La Catalogne : la fin des grands états ou le début d’une Europe suprarégionale?
Par Pierre Scordia
Bien que le monde soit de plus en plus globalisé, nous assistons à un regain de «nationalisme régionaliste » en Europe, phénomène qui semblerait a priori anachronique, mais qui ne l'est pas dans le contexte d'une Union Européenne supranationale. L’élément accélérateur provient surtout de la crise financière qui oblige le pouvoir central à augmenter les contributions des provinces riches aux budgets nationaux. Que ce soit en Catalogne ou ailleurs, il s’agit plus d’un nationalisme de type économique que culturel. De nombreuses régions prospères ne veulent plus entendre parler de solidarité nationale, préférant gérer elles-mêmes leur fiscalité.
La Catalogne ne fait pas exception ; la Flandre, la Lombardie, le Pays basque, la Vénétie, voire la Bavière, tendent tous vers ce choix qui consiste à la fois à être pro-européen et à vouloir affaiblir l’appareil étatique fédéral du pays auquel on appartient. D’autres, comme l’Écosse, le Pays de Galles, la Galice et la Bretagne, étant moins aisés, moins condescendants dans leurs arguments, revendiquent malgré tout une large autonomie ou une politique économique et fiscale mieux adaptée à leurs besoins.
Cela dit, on peut comprendre la fierté des Catalans qui ont fait de leur communauté autonome une région prospère, organisée, démocratique, bilingue, dynamique avec une capitale jouissant d’un rayonnement international bien plus fort que celui de Madrid. Nous savons aussi que les Catalans, comme les Madrilènes du reste, ont lutté pour la République contre les forces fascistes du Général Franco. Néanmoins, la Catalogne en Espagne est un peu comme l’Allemagne dans la zone euro. Elle renâcle parce qu’elle paie trop pour ses voisins du sud moins compétitifs tout en exportant ses produits et services massivement chez eux.
En outre, le succès de Barcelone réside implicitement dans son appartenance à l’Espagne. Le royaume bénéficiant d’une image culturelle et économique plutôt attrayante dans l’ensemble et demeurant la cinquième puissance économique en Europe, Barcelone perdrait sans aucun doute ce pôle d’attraction si la Catalogne venait à s'en séparer, à fortiori sans garantie d'une accession automatique à l'E.U. Il n’est pas surprenant que les Barcelonais soient moins enthousiastes à l’idée d’une sécession.
Enfin, j’ai du mal à croire que Paris – qui s’oppose toujours à la réunification de la Bretagne sous ses frontières historiques, craignant par là un réveil identitaire breton - consente à ce qu’une Catalogne souveraine adhère immédiatement à l’Union européenne et à la zone euro. D’où l’importance et l'urgence d’avoir un débat réel sur les avantages et les risques impliqués à une déclaration d’indépendance.
Il serait sage que Madrid négocie et organise, s’il le faut, un référendum dans cette région, comme Londres l’a fait pour l'Écosse. Malheureusement, le Parti Populaire au pouvoir en Espagne, conservant toujours certains réflexes de la droite franquiste manque d’un certain pragmatisme politique. Ce n’est pas en braquant les Catalans et en les menaçant qu’il arrivera à préserver l’unité espagnole. Au contraire, en agissant ainsi, il ouvrirait la boîte de Pandore et amorcerait un déclin inéluctable des grands états au sein de la confédération européenne.
FΩRMIdea Montréal, le 30 septembre. Publié dans le Huffington Post