Le terme « islamophobie » est-il devenu la nouvelle arme pour censurer le débat démocratique ?

Auteur: Charles Chardonnet

L’affaire remonte un peu mais fait encore débat : la grande enseigne de magasin de sport Decathlon était prête à commercialiser des hijabs mais elle a finalement fait marche arrière sous la pression de certains médias et politiciens.

Le jour où ce revirement a eu lieu, je discutais assis sur un carré d’herbe avec des amis d’université à Brest, sous un beau soleil printanier. Nous parlions de tout jusqu’au moment où nous avons abordé l’actualité de la semaine : l’affaire du hijab de Decathlon. J’étais le seul dans le groupe à défendre l’avis qu’on ne pouvait commercialiser une telle tenue sportive en France. Deux amis de La France Insoumise m’ont alors pris à partie en m’expliquant pourquoi cette interdiction était grossière et ridicule.

Leur première raison invoquée est l’aspect commercial. Selon eux, il est logique de répondre à la demande de hijabs en France. Si Decathlon veut en vendre, c’est parce qu’ils ont la possibilité d’en tirer des bénéfices. Cet argument est pour le moins étonnant, surtout de la part de personnes qui dénoncent la mondialisation et le capitalisme…

Le deuxième argument avancé est la liberté de culte. Selon eux, les femmes de notre pays seraient libres d’en porter s’il elles le souhaitent, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans la pratique d’un sport. Certes, mais la vente commerciale du hijab par Decathlon n’a rien à voir avec la laïcité, concept qui reste encore mal compris.

Leur dernier propos que j’ai retenu peut enfin se résumer ainsi : « On s’en fout ! ». Mes amis se moquent de la religion quelle qu’elle soit. Un hijab, un crucifix ou une étoile de David ne signifient rien à leurs yeux. Ces insignes et symboles religieux les indiffèrent totalement et ils ne comprennent donc pas pourquoi on en fait tout un scandale.

Face à eux, je me suis retrouvé seul, isolé et interloqué, avec un sentiment de passer pour un mec de droite aux idées fermées et malvenues. J’ai finalement renoncé à aller plus loin dans la discussion.

Selon moi, la commercialisation de hijab pour la pratique sportive en France n’a rien d’anodin. Au-delà de la volonté de se faire de l’argent sur un objet religieux, Decathlon participait indirectement à promouvoir l’islam conservateur comme progressiste en vendant des hijabs pour que les musulmanes puissent avoir une activité sportive - Mes amis imaginaient d’ailleurs que ces femmes ne pouvaient pratiquer un sport sans un hijab. C’est ici que réside le problème. Ces femmes ne pourraient-elles en faire sans, comme c’était le cas il y a quarante ans dans les pays arabes et en Iran ? Rappelons que la première athlète portant un hijab était une iranienne, Lyda Fariman, aux Olympiques d’Atlanta en 1996 (pour le tir à la carabine).

Quand on sait que les fédérations sportives de pays musulmans comme par exemple les monarchies du Golfe interdisent aux femmes de participer aux grandes compétitions mondiales si elles ne portent pas de hijab, il devient évident que promouvoir un tel accoutrement sportif dit progressiste est un mensonge. C’est masquer les pressions sociales que les femmes subissent. Pour les pays qui ont institutionnalisé un Islam « puriste », la commercialisation du hijab sportif dans les pays occidentaux est une manière d’être vue, d’être différenciée dans le monde lors de grands évènements sportifs. Or, la religion n’a rien à faire dans le sport qui ne fait aucune distinction de race, de sexualité, ni même de religion.

Ensuite, mes amis m’ont parlé de liberté de culte, de droit de porter ou non un hijab. Cependant un grand nombre de femmes qui en portent dans le monde ne connaissent pas cette liberté de choisir comme nous l’avons en France. Beaucoup de ces femmes ne choisissent pas de se couvrir la tête ; on le leur impose insidieusement ou brutalement. Les pays qui revendiquent un Islam conservateur ont une vue réductrice des femmes reléguées au rang de mères, d’épouses dévouées, soumises à leur mari. Si les hommes peuvent très bien pratiquer un sport en portant des vêtements qui mettent en avant leur musculature, ce n’est pas le cas de ces femmes à qui on rappelle ainsi leur devoir de pudeur, c’est-à-dire une liberté restreinte. Ainsi devient-il difficile de défendre un discours de liberté dans le sport quand des professionnelles - telles que l’escrimeuse américaine Ibtihaj Muhammas - proclament fièrement que c’est un choix libre de porter un hijab. Il serait utile de leur mentionner le cas de la judokate saoudienne, Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shaherkani, qui a participé aux Jeux Olympiques de Londres en 2012. Le père de l’athlète voulait l’obliger à porter un voile mais la Fédération internationale de Judo s’y opposa : une tenue islamique risquait de causer un étranglement. Finalement, un compromis fut trouvé qui consista à lui faire porter un bonnet.

Penser que ce port d’insignes religieux est anodin serait une erreur. Le hijab permet désormais de distinguer la vraie musulmane de la profane, la mauvaise musulmane. La banalisation du hijab s’oppose aux femmes qui se battent pour ne plus en porter, au risque d’être emprisonnées. Des militantes risquent la prison, parfois même leur vie pour s’en être dévêtues. L’avocate iranienne Nasrin Sotoudeh vient d’être condamnée pour refus du port du voile à 38 ans de prison et 148 coups de fouet. Certaines sont contraintes de fuir leur pays pour être libres de ne plus en porter.

Si le sujet du hijab en France fait autant polémique, c’est sans doute à cause du traumatisme qu’a connu le pays avec les attentats de 2015 et 2016 et la peur qu’ils ont suscitée, la laïcité reste aussi une valeur forte. Il est regrettable que l’extrême-droite en France monopolise le débat sur ce sujet, alors que des mouvements féministes luttent, eux aussi, contre le port du voile et du hijab ; d’autres féministes, il est vrai, ont le même discours que mes contradicteurs.

Il est important que nous ayons tous - et toutes - le droit de remettre en cause les principes et discours religieux, quelle que soit la religion concernée. Je ne crois pas que nous ayons été traités d’anticléricaux ou de « christianophobes » quand nous avons défendu le mariage pour tous et avons critiqué sans ambages le discours de l’église au sujet des homosexuels. Il est malhonnête et dangereux politiquement d’accuser d’islamophobie un citoyen qui exprime son opposition au port du hijab et à sa commercialisation dans le sport. 

form-idea.com Nantes, le 11 avril 2019.

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