Voyage et lueur d’espoir au bout de l’enfer afghan
Auteur : Pierre Scordia
Simon Urwin est un photographe anglais passionné par l’aventure. Après avoir travaillé à la télévision et pour des magazines de voyage, notamment Lonely Planet, il décide de parcourir le monde et d’y faire ses propres reportages. C’est le récit de son dernier voyage en Afghanistan qui a retenu toute mon attention. J’ai voulu absolument l’interroger sur ce pays enclavé qui me semble à priori une contrée reculée, arriérée et déchirée par la guerre. Il m’a reçu chez lui à Londres.
Espère-t-il un nouvel Afghanistan ? Ma question fait naître un petit sourire railleur. Puis son regard d’un bleu perçant accentué par son visage encore bronzé devient sérieux. « Peut-il vraiment avoir un réel espoir dans un pays dévasté où tout est interdit par des dogmes impitoyables ? Après toute la misère humaine et la violence que j’ai vues, je dirai qu’au bout de ce long tunnel infernal afghan, il y a une petite, mais vraiment infime, lueur d’espoir ».
Ce n’est pas la première fois qu’Urwin se rend dans ces contrées. Il y est déjà allé en 2010, dans le Corridor du Wakhan, coincé entre le Tadjikistan, le Pakistan et la Chine. Il a été ébloui par la beauté des paysages de cette région relativement stable. Cependant, son retour quatre ans plus tard à Kaboul, à Herat, à Bamiyan et à Mazar-e Sharif, le marquera profondément.
L’événement qui restera gravé à jamais dans sa mémoire est la rencontre de cette jeune fille dans un centre éducatif pour orphelins, institution parrainée par Sarah Brown, la femme de l’ancien Premier Ministre travailliste britannique. A la vue de Simon Urwin, vêtu pourtant de l’habit local, la fillette, à qui il manque un bras, s’est mise à hurler et à pleurer. Les convulsions de l’enfant face à cet homme occidental révélaient la souffrance, le traumatisme, la violence qu’elle a endurés. A-t-elle été victime d’une opération militaire américaine ? Urwin ne le saura pas. Son invalidité, l’empêchera de se marier dans une société où une femme célibataire n’a plus aucun rôle social à jouer.
La condition féminine est toujours déplorable en Afghanistan. A Herat, Urwin rencontre Monsieur Agha, soi-disant Président de l’Association des Fabricants et Vendeurs de Burqas, il lui assure que sans ses burqas, les femmes n’atteindraient jamais le bonheur. Ayant de la sympathie pour Urwin, le commerçant lui confie que de toutes, la bleue est celle qui se vend le mieux puisque l’azur est la couleur du ciel qui rend les femmes d’être plus proches d’Allah, c’est pourquoi sa femme porte une bleue. Lorsque l’Anglais, par courtoisie, lui demande le nom de son épouse, un grand malaise s’installe. Même le guide, rouge de honte et de colère, baisse la tête. Il ne faut pas confondre familiarité et impudeur ; néanmoins, ils ne restent pas de marbre devant des éphèbes sur affiches placardées.
Voyager en Afghanistan est un défi. Nul n’est à l’abri d’un faux pas aux conséquences parfois tragiques : prendre des photos peut se révéler dangereux, soit ce geste peut attirer l’attention des taupes travaillant pour le compte des Talibans, soit il peut être considéré comme un flirt, risquant la lapidation comme ultime châtiment.
Mais l’Afghanistan est peuplé aussi de personnes talentueuses, dotées d’une force de volonté à toute épreuve. A Herat, Urwin est allé à la rencontre de cet artisan Omid Karimi qui fabrique des céramiques probablement dans le plus vieil atelier toujours en fonction, le fourneau millénaire marchant toujours au bois de saule.
La technique est ancestrale et le secret d’Omid est de fusionner son corps, son esprit et son âme avec son travail, une créativité qui, dit-il, est en parfaite symbiose avec Allah. Le résultat est remarquable et le bleu peint à la main résiste à l’usure du temps et de la météo. Seuls les séismes et les guerres peuvent détruire son œuvre, fléaux qui n’épargnent pas cette partie du monde. On retrouve ses céramiques un peu partout dans le monde mais elles sont surtout visibles dans la belle ville de Mazar-e Sharif, dans le nord du pays où sont érigées de nombreuses mosquées.
A Bamiyan où les Tabilans ont fait exploser à la dynamite des Buddhas géants du VIe siècle, patrimoine de l’humanité, il y a un jeune homme à la belle allure de star américaine qui rêve de représenter son pays aux prochains Jeux Olympiques d’hiver. Ali Shah Farhang, berger, originaire d’un petit village montagnard de 200 habitants du nom de Khoshkak, a appris à skier sur de simples planches de bois. Le ski est dangereux en Afghanistan car la neige est dure et craque facilement, ce qui peut provoquer des avalanches. Mais la vitesse de la glissade lui procure une sensation d’euphorie et de liberté dans un pays où tout est interdit et réprimé. Venant de la minorité des Hazaras ismaéliens (mouvance chi’ite), il n’a pas les faveurs du comité olympique afghan contrôlé par les Pachtounes sunnites. Heureusement, il a été repéré par un groupe de sponsors qui financent aujourd’hui son entrainement à St Moritz, en Suisse.
Être femme, chi’ite, ismaélien, Hazara, ne pas appartenir à la majorité sunnite en Afghanistan entraînent une discrimination. Les Tabilans, comme le rappelle la candidate présidentielle des Verts aux Etats-Unis, Jill Stein, se sont imposés avec l’aide des Etats-Unis qui ont soutenu et armé les Moudjahidines lors de l’invasion soviétique ; ces Talibans pourrissent le climat politique et social dans ce pays, empêchant tout progrès. Cependant, lors de la visite d’une école, à la question posée sur son avenir, une jeune fille répond à Simon sans hésiter : « je veux devenir la première présidente d’Afghanistan. »
Ce voyage au bout de cet enfer terrestre marquera à jamais Simon Urwin. Lors d’un déplacement par la suite à Los Angeles, le photographe anglais ne comprend plus pourquoi tant d’Occidentaux se fâchent pour des choses futiles, comme attendre dix minutes pour commander un café à une terrasse ou se préoccuper de la blancheur des dents. Ne savent-ils pas qu’ils sont privilégiés ?
De retour à Londres, Simon est bénévole pour la fondation Helen Bamber. Il parraine un réfugié en Angleterre en l’invitant à passer quelques journées avec lui afin de faciliter son intégration dans la société britannique. L’Afghan qu’il accompagne a été touché par le fait qu’il connait le plat kaboulien le Pilaf, qu’il comprend d’où il vient. La compassion est essentielle à l’insertion d’un réfugié.
FORM-Idea Londres, le 18 novembre 2016.- Photos crédit: Simon UrwinPublié également dans Le HuffPost 🇨🇦