeant la vallée, que dans les rues transversales.Sulukule, quartier collé aux remparts sur la pente de la 6º colline, en dessous de la mosquée Mihrimah, est une exception dans cette partie de la ville. Bien avant l’urbanisation de la vallée, une communauté tzigane s’était établie sur la pente logeant les remparts. Il n’y avait pas de grands immeubles, mais seulement de petites maisons faites de bric et de broc. Plusieurs marbriers y étaient établis, la proximité des grands cimetières garantissant des revenus réguliers.Dans les années 1950-1960, il était devenu courant d’aller s’encanailler dans ce quartier pour un bon nombre de Stambouliotes et des étrangers de passage. L’alcool coulait à flot aux sons de la musique tzigane tandis que les danseuses du ventre charmaient les clients. La prostitution s’y développa également.En 1985, le Ministère du Tourisme décida de canaliser et de réorganiser les débits de boissons, mais rien ne fut fait et en 1992 les autorités décidèrent de fermer purement et simplement ces lieux de perdition.En 2005, la municipalité (AKP) proposa un plan de réaménagement du quartier visant à le détruire complètement et reconstruire des immeubles à loyers modérés destinés à des classes moyennes. Les Tziganes devaient être relogés en banlieue à une quarantaine de kilomètres. Les milieux intellectuels, mais aussi une large partie des Stambouliotes s’élevèrent contre ce projet qui fut retardé un temps, avant d’être mis en œuvre par une municipalité peu soucieuse de l’avis
de ses électeurs.Ainsi, les Tziganes ont été expropriés, le quartier rasé jusqu’à la dernière pierre, tandis que de nouveaux immeubles furent construits en 2012. Sulukule n’est plus qu’un souvenir.
Extérieur des remparts au niveau de Sulukule
Aspect du quartier avant sa destruction en 2007
Topkapı n’a pas subi ce chambardement, mais il faut préciser qu’il n’y a pratiquement pas de Tziganes dans ce quartier quine comporte aucun monument digne d’intérêt, à part la belle mosquée de Gazi Ahmet Pacha et peut-être les deux petites églises collées aux remparts, datant du XIXe siècle.Les remparts sont longés sur l’extérieur par une quatre voies faisant office de Ier périphérique (E5). De l’autre côté et sur les sept kilomètres qui bordent la vieille ville, de grands cimetières séparent les nouveaux quartiers de la zone urbanisée initiale.Certains cimetières sont anciens, comme celui faisant face à la porte de Topkapı, connu pour abrité la tombe de l’amoureuse de l’écrivain français Pierre Loti.
Tout près, un cimetière militaire a été aménagé pendant l’occupation pour les Français musulmans.
Sous les remparts de Théodose Il – Au sommet de la colline, la mosquée de Mihriman
Cimetière de Topkapı vers 1930
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