Les Morisques (Moriskler)
Auteur: Rinaldo Tomaselli
La liquidation des Espagnols musulmans aura lieu en plusieurs étapes dans la péninsule ibérique. En 1492, le dernier royaume musulman d’Espagne tombe entre les mains des souverains catholiques. Soumis à une inégalité fiscale, brimés et dépouillés, certains musulmans préfèrent l’exil. D’autres vont rester dans leur pays (Mudéjares), alors que les conditions de reddition sont de moins en moins respectées. Les Mudéjares vont se révolter en 1499 à Grenade, puis dans les montagnes des environs.
Après la reprise du contrôle par les catholiques, les Mudéjares de Grenade sont contraints à se convertir ou à s’exiler. En 1502, la mesure est étendue à tout le royaume de Castille. Charles Quint décrète en 1525 l’obligation à tous les musulmans de se convertir. Toutes les mosquées sont confisquées et données à l’Eglise catholique. Plusieurs révoltes sont écrasées. L’islam est officiellement interdit dans tous les territoires espagnols. Les « Nouveaux Chrétiens » (ou anciens musulmans) seront désignés sous le nom de Morisques (Maurisques).
Mosquée des Arabes - Galata (Istanbul)
En 1568, au moment de la révolte des Morisques de Grenade sous la conduite du roi Aben Humeya contre le pouvoir catholique, ils représentaient le quart de la population totale. Le grand vizir Sokullu Mehmet Pacha mettra du temps à convaincre le sultan Selim II et son banquier Josef Nasi, duc de Naxos, à faire intervenir la flotte ottomane. Selon Sokullu, un débarquement en Espagne était souhaitable afin de déstabiliser les Habsbourg, en les attaquant, non comme d’habitude, par le Nord (la Hongrie), mais par le Sud, où la présence militaire était plus faible. Les bonnes relations qu’entretenaient la Sublime Porte et la France permirent à l’armada ottomane de débarquer à Toulon afin d’y passer l’hiver.
Morisques de Grenade selon Christoph Weiditz (1540)
Le roi de France, endetté auprès des banquiers du sultan (des Marranes chassés du Portugal), allait fournir le ravitaillement à l’armée ottomane afin de rembourser sa dette. L’attaque de l’Espagne devait avoir lieu au printemps 1571, mais l’insurrection morisque échoua et les rebelles seront définitivement battus par Juan d’Autriche en novembre 1570. Les Morisques furent massacrés, et les survivants durent quitter la région de Grenade. Une partie trouva refuge dans l’Empire ottoman, une autre partie, dans les autres régions d’Espagne. Dispersés, dépossédés de leurs terres et appauvris, les Morisques seront encore persécutés par l’Inquisition, tandis que la décision de les déporter sera prise en 1605. C’est en septembre 1609 que Philippe III signe le décret d’expulsion de tous les Morisques d’Espagne, vrais ou faux chrétiens. Hommes, femmes et enfants doivent se rendre à pied jusqu’aux côtes, tandis que leurs biens sont confisqués au profit de la Couronne ou de l’Inquisition. Ils doivent payer leur nourriture et leur eau, puis leur embarquement. Ceux qui n’arrivent pas à payer sont tués sur place. Beaucoup sont jetés à la mer avant d’arriver sur les côtes africaines.
L’estimation du nombre de déportés est d’approximativement un million de personnes, dont seulement le quart survivra. La plupart des Morisques trouveront refuge dans l’Empire ottoman, surtout dans les provinces d’Algérie, de Tunisie et de Syrie. De plus petits groupes de réfugiés gagneront l’Italie, le Maroc et le sud de la France.
Dans la capitale ottomane, les réfugiés seront installés dans le faubourg latin de Galata, où vit déjà une communauté juive, elle aussi chassée d’Espagne. C’est entre la porte Saint-Antoine et l’église Saint-Dominique, reconvertie en mosquée « des Arabes », que les Morisques pourront dorénavant vivre leur foi en toute liberté.
Au début de leur installation à Istanbul, ils avaient gardé leur culture et leur langue, et même une littérature espagnole utilisant les caractères arabes. Cependant, au fil des siècles, la communauté va se dissoudre parmi les autres musulmans, allant jusqu'à oublier sa langue ancestrale. Les seules communautés organisées de Morisques se trouvent, de nos jours, en Algérie et au Maroc.
FΩRMIdea Istanbul, le 17 février 2017.