Qui étaient les Levantins ? (Levantenler – en turc)

Auteur: Rinaldo Tomaselli

En Turquie et dans le reste de l’Europe orientale et au Proche-Orient, le terme « levantin », désigne les habitants de l’ancien Empire ottoman, ayant des origines occidentales et excluant les Juifs, considérés comme autochtones. Les Levantins sont parfois désignés sous d’autres noms (Francs, Latins).

L’installation des Occidentaux s’est faite progressivement depuis le Moyen-Âge jusqu’à la fin de l’Empire ottoman en 1923, avec des vagues successives plus ou moins importantes, la première de ces vagues étant celle des Vénitiens à Constantinople au XIe siècle. C’est en effet en 1084 que l’empereur Alexis Ier signe l’acte (Chrysobulle) qui accorde des privilèges commerciaux à Venise dans tout l’empire et permet aux Vénitiens d’occuper un quartier à Constantinople. D’autres accords entre l’empereur et les cités maritimes italiennes amèneront encore des milliers d’Amalfitains, de Pisans et de Génois dans l’empire d’Orient.

Rivalités entre Vénitiens et Génois

La population latine de Constantinople atteignait en 1182 les 60.000 personnes, à une époque où la politique de la régente (latine) Marie d’Antioche favorise autant les marchands italiens que la présence de l’Église catholique. Les Constantinopolitains sont excédés par cette politique de favoritisme, ce qui débouchera au moins d’août 1182 sur le massacre des Latins. La foule en colère attaqua le quartier et incendia les églises, tuant les prêtes et ceux qui se trouvaient sur leur passage. On ne sait pas à combien se monte le nombre des victimes, mais vraisemblablement à des milliers. Des milliers d’autres furent vendus aux Seldjoukides. Les émeutiers s’en prirent ensuite à la régente et à l’empereur qui furent tous les deux assassinés.

On ne pouvait s’en prendre impunément aux citoyens de la Sérénissime et la vengeance allait être terrible pour les Byzantins. En 1185, Venise et les Normands de Sicile attaquent la côte dalmate, prennent la ville de Dyrrachium puis pénètrent à l’intérieur des Balkans, pour prendre la ville de Salonique en Macédoine. Mais le pire était à venir : en 1202, Venise détourne la IVe croisade d’abord sur la ville de Zadar, possession hongroise en Croatie, avant de se diriger vers Constantinople. Les croisés renversent l’empereur et prennent le pouvoir en avril 1204 avec à leur tête Baudouin IX de Flandre. Jamais dans l’Histoire, une ville n’a été pillée comme Constantinople ne l’a été par les Occidentaux. La Ville des villes fut partiellement incendiée, tandis qu’une partie de la population fut massacrée.

Les Byzantins reprendront le pouvoir en 1261 avec l’aide des ennemis héréditaires des Vénitiens, les Génois. Ils accorderont les mêmes avantages commerciaux aux Génois qu’à leurs prédécesseurs vénitiens. La population latine, qui n’avait pas totalement disparu de Constantinople, se développa encore avant l’arrivée des Ottomans sur les berges du Bosphore, en 1387. L’Empire moribond des Byzantins fut achevé par la prise de la capitale en 1453 par Mehmet II le Conquérant. Mais les Latins qui avaient négocié avec le sultan et dont leur ville Galata se situait en face de Constantinople, sur la rive nord de la Corne d’Or, purent se maintenir après la fin de Byzance. L’Empire ottoman entrera souvent en guerre contre les États italiens, mais la population latine n’arrêtera pas de croître jusqu’au début du XXe siècle, allant même refluer vers les grandes villes ottomanes, lors des pertes territoriales de l’Empire, notamment en Ionie, en Thessalie et en Crimée.

Les capitulations

En 1534, un traité est signé entre François Ier de France et Soliman le Magnifique, qui permettra aux Français de s’installer dans l’Empire et commercer sans presque payer d’impôts. Cette disposition, appelée « capitulation », encouragera les commerçants provençaux et toutes sortes d’aventuriers à s’installer en Europe orientale d’abord, puis suivant les conquêtes ottomanes, au Proche-Orient et en Afrique du Nord.

Les décennies suivantes, ce sont les Hollandais et les Anglais qui obtiendront les mêmes avantages, puis les Russes et les Suédois. Ainsi plusieurs communautés étrangères allaient s’épanouir non seulement dans les trois villes du cœur de l’empire (Constantinople, Smyrne et Salonique), mais aussi dans d’autres centres importants comme Alep, Beyrouth, Alexandrie, Alger ou Le Caire.

Si les protestants étaient bien implantés (Hollandais, Suédois et Anglais), les Catholiques ont toujours été les plus nombreux (Italiens, Français). Les mariages mixtes entre Occidentaux et Orientaux n’étaient pas rares, mais toujours entre Catholiques (Syriens catholiques, Arméniens catholiques, Chaldéens ou Grecs catholiques).

Influences françaises et britanniques

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’Italien était la langue la plus parlée par ces Occidentaux d’Orient, mais par la suite, le français le supplanta. Avant le partage de l’empire et avant la Première guerre, les Levantins avaient une puissance commerciale importante et une influence certaine sur la politique. Ainsi deux banquiers levantins de Galata (Lorando et Tubini), réussissent à faire intervenir la flotte française pour se faire rembourser une dette contractée par le sultan (1901).

Leur puissance n’est d’ailleurs pas toujours bien mesurée par le gouvernement et c’est avec inquiétude que l’on constate, en 1880, que la population d’origine italienne à Tunis a dépassé les 10.000 personnes. En novembre 1914, alors que les puissances occidentales et la Russie se sont déjà entendues sur le partage de l’empire, les Ottomans entrent en guerre aux côtés de l’Autriche-Hongrie, de la Bulgarie et de l’empire d’Allemagne. Les Levantins d’origine italienne, française ou anglaise, doivent précipitamment quitter le pays et leurs biens sont confisqués par l’État. Les capitulations sont abolies et c’est ainsi la fin d’un régime de faveur qui était né presque 400 ans auparavant.

Les Levantins du Proche-Orient ont pu se maintenir en place plus facilement qu’ailleurs, à cause de l’occupation de l’Égypte par les Anglais et de l’avancée rapide de leurs troupes en Mésopotamie et en Palestine.

Après la guerre, certains Levantins retournèrent à Constantinople, Smyrne, Mersin et Adana, mais la majorité s’installa dans leurs pays d’origine. D’autres s’installèrent dans le pays dont ils avaient la nationalité par le jeu des alliances familiales et des avantages qui en découlaient. D’autres encore émigrèrent en Amérique.

form-idea Istanbul, le 1er novembre 2019. Avec nos remerciements à Marina Rota.

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