Ali Shah Farhang, le champion afghan des pistes de ski
Simon Urwin | @SimonUrwinPhoto
Les veines de ses bras sont aussi épaisses qu'une corde d'amarrage, sa très forte corpulence étant pompée avec plus de protéines artificielles qu'un troupeau de poulets d'usine. Il a réussi à incliner son cou - aussi gros que ma taille - pour regarder vers le bas et y découvrir, en guise de censure, un carré noir peint sur l’entrejambe d’un corps rempli de stéroïdes.
Plutôt étonnant dans un pays où le vêtement conservateur par excellence adopté par tous les Afghans consiste en un pyjama bouffant recouvrant tout (le shalwar kameez). Cette image surréaliste d'une montagne musclée à moitié nue n'est que l'une des dizaines que j’ai vues sur le parcours entre Kaboul et l'aéroport.
Ces panneaux homo-érotiques, conçus pour attirer l’attention de tous les fanatiques passionnés du bodybuilding, sont stupéfiants dans un pays où tout type de sport est souvent décrété comme non islamique par les nombreux plus saint-que-toi qui considèrent l’activité sportive comme moralement corrompue et trop « occidentale ».
En me dirigeant vers la zone d’enregistrement, je ne me souviens pas d’avoir vu des enfants apprécier le football dans la rue. Cependant, j’ai déjà vu un homme faire de l’aérobic à la mosquée de Herat, et j’ai aussi été témoin du jeu national « le buskashi » - une version sauvage et indisciplinée du polo qui se joue avec le cadavre d’un bouc sans tête en guise de ballon, pratique sportive manquant à la fois de règles évidentes et d’un sens du divertissement.
À l'aéroport de Kaboul, je monte à bord d'un vieil avion Antonov de l'époque soviétique à destination de Bamiyan où je dois rencontrer un révolutionnaire invraisemblable mais qui est une source d’inspiration au sein de l'arène sportive restreinte de l'Afghanistan. C’est à 30 minutes de vol de la capitale au cœur montagneux du pays. Les vues aériennes du Hindu Kush sont encore plus exaltantes quand on les contemple à travers un hublot fissuré de l’avion plus ou moins scellé sur les bords grâce à du ruban adhésif.
D'une beauté frappante, digne d’une star de cinéma, Ali Shah Farhang arrive sur sa moto et nous nous asseyons pour bavarder au bord des ruines d'un ancien hôtel, non loin des niches du 6ème siècle qui abritaient les immenses bouddhas que les talibans ont dynamités en 2001. « Lorsqu’on vit dans un pays comme l'Afghanistan, on envisage le danger de manière différente » me dit-il en partageant le thé vert contenu dans un thermos en mauvais état, “Je pense que c'est l'une des raisons pour lesquelles je suis un bon skieur. Je suis impavide. Ici, la neige est sèche et les pentes sont très rapides, il y a beaucoup d'avalanches, le temps change régulièrement tout au long de la journée, ce qui augmente le danger. J'aime toute cette palpitation. »
Né dans le village reculé de Khoshkak (population de 200 âmes) au-dessus de la vallée de Bamiyan, Ali Shah a été formé très tôt sur les chemins montagneux : « Quand j'étais très jeune je marchais tout seul 5 heures par jour entre les sommets pour faire les allers-retours entre ma maison et l'école et ce, par tous les temps, sous des températures parfois inférieures à 20 degrés, dans la neige épaisse », me dit-il. « Ces montagnes circulent dans mon sang. »
Pendant les vacances scolaires, Il travaillait comme berger et s'occupait du troupeau. Il serait devenu éleveur de chèvres si, à l’âge de 20 ans, il n’avait pas fait la rencontre fortuite d'un visiteur étranger. « Un skieur italien est venu enseigner au Bamiyan Ski Club (un projet financé par un organisme de bienfaisance local pour aider à développer le tourisme dans la région) et on m'a offert la possibilité de suivre une formation de ski qui était très sérieuse, très dure. À Bamiyan, il n'y a pas de remontée mécanique, donc il fallait une heure pour monter et juste deux minutes pour descendre ! », glousse-t-il. « Mais j'ai adoré. Ça m’est venu très naturellement. »
Quatre ans plus tard, Ali Shah revendique désormais le titre de skieur numéro 1 en Afghanistan et est le champion en titre du Défi annuel de Ski en Afghanistan (Afghan Ski Challenge), unique en son genre dans le pays. "J'aime ce que je fais. Je savoure la liberté quand je skie, je me sens délivré des restrictions et de la répression qui sévissent dans mon pays », dit-il pensivement.
Prodige naturel, Ali Shah a récemment été remarqué par un groupe de sponsors qui finance sa formation à St. Moritz, en Suisse, pendant l'hiver européen. Là-bas, Ali Shah s’entraîne pour représenter son pays aux Jeux olympiques d’hiver. « J’ai commencé tard ma carrière sportive mais je travaille dur pour me conformer aux normes internationales », me dit-il. « Je ne sais pas encore si je veux faire de la descente ou du slalom - tout dépend de mes progrès ici. »
Maintenant que le printemps est arrivé en Suisse, Ali Shah est de retour chez lui pour travailler non seulement à la ferme familiale mais aussi pour se battre contre la bureaucratie du Comité olympique afghan. «L’AOC fait partie du gouvernement pachtoune qui a de très mauvais préjugés à notre égard, les Hazaras[1] », explique-t-il. « La Fédération internationale de ski milite également en mon nom pour obtenir le permis nécessaire pour pouvoir représenter mon pays. Inshallah, pourvu que tout se passe bien ! »
Malgré les nombreux défis à venir, Ali Shah ne perd pas espoir et se concentre pour devenir le premier Afghan à participer aux Jeux d’hiver. « Je fais partie d'une nouvelle génération qui veut être le visage du changement dans mon pays, mais nous sommes confrontés à une politique corrompue et à des esprits fermés. Quoi qu’il en soit, mon rêve est toujours le même : porter le drapeau, remporter une médaille d’or au ski et être le héros de l’Afghanistan sous le regard du monde entier. »
[1] Les Hazaras, minorité de 8.000.000 en Afghanistan sont pour la plupart chiite (ismaéliens) dans un pays majoritairement sunnites.
Note : Ali Shah a finalement représenté son pays aux Jeux Olympiques de Pyeong Chang, en Corée du Sud. Voir l'article de CNN à ce sujet.
FORMIdea Londres, le 6 janvier 2019. Traduit de l’anglais par Pierre Scordia
Photo © Simon Urwin