LES RÉVÉLATIONS DE SUNDANCE- 2021 -

Autrice: Beverly Andrews

Sundance

Les festivals du film représentent une étape vitale pour le Septième Art car d’une part, ils offrent l’occasion de présenter aux médias de nouvelles œuvres des quatre coins du monde et d’autre part, ils remplissent la fonction d’ambassadeur pour l’industrie cinématographique. Chaque festival a sa propre mission : Cannes est réputé pour son côté chic - ‘glamour’ comme on dirait en anglais, Venise pour la promotion de films d’auteur - rappelons qu’un réalisateur ne se contente pas de diriger, il présente aussi sa vision du monde, Toronto se valorise par son buzz médiatique. Aucun d’entre eux ne remplit aussi bien la mission de Sundance, tremplin pour jeunes réalisateurs. À bien des égards, Sundance sert de contrepoids aux festivals traditionnels, il est d’ailleurs aujourd’hui considéré comme le leader du cinéma indépendant. Il a même réussi à surpasser les festivals prestigieux depuis de nombreuses années notamment en mettant à l’affiche des réalisatrices et réalisateurs issus des minorités, il est devenu le vrai reflet des sociétés.

Dans une industrie désormais dominée par les grands groupes, Sundance s’assure que d’excellents petits projets personnels auront une portée mondiale, il ne peut que sortir du lot puisqu’il a été fondé par Sterling Van Wagenen – ancien directeur de la société de production de Robert Redford (Wildwood) et par John Earle, de la Utah Film Commission. A cela s’ajoute une déclaration du festival : respecter les peuples autochtones, gardiens historiques de la terre d’Utah où se déroule cette grande manifestation.

Cinéma indépendant

Dans son histoire relativement jeune, Sundance a servi de rampe de lancement pour plusieurs films primés dont Call me by Your Name, Resevoir Dogs et Precious pour n’en nommer que quelques-uns ; la liste est longue. Il est un événement cinématographique à la fois important et original. Beaucoup se sont demandé à quoi ressemblerait le festival dans sa version en ligne de cette année, compte tenu des ravages de la pandémie de la covid-19. Sera-t-il capable de reproduire la magie des années précédentes ? Oui, le festival a tenu son pari et nous avons sélectionné, sans ordre particulier, une liste d’excellents long-métrages qui y étaient présentés.

1. Judas and the Black Messiah (USA)

Judas and the Messiah jette un regard percutant sur la relation tendue entre le chef du parti des Panthères Noires, Fred Hampton et l’informateur du FBI, William O’Neil qui finira par le trahir. Le film met en lumière la capacité légendaire de Fred Hampton à atteindre les communautés marginalisées au-delà des frontières raciales, il prouve qu’une société économiquement injuste finit par affecter tout le monde. Il cherche par ailleurs à expliquer la trahison de O’Neil.

Ce film étonnant, écrit, produit et réalisé par Shaka King est de la même trempe que l’œuvre Martin Scorcese. Les performances de Daniel Kaluuya et de Lakeith Stanfield sont impressionnantes. Judas and the Messiah est assuré d’un succès à la fois critique et commercial.

2. AILEY (USA)

Ailey est un documentaire sur la carrière du légendaire chorégraphe afro-américain Alvin Ailey ; la compagnie qui porte son nom est sans doute l’une des plus célèbres dans le monde. Même les gens qui ne s’intéressent pas à la danse veulent en voir les spectacles. Quand on les interroge sur les raisons de leur déplacement, ils répondent tout simplement que la troupe Ailey « transcende la danse ». Par contre, le fait curieux est que son fondateur Alvin Ailey reste très peu connu. Ce film, magnifiquement réalisé par Jamilia Wignot, montre qu’Alvin Ailey le voulait ainsi. Selon les témoignages présentés dans ce documentaire, Ailey semblait éprouver de la difficulté à tisser des liens autrement que par la danse ; selon lui, toute notre histoire est contenue dans notre corps, dans notre façon de bouger, dans la manière dont nous dansons. Les mots n’auraient aucune importance.

Le documentaire comprend des scènes de danse les plus notoires d’Ailey dont Revelations and Cry, une chorégraphie consacrée aux femmes noires de partout, sans oublier sa mère, femme élégante dont le destin l’amènera du Sud profond où elle était femme de ménage aux grandes capitales du monde où elle assistera aux représentations organisées par la compagnie de danse de son fils. Par ailleurs, ce film nous permet de participer à des rencontres avec les grandes étoiles de la compagnie Ailey dont la rayonnante Judith Jamison. Cependant, il ne dissipe point le mystère qui a entouré Ailey tout au long de sa vie… mais au final, cela importe peu car nous nous laissons guider subjugués par la beauté de son art.

3. President (Zimbabwe)

President, réalisé par Camilia Nielsson, enquête sur la lutte en cours au Zimbabwe pour établir une vraie démocratie représentative. Il s’agit d’un documentaire sincère qui pose une grave question : comment un pays qui a été aussi longtemps corrompu peut-il mettre en place des élections libres et justes ? Ce film ne donne pas de réponse catégorique mais il crée un sentiment d’espoir car la ténacité des Zimbabwéens est à toute épreuve.

4. The Most Beautiful Boy in the World (Suède)

The Most Beautiful Boy in the World, (Le plus beau garçon du monde) réalisé par Kristina Lindström et Kristian Petri, raconte l’histoire tragique et déchirante de Björn Andrésen qui a joué au côté de Dirk Bogarde dans le remarquable film Mort à Venise de Luchino Visconti, chef d’œuvre qui fut salué mondialement par la critique.

Le film porte un regard dévastateur sur le prix de la célébrité immédiate. Björn Andrésen a perdu ses deux parents lors de la réalisation du film et s’est retrouvé seul et fragile face à la renommée internationale faute d’être guidé.

Vision féminine

Le festival de Sundance est connu aussi pour valoriser le cinéma féminin dans une industrie dominée par les hommes. Le fait qu’une seule femme ait remporté l’oscar du meilleur réalisateur (-trice) constitue un facteur crucial pour remettre en question le conformisme hollywoodien. Cette année, les films marquants sont :

5. Passing (USA)

Passing, réalisé par Rebecca Hall est une adaptation envoûtante du roman américain Harlem Renaissance de Nella Larsen. L’histoire se passe dans les années 20 et traite du « passage racial » où des personnes utilisent une identité raciale qui n’est pas la leur. Dans « Passing » deux afro-américaines au teint clair se font passer pour deux femmes blanches, l’une provisoirement tandis que l’autre choisit cette identité de façon permanente afin d’échapper aux préjugés et à la marginalisation.

Ces deux amies éloignées se retrouvent par hasard et cette rencontre va changer radicalement leur vie. Le film est tourné dans un noir et blanc lumineux avec une distribution brillante dont Tessa Thompson, Ruth Negga et André Holland, l’acteur principal de Moonlight, film primé aux Oscars en 2017.

Pour un premier film, Passing surprend, mais si on s’attarde sur l’histoire familiale de la réalisatrice, en particulier la mère de Rebecca Hall, la célèbre chanteuse d’opéra Maria Ewing, on comprend ce choix. On apprend que Maria Ewing était en réalité métissée et que son père était noir. Sa mère a donc vécu dans ce passage racial, thème central du long métrage. Hall déclare qu’après plusieurs conversations ‘évasives’ avec sa famille, elle a essayé de se mettre dans la peau d’une telle femme, d’une « passante banche » qui jouit de nombreux privilèges par le simple fait de son apparence. Le film montre comment l’histoire raciale toxique de l’Amérique à pousser à faire ces choix déchirants.

6. Writing with fire (Inde)

Writing with fire, (Écrire avec le feu) Réalisé par Rintu Thomas et Sushmit Ghosh, est un film extraordinaire qui retrace le travail de la seule agence de presse indienne dirigée par des femmes. Ce documentaire montre comment les journalistes qui y travaillent doivent non seulement lutter contre le sexisme omniprésent dans la société indienne mais aussi contre les préjugés sur les castes puisqu’elles proviennent de la classe sociale la plus basse de l’Inde, les Dalits. En les regardant travailler, on conclut que ces femmes sont de super héroïnes modernes. En dénonçant la violence domestique, les viols et la corruption grâce à leurs papiers et à leurs vidéos disponibles en ligne sur leur chaîne YouTube, ces Indiennes ont fait bouger les lignes. Grâce à leurs enquêtes, des procès ont eu lieu et des peines ont été prononcées. Dans un pays où des dizaines de journalistes se font assassiner chaque année, le travail de ces femmes ne peut qu’être courageux et élogieux. Leur chaîne YouTube est regardée désormais par des millions d’Indiens.

7. Hive (Kosovo)

Hive. (Ruche) - Il s’agit d’une histoire étonnante mais vraie, celle d’une femme au Kosovo prénommée Fahrije qui est sans nouvelles de son mari disparu depuis la guerre civile en Yougoslavie. Malgré les menaces terribles proférées contre elle dans cette société kosovare très conservatrice, elle décide de créer sa propre entreprise avec le soutien de veuves de son village et d’en faire une entreprise internationale.

Hive est un film magnifique et plein d’espoir, réalisé par la kosovare Blerta Basholli. Même dans un contexte de guerre et de difficultés économiques, les femmes ont la capacité de surmonter les obstacles et de triompher grâce à une détermination bien arrêtée.

8. Coda (USA)

Le film Coda a été le grand gagnant cette année. Il est à la fois beau et touchant, il met en scène une jeune femme sourde – née dans une famille sourde - qui sera amenée à faire un choix lorsqu’on découvrira qu’elle cache une superbe voix et qu’elle est une chanteuse exceptionnelle.

Ce film a remporté le Grand Prix du Jury (US Grand Jury Price), le prix de la réalisation et le prix spécial USA pour la distribution. Il les mérite parce que ce long-métrage est comme un rayon de soleil qui réchauffe nos cœurs en ces temps sombres.

Attention particulière : 9. Faya Dayi (Éthiopie)

Le film Faya Dayi a retenu toute notre attention. Il s’agit presque d’un regard hallucinogène sur la tradition de la récolte du khat, une substance stimulante récoltée en Éthiopie.

Grâce à des images d’une beauté époustouflante, le film met en évidence et les avantages de cette culture et ses effets destructeurs.

10. R#J (USA)

R#J est une refonte brillante de la tragédie classique de Roméo et Juliette sur fond de réseaux sociaux : presqu’entièrement tourné sur téléphones portables, le film est une version rafraîchissante du drame shakespearien. Même s’il n’atteint pas le sommet de la perfection du genre tragique, sa façon de raconter ce classique est originale, ce qui fait d’ailleurs la marque de Sundance.

Que Sundance soit en présentiel ou en ligne l’année prochaine, il est certain qu’il nous réservera une nouvelle fois des moments cinématographiques magiques.

Form-idea Londres, le 10 avril 2021. Traduit de l’anglais par Pierre Scordia

Follow Us

Facebooktwitterlinkedinrssyoutubeinstagram

Read in English

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *