Les tragédies des Circassiens – Tcherkesses

(Çerkesler)

Auteur: Rinaldo Tomaselli

Les Circassiens ne sont pas un peuple proprement-dit, mais un ensemble de douze tribus ethniquement et linguistiquement proches, de Ciscaucasie, auxquelles on relie souvent les Abkhazes qui sont, eux, de Transcaucasie. La Circassie était une région du nord du Caucase s'étendant du Bosphore cimmérien aux confins de la Tchétchénie et du Daghestan. Elle comprenait la majeure partie des territoires des provinces russes actuelles de Krasnodar et de Stavropol, et les républiques autonomes des Adygués, de Karatchaï-Tcherkessie et de Kabardino-Balkarie. Les habitants d'origine de ces contrées subirent deux génocides (1864, 1943) de la part de la Russie, qui aboutirent à la quasi-disparition des Circassiens de leur pays.

Lorsque les Russes annexèrent la Crimée en 1783, les peuples installés à l'Est et sujets des Ottomans, virent avec raison le danger de l'impérialisme tsariste sur leurs terres. Ils s'organisèrent donc pour lutter ensemble contre le grand empire, et les tribus circassiennes s'allièrent aux Nogaïs, aux Koumyks, aux Avars, aux Lezgis et aux Tchétchènes.

Les Russes passèrent immédiatement à l'offensive en prenant constamment des morceaux du territoire circassien et en édifiant de nombreuses forteresses. Les territoires conquis étaient vidés de leur population et on y installait des colons (Cosaques), notamment sur les côtes de la mer Noire et le long du fleuve Kouvan.

La vaillance des Tcherkesses fut vaine contre la puissance et le nombre des forces russes. Le 21 mai 1864, les chefs circassiens signèrent l'acte de reddition qui ouvrait tout le Caucasse du Nord à la Russie. Immédiatement, l'empereur Alexandre II fit donner lecture du rescrit stipulant que tous les montagnards devaient quitter leur région d'origine, soit pour s'établir dans les marécages de la plaine de Kouban, soit pour s'exiler vers l'Empire ottoman.

On estime en général que sur environ 1,5 million de Circassiens, seulement 100.000 s'établirent dans les plaines, le reste ayant fui vers l'Empire ottoman. Mais au moins 450.000 personnes auraient perdu la vie pendant l'extermination russe et l'exil forcé. Les villages furent brûlés, les biens confisqués, les vergers coupés, les puits comblés, afin d'éviter tout retour.

Les réfugiés circassiens, complètement démunis, furent accueillis dans l'Empire ottoman, d'abord dans les grandes villes de la mer Noire, puis furent redirigés vers les provinces des Balkans, d'Anatolie et du Proche-Orient. Les Oubykhs, qui avaient résisté aux Russes dans la région de Sotchi après l'acte de reddition furent exterminés dans leur majorité, tandis que les rares survivants rejoignaient l'Empire ottoman.

Avec la Révolution bolchévique, les Soviétiques créèrent trois républiques autonomes dans le sud de la Circassie, réunissant des Circassiens et d'autres peuples «montagnards». Cependant, les Circassiens y furent toujours minoritaires.

En 1943, Staline ordonne la déportation de l'ensemble des Circassiens, des Kalmouks, des Tchétchènes, des Ingouches et d'autres peuples de Circaucasie vers l'Asie centrale. Environ 1,5 million de personnes sont déportées du Nord Caucase, dont le tiers meurt pendant le transport ou peu de temps après leur arrivée, pa manque de vivres, par le travail forcé ou à cause des conditions sanitaires déplorables. Leurs villages sont soit rasés, soit remis à d'autres peuples également déplacés. Ceux qui n'ont pas pu être évacués dans le temps imparti sont massacrés par les troupes soviétiques. Les soldats caucasiens sont retirés du front avant d'être, eux aussi, déportés vers l'est du Kazakhstan.

Ce n'est qu'en 1957 que le gouvernement soviétique «pardonnera» les peuples «punis» (Circassiens, Balkars, Karatchaïs, Tatars de Crimée, Grecs, Allemands, Italiens de Crimée, etc.) et autorisera leur retour dans leurs terres d'origine, à l'exception des Allemands de la Volga, des Tatars de Crimée et des Meskhètes, qui devront attendre la fin de l'Union soviétique. 

L'ancienne Circassie ne correspond plus à rien de nos jours. Elle a été divisée en plusieurs provinces russes et en républiques autonomes où vit une majorité écrasante de Russes et d'Ukrainiens au milieu desquels les Circassiens ne sont qu'une petite minorité d'un peu plus de 600.000 personnes.

C'est en diaspora qu'il faut chercher la plus grande partie des 5 à 7 millions de Circassiens, et notamment en Turquie où réside la plus grande communauté, ils sont estimés entre 4,5 et 5 millions d'individus (7 selon certaines sources) répartis dans tout le pays et représentant les 12 tribus circassiennes.

Les Tcherkesses proprement-dits, c'est-à-dire principalement les tribus des Besleneys et des Mokhs, minoritaires par rapport aux autres Circassiens ont une trentaine de villages dans les provinces d'Amasya, d'Ankara, de Çorum, de Düzce, d'Eskişehir, de Kırkşehir, de Sakarya, de Samsun et de Tokat.

La zone de peuplement des tribus circassiennes est divisée en deux avec environ 890 villages. La première partie est une ligne d'environ 200km de large coupant le pays en deux, de Samsun à Antioche. La seconde partie se situe dans le sud-est de la région de Marmara. Dans certaines provinces, les Circassiens ont des territoires où ils sont majoritaires (Samsun, Düzce, Sakarya, Balıkesir, Tokat, Çorum, Yozgat). Ailleurs, ils sont présents dans les villages ou des groupes de villages isolés.

Longtemps les Circassiens ont évité de se mélanger aux autres habitants, mais aujourd'hui la mixité est très courante. Ils ont souvent conservé leur langue d'origine qu'ils utilisent entre eux et en milieux familiaux, mais l'assimilation peut être totale dans bien des cas (Oubykhs de la région de Manyas, etc.)

Environ 2 millions d'entre eux vivent dans des territoires russes hors de la Circassie historique ou anciennement russes (Kazkhstan). De grandes communautés sont présentes dans les anciens territoires ottomans : Syrie (90.000), Jordanie (100.000), Egypte et Libye (certainement plus de 100.000), Irak (19.000). De plus petites communautés sont aussi en Israël (4.000), en Bulgarie (2.000), au Kosovo, en Macédoine du Nord, en Géorgie et au Liban (quelques milliers). Les Tcherkesses / Circassiens vivant dans les pays occidentaux et notamment aux États-Unis, en Allemagne et en France sont généralement le fruit d'une émigration provenant de Turquie.

Quelques dizaines de familles circassiennes du Kosovo se sont installées en 1998 dans la République des Adygués, mais ce cas de «retour» est isolé.

Peuples circassiens et religions

 

Les douze tribus circassiennes auxquelles il faut ajouter les Abkhazes de Transcausie sont présentes dans le Caucase avant l'ère chrétienne. Le nom générique des «Tcherkesse» n'est pas celui d'une tribu particulière, même si de nos jours il y a tendance à désigner surtout les Besleneys qui sont majoritaires dans la communauté circassienne de la République de Karatchaï-Tcherkessie. On désigne aussi parfois faussement l'ensemble des tribus sous les noms de «Karbades» ou «Adyguéens», mais les noms des 12 tribus initiales sont préférables, soit : Abzakhs, Bzhédoughs, Hatukays, Kémergoys, Chapsoughs, Natukhays, Mokhs, Abazins, Yéjerkweys, Oubykhs, Kabardes et Besleneys.

En français, on utilise particulièrement le terme «Circassien» et parfois «Tcherkesse» pour l'ensemble, tandis qu'en turc on n'utilise pratiquement que le terme «Çerkez» (Tcherkesse). Le terme «Adygués» correspond à l'ancien nom des habitants de Circassie utilisé jusqu'au Moyen-Age, tandis que les Adyguéens sont les habitants circassiens de la République des Adygués.

Le christianisme pénétra en Ciscaucasie, avec la proximité des peuples de Transcaucasie (Géorgiens, Arméniens), dès le IVe ou le Ve siècle, mais la plupart des tribus restèrent fidèles au chamanisme. Le judaïsme pénétra également en Circassie par la proximité de l'empire juif des Khazars. Dès le XVIe siècle, sous l'influence des marchands tatars et des empires ottoman et perse, l'islam prit de l'importance, mais ce n'est qu'au début du XVIIIe siècle, alors que les Russes s'emparaient de leurs territoires, que les Circassiens se convertirent en masse. Le christianisme que l'on identifiait comme religion de l'occupant ne subsista que dans des proportions restreintes au sein des tribus circassiennes et des autres peuples ciscaucasiens. Seuls lesOssètes (favorables aux Russes) restèrent majoritairement chrétiens et les Kalmouks principalement bouddhistes.

Londres, le 3 juin 2019. Avec nos remerciements à Marina Rota.

Commémoration du génocide circassien

Le génocide des Circassiens (celui de 1864) est commémoré chaque année le 21 mai dans les pays où la diaspora est nombreuse, du proche-Orient à l'Europe du Nord, mais aussi dans plusieurs régions de Russie. Les descendants des réfugiés dans les pays où cela est possible se réunissent en bord de mer et jettent des fleurs à l'eau en souvenirs des milliers de gens qui ont perdu la vie en fuyant par bateau sur la mer Noire.

Photo : Istanbul 2015

Qui sont les Pacradounis ?

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3 thoughts on “Les tragédies des Circassiens – Tcherkesses

  1. Michelle Grandinetti says:

    Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine a en étonné plus d’un. On se demande bien pourquoi après cette petite lecture. L’expansionnisme russe est une constante depuis des siècles. Qui, depuis que M.Poutine est au pouvoir a paru s’en soucier ? Il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut voir dit-on. Ce que l’on avait sous les yeux ne semblait troubler personne. Pour nous aussi, Occidentaux, cela parait être une constante…et pourtant ! Nous avons le droit de rêver à un monde meilleur, encore faudrait-il se donner les moyens d’y parvenir.

    1. Vous avez tout à fait raison. Malheureusement, les dirigeants allemands et français pensent qu’on peut toujours négocier avec Poutine… Or la mafia nationaliste qui est au pouvoir à Moscou veut la disparition de l’Ukraine (& du Bélarus) et la reconstitution d’une empire russe, quel que soit le coût économique et humain.

  2. Malik says:

    Je suis aussi un circasien adıge et nous avons eu beaucoup de difficultés en Turquie.

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