Tchernobyl et la culture du secret

 

Auteur : Pierre Scordia

La nouvelle série américaine Tchernobyl produite par HBO et réalisée par Johan Renck est à la fois captivante et instructive. On revit d’abord les moments qui ont suivi l’explosion du réacteur numéro 4 et au fur et à mesure, on découvre les étapes qui ont mené à cet accident. On comprend à quel point le système bureaucratique de l’Union Soviétique était absurde, incompétent et dangereux. Soucieux de promotions, du respect des formulaires et de leur réputation, les trois responsables de la centrale ont pris des risques incalculables en décidant de retarder d’une journée le test pour répondre aux quotas industriels des bureaucrates soviétiques de Kiev et en procédant au test en pleine nuit avec une équipe qui n’était ni informée ni même formée pour de telles manœuvres. Le résultat aurait pu être beaucoup plus grave si Moscou n’avait pas envoyé des « bio-robots » (euphémisme pour hommes dont un grand nombre de jeunes conscrits), pour déblayer les morceaux de graphite ultra-radioactifs sur les toits de la centrale. Des mineurs sont venus creuser sous le réacteur et consolider le socle afin qu’il ne s’effondre pas et que la lave - créée par le sable versé sur le réacteur – ne s’écoule pas dans la rivière Pripyat et ne contamine à jamais le fleuve Dniepr et la Mer Noire.

Si la culture du secret et du mensonge n’avait pas eu lieu dans cette Union Soviétique gouvernée à l’époque par ce « jeune » réformateur Mikhaïl Gorbatchev, on aurait sans doute pu sauver des centaines, voire des milliers de vies humaines. Trop soucieux de leur notoriété, les responsables sur le terrain ont minimisé le degré de dangerosité de l’accident, tandis que le politburo ne voulait aucunement le jeu de la transparence pour ne pas entacher l’image internationale du pays et surtout celle de la technologique soviétique. Les autorités attendirent 3 jours pour évacuer la ville de Pripyat (peuplée de 50.000 habitants). Le taux de cancer en Ukraine et en Biélorussie reste encore très élevé aujourd’hui (cancer de la tyroïde surtout).

Lors d’un voyage à Kiev, une Ukrainienne russophone dont le père est un ancien soldat de l’armée soviétique m’a avoué qu’elle avait voté pour l’indépendance de l’Ukraine en 1991 à cause de la désinformation sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Selon elle, beaucoup d’Ukrainiens à cette époque pensaient que la vie et le bien-être des Ukrainiens ne comptaient pas aux yeux du pouvoir russe. Ainsi quand Mikhaïl Gorbatchev a affirmé que la véritable raison de l’effondrement de l’Union Soviétique était le désastre nucléaire de Tchernobyl, il avait sans doute bien mesuré toutes les conséquences psychologiques et politiques de l’accident. Une Union Soviétique sans l’Ukraine était inimaginable.

La culture soviétique du mensonge et du secret a fini par être contre-productive et rejetée par l’ensemble des différentes populations qui ont constitué cette grande union de 69 ans. Un sentiment de colère et d’humiliation est né à la suite de la révélation que les centrales nucléaires n’étaient pas construites selon les normes de sécurité afin d’épargner de l’argent - le tout couvert par les agents corrompus du KGB. Si le scientifique Valeri Legasov – qui était le directeur adjoint de l’Institut de l’énergie atomique de Kourchatov - ne s’était pas suicidé, la connaissance de la vérité aurait été retardée.

Une culture plus transparente aurait probablement permis aux pays occidentaux de prendre des mesures adéquates pour protéger leurs populations du nuage radioactif qui a traversé l’Europe les jours suivant la catastrophe et de venir en aide aux Soviétiques. Certains pensent que les Occidentaux auraient pu prêter des robots capables d’affronter la radioactivité pour enlever les morceaux de graphite à Tchernobyl. Finalement, l’immense sarcophage qui isole aujourd’hui le réacteur 4 a été financé par l’Union Européenne.

Le plus inquiétant dans cette histoire est que la culture du secret et du mensonge semble être revenue avec l’arrivée de l’ancien agent du KGB au pouvoir au Kremlin : Vladimir Poutine. Il suffit d’observer les deux accidents de sous-marins nucléaires russes en 2008 (du Koursk) et en 2019 (du Losharik) pour se rendre compte qu’en Russie, les vieilles habitudes reprennent le dessus. Enfin, on n’ose imaginer ce qui se passerait pour les populations de Chine, du Japon et de Corée du Sud si une catastrophe nucléaire se produisait en Corée du Nord.

En regardant la série américaine remarquable « Tchernobyl » dont les acteurs sont convaincants, on s’aperçoit des dangers et de l’horreur causés par le nucléaire. L’accident de Tchernobyl aurait pu irradier de façon irrémédiable toute l’Ukraine, le Belarus, la Pologne, les pays baltes, la Hongrie, la Moldavie, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Quand on pense qu’un petit territoire comme la France a plus de 58 réacteurs nucléaires en fonction et qu’il suffit d’un incident ou d’un attentat pour détruire une grande région, on ne peut que s’opposer à l’utilisation d’une telle énergie dangereuse. Une énorme tempête solaire pourrait détruire le réseau électronique sur la Terre comme celle de 1989 qui provoqua l’écroulement du réseau électrique d’Hydro-Québec. Dans un tel scénario, l’arrêt d’une centrale sans un système de refroidissement en marche annoncera la fin de la France et de l’Europe occidentale.

form-idea.com Londres, le 8 juillet 2019. Lire cet article en espagnol

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