L’Allemagne et ses criminels de guerre racontés par des écrivains

Auteur: Pierre Scordia

Le prix Renaudot de 2017 a été décerné à Olivier Guez pour son roman sur la disparition de Josef Mengele, histoire vraie qui complète la liste d’œuvres passionnantes publiées ces dernières années : hhhh de Laurent Binet sur l’assassinat de Reinhard Heydrich, Dans le jardin de la bête d’Erick Larson sur l’histoire de l’ambassadeur américain William Dodd envoyé à Berlin dans les années 30 et Retour à Lemberg de Philippe Sand qui nous entraîne dans une longue enquête dont l’un des personnages centraux est Hans Frank, le gouverneur général de la Pologne sous l’Occupation.

Heydrich, Mengele et Frank étaient des Allemands très instruits, amateurs de musique classique, des citoyens raffinés, soignés, vaniteux mais dotés d’une indifférence déconcertante face à leur cruauté. Mengele et Frank exerçaient des professions libérales, le premier était médecin, le second, avocat. Tous croyaient sincèrement en la supériorité raciale et culturelle du peuple germanique.

Dans Retour à Lemberg, Philippe Sand s’attarde sur le procès de Nuremberg avec les notions juridiques de crime contre l’humanité (terme de Hersch Lauterpacht, juriste britannique juif originaire de la région de Lviv) et de génocide (mot créé par Raphael Lemkin, juriste juif polonais formé à Lviv), deux concepts différents ; en effet, le premier se base sur la protection de l’individu alors que le second se fonde sur l’appartenance à un groupe, au risque d’affaiblir la portée du premier concept.

Hans Frank, homosexuel refoulé selon le psychiatre américain dépêché à Nuremberg, était coupable d’avoir commis ces deux types de crimes, l’un en faisant exécuter les professeurs de la prestigieuse Université de Lwów (l’actuelle Lviv en Ukraine, ville aussi connue sous le nom autrichien de Lemberg) et l’autre en organisant l’extermination des juifs de Pologne et d’Ukraine occidentale.

Olivier Guez, dans La disparition de Josef Mengele, raconte la fuite en Amérique du Sud du sinistre médecin tortionnaire d’Auschwitz, son exil doré à Buenos Aires à partir de la fin des années 40 avec bien entendu la complicité honteuse du régime péroniste… Les chapitres consacrés à l’Argentine nous rappellent l’œuvre de Sylvain Reiner sur La vraie vie d’Eva Peron dans laquelle l’auteur révèle les sympathies politiques nazies du général Juan Perón et la complicité de sa femme, la parvenue mais philanthrope Evita.

Lorsque la traque aux réfugiés nazis dans le cône sud de l’Amérique débute sérieusement à partir de 1960 avec l’enlèvement spectaculaire d’Adolf Eichmann par les agents du Mossad, le docteur Mengele échappe plusieurs fois aux mailles du filet grâce aux fuites venant de certains diplomates et fonctionnaires de la République Fédérale allemande. Les effectifs de l’appareil étatique de la nouvelle Allemagne fédérale et démocratique comptaient de nombreux fonctionnaires nazis reconvertis aux vertus libérales. Guez démonte le mythe d’une Allemagne de l’Ouest repentante et justicière.

En 1960, Mengele doit fuir une Argentine débarrassée provisoirement du péronisme pour se réfugier au Paraguay. La dictature germanophile du Général Alfredo Stroessner (1954-1989) lui permet d’obtenir la citoyenneté paraguayenne. Néanmoins, la protection des autorités de son nouveau pays d’accueil, la bienveillance de certains diplomates allemands et l’aide financière de la richissime famille Mengele en Bavière ne suffiront pas à tranquilliser le triste fuyard car les Israëliens ayant enlevé, jugé puis exécuté Eichmann ont provoqué une véritable panique chez les criminels de guerre. Il faudra attendre les années 60 pour que la RFA soit progressivement écumée de ses fonctionnaires pronazis partis en retraite. Ce n’est que pendant cette décennie que le pays prend conscience des atrocités commises par le Troisième Reich et que la justice allemande traque et juge ses criminels de guerre.  

En 1946, Frank aux derniers mois de sa vie se réfugie dans une sorte de mysticisme catholique. Certains ont cru voir en lui une sorte de remords mais agissait-il en toute sincérité ? Il voulait sans aucun doute sauver sa peau, le tribunal de Nuremberg mettra fin à cette tentative : il sera pendu.  Mengele, quant à lui, restera un nazi convaincu toute sa vie, même dans son état irascible et paranoïaque de bête traquée au Brésil.

Ces quatre livres passionnants et bien écrits nous rappellent que l’antisémitisme et la haine peuvent conduire aux pires excès chez les êtres humains à l’heure où l’antisémitisme revient au galop dans certains partis politiques de sociétés occidentales et musulmanes, même sous une forme déguisée comme le soutien à la cause palestinienne qui masque la haine contre les Juifs d’Israël. Ces livres nous servent d’avertissement.

FΩRMIdea Paris, le 28 septembre 2018.

De gauche à droite: Heydrich, Himmler et Frank.

Hans Frank, prisonnier à Nuremberg

Josef Mengele

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