Roma, un film non conventionnel donc inattendu

 

Auteur: Pierre Scordia

Roma n’est pas ici la cité éternelle mais le titre d’un film faisant référence à un quartier de Mexico, non loin du centre-ville historique. Il s’agit d’un film en noir et blanc qui nous touche par les images, les émotions et son contenu simple : des moments de la vie ordinaire d’une famille de la classe moyenne aisée et ceux de ses employées de maison dans les années 70.

Au début du film, on pourrait se demander pourquoi nous suivons la routine quotidienne d’une domestique prénommée Cléo. Le film semble lent et on s’interroge sur les prises répétitives du réalisateur, par exemple sur de l’eau qui s’écoule dans le patio, les crottes du chien à l’entrée de la maison ou sur le stationnement d’une voiture américaine dans la cour étroite de la propriété.

Petit à petit, on apprend que Cléo est presqu’un membre à part entière de la famille, qu’elle aime les enfants et que ces derniers l’aiment, qu’elle a des amis et un petit ami. D’autres scènes montrent un visage différent de la mère de famille qui traite parfois Cléo comme une servante, surtout en période de crise familiale.

Cléo ne livre aucune pensée. On suit ces gestes. Elle est calme, douce, docile. Les conquistadors disaient des « Indiens » d’Amérique qu’ils étaient doux, naïfs et dociles. Cette soumission face aux Européens se voit encore cinq siècles plus tard à travers ce film. Le réalisateur Alfonso Cuarón se contente d’observer et de montrer des incidents de la vie. Comme il ne s’implique pas émotionnellement, certains auront du mal à s’émouvoir. Si on connaît le Mexique ou l’Amérique latine, on ressent - plutôt qu’on ne comprend - les saisissements voulus. Ce film est presque un documentaire anthropologique de la société mexicaine de la seconde moitié du XXe siècle.

La violence et la brutalité font partie intégrante des sociétés des Amériques et cela bien avant la conquête. Les civilisations précolombiennes étaient sans pitié envers les ennemis et les peuples vaincus. Elles étaient également stratifiées. Les quelques conquistadors avides et belliqueux pris malencontreusement pour des Dieux ont profité de la situation pour devenir les maîtres incontestés sur des nouvelles structures sociales mises en place ne Amérique latine. La domination est encore là dans le film et la violence aussi. Lors d’un repas en famille, l’un des enfants décrit comment un soldat tire une balle dans la tête d’un garçon pour lui avoir lancé des bombes à l’eau. La répression par les paramilitaires à laquelle on assiste par hasard dans le film est choquante.

Mais le Mexique des années 70 est beaucoup plus complexe. Les descendants d’Européens ne sont plus vraiment Européens. Ils se sont intégrés dans cette culture résultant d’une fusion entre les cultures indigène et occidentale. Les domestiques qui sont toutes amérindiennes sont plus que des servantes. Comme on l’a déjà dit, elles semblent être intégrées au noyau familial. Par exemple, elles peuvent regarder la télé le soir avec le reste de la famille et partir en vacances avec elle. On ne voit Cléo que dans le rôle traditionnel de la travailleuse stoïque et silencieuse qui n’exprime jamais ses sentiments et ses opinions. Le film nous laisse penser que ce comportement serait normal, voire vertueux. C’est ainsi que le réalisateur se rappelle son enfance ; c’est sans doute tout à son avantage et à son honneur qu’il n’aille plus loin.

La photographie est impartiale, l’histoire est sans histoire, les personnages sont sans développement mais ils sont plus que des caricatures, le contexte est sans explications, les techniques utilisées paraissent sournoises à certains cinéphiles. Néanmoins, ce long métrage, non conventionnel, reste une belle œuvre d’art. La photographie est belle, l’image est parfaitement composée et parfaitement éclairée. Il n’y a pas d’ombres noires. L’objectif n’est pas sur une seule chose. Il y a beaucoup de détails à observer. Seule l’interprétation des acteurs attire notre attention dans une cinématographie calme, attentive et réfléchie.

En regardant ce film, on est soit contemplatifs, déroutés ou ennuyés. Pour ma part, j’ai été impressionné et touché par la beauté de ce chef d’œuvre.

Ce film est disponible sur Netflix | form-idea.com Londres, le 15 mars 2019.

 

Photo : le premier rôle d'Yalitza Aparicio

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