La goûteuse d’Hitler

 

Dans la gueule du Loup, l’histoire de Rosa Sauer

Pierre Scordia

Après la lecture d’un article élogieux publié dans le Figaro sur le dernier roman de l’écrivaine Rosella Postorino, La goûteuse d’Hitler, je décide d’aller l’acheter. Au départ, j’ai un peu de mal à entrer dans l’histoire car le style littéraire avec ses émotions et ses rêves me semblait éloigné d’un récit historique.

Ce ne n’est qu’à partir du 8e chapitre, de la page 67, que j’ai véritablement plongé dans l’œuvre. Le suspense, la société rurale de la Prusse orientale et l’univers des SS m’ont fait dévorer le roman en un week-end.

Son œuvre a été inspirée de la dernière goûteuse d’Hitler, Margot Wölk, que Postorino n’eut malheureusement pas le temps de rencontrer à Berlin car elle s’était éteinte en 2014. Dans le roman, cette Berlinoise est nommée Rosa Sauer et comme beaucoup d’Allemands de l’époque, elle ne semble pas condamner le régime nazi dans les années 30 ni pendant les premières années de la guerre. Elle reste discrète sur ses opinions politiques. On sait seulement que son père n’aimait pas les Nazis et que sa mère essayait de le faire taire. Rosa est mariée avec Gregor, ingénieur cultivé qui s’est engagé dans l’armée au début de la guerre. Il est pris dans l’élan patriotique que les nazis ont magistralement su exacerber. Sur le front Est, il déchantera rapidement.

À la suite d’un bombardement où elle perd sa mère en 1943, elle se réfugie chez ses beaux-parents à Gross-Parsch en Prusse orientale, territoire situé aujourd’hui dans le nord-est de la Pologne. Gross-Parsch est tout près de la Tanière du Loup, le bunker boisé hyper protégé du Führer. Très vite, Rosa est réquisitionnée par les SS pour devenir une des dix goûteuses d’Hitler moyennant un salaire mensuel de 200 marks, somme non négligeable pour l’époque. Elle devient l’amie de la mystérieuse et farouche Elfriede, réfugiée de Dantzig et mobilisée comme goûteuse. Elle côtoie le gratin local, notamment la Baronne, la riche Maria Freifrau von Mildernhagen, amie proche du fameux Colonel Claus Schenk von Stauffenberg, auteur principal de l’attentat contre Hitler en juillet 1944. Elle, la belle-fille du jardinier de la baronne, est reçue avec tous les égards et, stupeur, son gardien le lieutenant Albert Ziegler, Obersturmführer des SS, fait partie des invités, c’est le coup de foudre mais ce ne sera pas une histoire à la guimauve.

Ce roman est intéressant car il nous fait réfléchir sur la complexité de la nature humaine. Un individu peut se révéler affable, tendre, généreux dans la sphère privée et en même temps être cruel, impitoyable, efficace dans sa vie professionnelle, le sommet de la hiérarchie sociale décidant de ce qui est permis et de ce qui doit être interdit. En fait, on s’aperçoit qu’un régime qui s’appuie sur la terreur et l’ambition façonne l’être humain à sa convenance. Ce livre montre un führer paranoïaque qui subjugue et terrorise en jouant de la délation et de la rivalité.

Les thèmes de la mort et de la pourriture corporelle reviennent souvent dans le roman. Le mari expédié sur le front russe écrit dans une lettre que si Dieu existait, il n’aurait pas créé une chose aussi laide et puante qu’est l’immonde merde sortant de notre corps. Le destin tragique d’Elfried, la passion amoureuse de Ziegler, le terrible revers de fortune de l’aimable baronne sont bouleversants. On prend conscience que tout est fragile et qu’on peut être entrainé par des évènements dont on n’a pas anticipé la dangerosité.

La digestion restera l’obsession de Rosa, avec la crainte de mourir empoisonnée.

form-idea.com Londres, le 13 mars 2019.

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