RÉVEILLON

HOMME D’AFFAIRES ET ROI DE LA FÊTE (1725-1811)

Livre d’Erick Noël, publié par les éditions Maisonneuve & Larose, Hémisphères.

Préface de Pierre Serna

Derrière le nom de l’affaire « Réveillon » se cache un homme au destin singulier que nous raconte avec talent Erick Noël. Né en 1725, mort dans l’anonymat en 1811, après avoir été un des entrepreneurs les plus connus de France avant 1789, Jean-Baptiste Réveillon traverse le Siècle des Lumières dont il incarne une possible figure, de par son destin de directeur de manufacture royale et homme d’affaires hors pair. Il provoque bien malgré lui le début de la Révolution parisienne au printemps 1789, et se reconstruit comme un bourgeois désormais entré dans le rang mais affichant tous les signes de la notabilité instituée, représentant discret des « masses de granit » instituées par le nouveau maître de l’Empire Français. Comme les hommes de son temps, il a traversé quasiment tous les régimes, avec bonheur, au-delà de ce que sa naissance pouvait lui laisser espérer, faisant face à une adversité inédite en 1789, puis saisissant parfaitement bien les ressorts d’une société nouvelle fondée sur la propriété foncière. Au fil des pages, Erick Noël raconte cette irrésistible ascension sociale d’un ouvrier devenu un capitaine d’industrie, sans cesse à la recherche d’innovations et d’amélioration de ses produits, des papiers peints réputés, des « papiers veloutés ou drapés », mais aussi « nués, peints, imprimés et dominotés ». Il propose également des « velours, damas, petits points moëres » et « satins, lampasses, perses, indiennes » et « papiers de Chine ». Comme les autres chefs d’entreprises audacieux, il sait que c’est en Angleterre que la modernité industrielle se construit. Qu’à cela ne tienne, il répond à sa clientèle saisie d’anglomanie et raffolant de papier bleu. Il propose à son tour un flock paper, ou papier floqué, soufflé ou velouté, imitant les velours d’Utrecht, jusqu’à obtenir que son nom devienne une marque, « le papier Réveillon », et que ses entreprises, sises à Courtalin et à la folie Titon dans le quartier Saint-Antoine, obtiennent le titre de manufacture royale en 1783 et 1784. Il participe pleinement à la bataille industrielle que se livrent Royaume-Uni, Provinces-Unies et France dans le marché du luxe. Désormais reconnu et introduit auprès des grands, il décide de porter une aide décisive aux frère Montgolfier dont il construit les toiles de leurs aérostats, afin d’effectuer leur premier vol et les suivants à partir de septembre 1783. Un tel succès ne peut qu’attirer jalousie, rivalité, ressentiment. En 1789, élu parmi les bourgeois de Paris afin de participer aux assemblées électorales des états généraux, en pleine crise économique et d’enchérissement du pain, on a vite fait de transformer ses paroles. Dans sa Lettre au roi, relativement aux désastres arrivés au faubourg St.-Antoine, à Paris, le lundi 27, la nuit suivante, et le lendemain 28 avril 1789, il ne peut que constater le désastre d’une émeute dans laquelle on ne compte presqu’aucun de ses ouvriers mais qui dévaste sa demeure, sans trop abîmer les ateliers qu’il parvient à revendre en 1792. L’homme est abattu mais point anéanti. Capable de s’adapter à la nouvelle donne économique, il a de suite compris que l’heure n’est plus à la fabrique du luxe mais à la construction d’une élite bourgeoise qui assoit son pouvoir sur la sacralité de la propriété foncière. Avisé et discret, Réveillon comprend tout l’intérêt qu’il y a désormais à se construire un capital par le rachat des biens nationaux, transformant au passage ses talents de fabricant de papiers peints en fabricant du papier des assignats, construisant sans le savoir le support de la catastrophe économique de la Révolution, comme l’excès de luxe aura mené à la colère du peuple et à l’effondrement de l’Ancien Régime. Chaque fois, Réveillon fait des affaires et sa fortune, pariant juste, travaillant dur. Il n’est pas simplement une victime d’une émeute éponyme. Il est le marqueur de son temps, des régimes d’économie et de reconnaissance sociale emboîtées de l’Ancien Régime à la Révolution.

On connaissait Erick Noël comme le spécialiste de l’histoire des personnes de couleur en métropole et de l’histoire coloniale. Dans cette étude fine et érudite il devient, de plus, un spécialiste de l’histoire sociale, culturelle et politique de l’industrie de l’art à Paris au XVIIIe siècle.

Pierre Serna
Professeur des Universités
Paris I Panthéon-Sorbonne, IHRF-IHMC

Buste de Réveillon par Jean Baptiste Defernex, 1752, Museum of Fine Arts, Boston.
Experience de montgolfière dans les-jardins de Réveillon 1783. Dessin de Desrais ou Desray, BnF.
Pillage de la maison et des ateliers Reveillon, 28 avril 1789. Gravure de Maillart Carnavalet
Pillage de la maison et des ateliers Reveillon, 28 avril 1789. Gravure de Maillart Carnavalet

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