Respect | Série : « Diogène en banlieue »

 Heurs et malheurs d’un prof de philo aux confins du système scolaire.

Auteur : Gilles Pétel

Le respect est un mot à la mode et notre époque reproche souvent aux jeunes d’en manquer. Mais à l’égard de qui ou de quoi ? Cela reste beaucoup plus vague. Un peu à l’égard de tout semble-t-il. J’ai par exemple entendu dire que de jeunes banlieusards avaient manqué de respect à un Abribus en le détruisant. Ce sont sans doute les mêmes qui manquent de respect à l’égard de leurs professeurs. C’est du moins ce que racontent la plupart des gens.

Pourtant, ici comme ailleurs, la condamnation morale ne fait que masquer une réalité sociale déplaisante. Ce que nous appelons le manque de respect chez nos élèves (bavardages, regards torves, impolitesse, distraction permanente, etc.) n’est bien souvent qu’un manque de considération.

Le respect porte sur la personne. Il est d’ordre moral. Nous y avons tous droit. Le respect est égalitaire. La considération en revanche porte sur le rang ou encore la grandeur. Elle est d’ordre social. Il y a, comme nous le savons tous, des personnes plus ou moins importantes dans notre société. Le président de la République est ou était une personne extrêmement considérée. On s’arrête devant elle, on se range, on la salue si on y est autorisé. De même pour le chef d’une grande entreprise. Bill Gates par exemple est quelqu’un de considérable. À l’inverse, les gens passent devant un balayeur sans même le remarquer. Ils ne le saluent pas alors que rien ne le leur interdit. De nombreuses personnes ou plutôt de nombreuses professions restent ainsi invisibles. On ne leur veut aucun mal, en règle générale du moins, mais c’est comme si elles n’existaient pas. La considération est inégalitaire.

À l’image des balayeurs, les professeurs n’ont plus vraiment aujourd’hui d’importance sociale. Leur métier s’est démonétisé. Personne ou presque ne veut plus nous entendre. L’image glorieuse de l’instructeur de la troisième République a laissé place à celle d’un perroquet quelque peu déplumé et atteint de psittacisme. La féminisation extrême de ce métier atteste également de son déclin. Enseigner est moins perçu comme un travail que comme une occupation qui permet aux femmes de concilier les exigences de la vie domestique et celles du salariat. Notre société ne semble autoriser l’accès massif des femmes à une profession qu’à la condition que celle-ci ne soit plus de premier plan. On voit sur cet exemple, qui n’en est qu’un parmi d’autres, qu’il reste encore beaucoup de travail avant d’avoir réformé tous les esprits.

Ensuite, le salaire des professeurs, particulièrement bas en début de carrière et gelé depuis tant d’années, est un autre signe de déchéance sociale. Les élèves ne s’y trompent pas. Ils ne connaissent sans doute pas au centime près notre salaire mais ils voient comment nous nous habillons, ils savent où nous passons nos vacances, quelle est la marque de notre voiture, quand nous en possédons une. Les élèves font preuve d’une sorte de sociologie intuitive qui n’est pas sans faille mais qui tombe souvent juste, surtout lorsqu’ils appartiennent aux classes défavorisées, très sensibles aux signes de paupérisation, ou aux classes supérieures qui sentent à l’instant où ils les aperçoivent que les professeurs ne sont pas de leur monde. Nous ne faisons plus guère illusion qu’auprès des classes moyennes souvent frappées, aujourd’hui comme hier, de cécité sociale. Elles croient encore à l’école et à la force du diplôme. Elles n’ont bien sûr pas totalement tort. Le vrai problème est qu’elles n’ont plus entièrement raison. Elles ne connaissent pas le dessous des cartes.

Le désarroi de nombreux professeurs vient de ce qu’ils confondent ce manque de considération avec un manque de respect. Ils se sentent parfois offensés dans leur dignité. Or le mal n’est pas si grand, la plupart du temps du moins. Ce n’est pas la personne qui est visée par l’attitude des élèves mais notre condition sociale. Les élèves ne nous voient pas d’un autre œil que celui avec lequel ils regardent le laveur de voitures.

Un jour, un élève vint me trouver après avoir appris que j’avais publié un livre. Il avait obtenu cette information en tapant mon nom sur un moteur de recherche. La nouvelle cependant lui paraissait douteuse et il tenait à la confirmer directement auprès de moi. Je lui confirmai la chose et il me félicita chaleureusement. Son attitude me fit sourire car il me semblait qu’il inversait les rôles entre le professeur et l’élève. Puis il ajouta que la classe, qu’il avait bien sûr mise au courant, était heureuse d’avoir cette année un professeur vraiment sérieux. Pour le coup je cessai de sourire, moins flatté que ne le pensait mon élève. Je venais de comprendre que mes diplômes et mon expérience ne constituaient plus un gage de valeur et donc de considération. Mais passer à la télévision, avoir mon nom sur un moteur de recherche, c’était aux yeux de mes élèves comme une consécration.

Enseigner Euclide, évoquer Thucydide et la guerre du Péloponnèse, expliquer la révolution française, commenter un texte de Bergson ou une œuvre littéraire, transmettre des connaissances enfin demandent une certaine stature qui met en position d’être écouté. On peut ici parler d’autorité. Mais quand le monde autour de l’école et l’école elle-même, par l’entremise de son administration, se moquent des professeurs, quand l’image que nous renvoyons n’est plus que celle de « bouffons », il paraît difficile de prétendre encore faire preuve d’autorité.

Sans doute ce bilan doit-il être tempéré. Il existe des individualités qui savent davantage se faire écouter, des professeurs plus captivants que d’autres, mais, même chez ces enseignants plus doués, l’écoute de la classe n’est jamais garantie, les bavards sont toujours prêts à se faire entendre, car rien ne peut vaincre l’idée qu’ont tant d’élèves que nous ne sommes plus que des amuseurs. Et encore si nous pouvions vraiment les amuser, le mal ne serait pas si grand. Mais beaucoup nous jugent simplement mortellement ennuyeux.

Je venais de prendre mes fonctions dans un lycée. Mon cours se passait bien. La classe se montrait attentive. Je m’apprêtais à interroger un élève quand je vis la porte d’entrée s’ouvrir pour laisser soudain passer la tête de la proviseure. Elle jeta un coup d’œil rapide sur la classe pour refermer presque aussitôt la porte et disparaître sans un mot d’explication ni d’excuse.

Cette intervention un peu fantastique fut suivie d’un léger brouhaha parmi mes élèves que je ne parvenais plus à ramener au calme. Ils avaient bien raison de vouloir me chahuter.

FΩRMIdea Paris, le 1er avril 2017. Avec nos remerciements à l'auteur. Texte paru en premier dans délibéré.fr

Chronique de Gilles Pétel

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