Little Jaffna : Un polar qui bouscule

Un flic, deux visages. Une ville, mille vérités. Little Jaffna brouille les lignes entre polar et quête intérieure.

Dès les premières minutes, Little Jaffna s’impose comme un polar à part. Entre rythme haletant, tension urbaine et éclats de tendresse inattendus, le film de Lawrence Valin réussit à conjuguer action et profondeur, sans jamais céder ni au misérabilisme ni à la caricature. À travers le regard d’un policier en quête de repères, il explore avec finesse les identités multiples, les blessures de l’exil et les contradictions d’une société en mutation. Un premier long-métrage audacieux, généreux, et surtout, d’une étonnante sincérité.

 

L’histoire

C’est l’histoire d’un policier français noir, Michaël, d’origine Tamoul auquel sa hiérarchie demande d’infiltrer un gang de la mafia tamoul implanté dans le 18e arrondissement de Paris, entre la gare du Nord et la porte de la Chapelle.
Michaël, trentenaire né en France, est le fils de réfugiés tamouls ayant fui la guerre civile sri-lankaise, qui a opposé jusqu’en 2009 les nationalistes cinghalais, majoritaires et bouddhistes, aux séparatistes tamouls hindouistes, minoritaires.
Le jeune Tamoul a grandi en France, s’imprégnant des codes et de la langue du pays, au sein d’une famille soucieuse de s’intégrer, mais vivant en marge de sa communauté d’origine. Une trajectoire qui ressemble à une intégration réussie — en apparence, du moins.Le jeune policier accepte cette mission sans imaginer qu’il va s’identifier et créer des liens avec ces mafieux tamouls qu’il doit séduire puis trahir et finalement faire disparaître.Voilà pour le pitch.Cela pourrait être un simple polar, une histoire de gangsters, de trafiquants en tout genre et d’un petit policier à la dérive. C’est un peu ça mais plus encore.

Le réalisateur

La personnalité du réalisateur Lawrence Valin – qui interprète le rôle de Michaël – est la clé de ce « plus encore ». Son film incarne l’aboutissement du parcours d’un jeune Français, talentueux et habité par une énergie sincère, qui, porté par des origines lointaines, s’interroge sur son identité. Valin, jeune tamoul assimilé, né dans les Hauts de Seine dans un milieu modeste, est très tôt intéressé par le cinéma et ses héros : voyant cela, sa grand-mère lui a dit un jour : « le cinéma ce n’est pas pour toi, c’est une affaire de blancs ». Il ne l’a pas écoutée !

Studieux, le jeune homme s’est inscrit tout de même à une école de management, à des cours de théâtre et surtout a suivi une année d’études à la Femis dans le cadre de la « La Résidence » – un programme sélectif ressemblant au modèle de Sciences Po, destiné à de jeunes cinéastes issus de la diversité et de milieux modestes. A l’issue de cette année de formation, chaque stagiaire devait réaliser un court métrage. Lawrence Valin a proposé une version courte de ce qui deviendrait plus tard son long métrage « Little Jaffna ». Ce court métrage, remarqué et récompensé par plusieurs prix, a marqué les débuts prometteurs d’une possible carrière cinématographique pour le jeune Tamoul des Hauts-de-Seine.

S’il affirme ne pas avoir de modèle précis au cinéma, le réalisateur cite tout de même Scorsese – sans doute pour Les Infiltrés –, Tarantino, le faste coloré du cinéma indien, ainsi que les productions venues de Chine et de Hong Kong. Un éclectisme assumé, que l’on retrouve pleinement dans Little Jaffna.

L’acteur

Avant de se lancer dans la réalisation et la coproduction de son long métrage, Lawrence Valin a tenté de devenir acteur en France et là, il s’est heurté à la réalité des enfants de la deuxième génération : « des parents arrivent poussés par une guerre et font tout pour s’intégrer dans le pays d’accueil et pour que leurs enfants se sentent du pays, en sécurité, mais ces enfants constatent vite qu’ils ne sont pas complétement français, c’est ce que j’ai vécu. C’est pourquoi la seconde génération a des préoccupations identitaires que n’a pas eu la première. Dans les castings, on me proposait toujours des rôles de migrants ou de marchands de roses ; on me demandait de jouer avec l’accent indien alors que j’ai grandi dans les Hauts de Seine. J’en ai eu assez alors, j’ai décidé de me donner un rôle dans mon propre film. » Tenace et courageux !Valin précise également qu’il a tenté de mener une carrière d’acteur en Inde où il s’est heurté à une réalité inversée : « là-bas, Tamoul né à Paris j’étais considéré comme un blanc. »

Interrogations sur l’identité et la double culture

Cette double origine, ainsi que l’inconfort et l’incompréhension qu’elle peut susciter, sont à l’origine de ce film : un polar grand public, haut en couleur et en action, mais aussi une réflexion sur l’identité, la double culture, et la nécessité de revenir à ses racines pour comprendre — et, ensuite, mieux se libérer. C’est ce cheminement complexe que traverse le personnage du policier. Valin accentue le propos en affligeant Michaël d’une maladie de peau, le vitiligo, qui dépigmente certaines zones : ainsi, ce policier noir arbore des plaques blanches sur le visage. Le symbole est fort, le message explicite : comment vivre une double appartenance, en soi comme dans le regard des autres ? Ce thriller, à la fois généreux et vivifiant, tente d’y répondre sans tomber ni dans le ressentiment, ni dans l’angélisme. Un regard salutaire en ces temps troublés, marqués par l’intolérance et un racisme de plus en plus décomplexé.

Pour un premier long-métrage, Lawrence Valin fait preuve d’un réel talent, avec une mise en scène à la fois vive, colorée et percutante. Il réussit à aborder des sujets graves sans sombrer dans le pathos — on pourrait même dire que, malgré quelques scènes violentes, le film dégage une forme de gaieté. Sa force réside aussi dans le regard inédit qu’il porte sur Paris, loin des clichés du Marais, de Notre-Dame ou des Jeux Olympiques. Il explore le 18e arrondissement, la communauté tamoule, ses codes, ses gangs, ses trafics. Ces figures sont-elles des terroristes ou des résistants ? La question est posée, sans manichéisme.

Little Jaffna évoque la diversité des sociétés contemporaines, les guerres civiles, la violence, l’intégration des jeunes migrants et les identités plurielles — le tout porté par une narration où affleurent aussi les sentiments, la tendresse, et parfois même la gaieté. En somme, un polar rythmé, une belle surprise cinématographique… et peut-être la naissance d’un « Scorsese des Hauts-de-Seine » !

 

                                                                                              Didier Levreau

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