Loire-Atlantique : couac démocratique
Après le mouvement des Gilets Jaunes qui par son ampleur a secoué toute la classe dirigeante du pays en 2018, l’omnipotent Président promet d’être à l’écoute du peuple dans l’espoir d’atténuer la colère populaire contre les élites. Cette même année, une association bretonne de Nantes, Bretagne Réunie, récolte 105.000 signatures d’électeurs inscrits sur les listes électorales de Loire-Atlantique pour qu’une consultation sur le rattachement de leur département à la région Bretagne soit organisée puisque la loi NOTRe l’y autorise.
Le président du conseil départemental, Philippe Grosvalet, grand social-démocrate de la vieille école dont les principes démocratiques socialistes sont à géométrie variable sort de ce pétrin breton en jouant un tour de passe-passe politique. Il refuse la consultation populaire arguant que le résultat du précédent référendum organisé par François Hollande en Loire-Atlantique sur le projet du grand aéroport Notre-Dame-des-Landes n’avait pas donné suite - les opposants à ce projet dont de nombreux anarchistes et Black Blocs avaient fait plier l’État par leurs actions violentes ; la volonté populaire pour un nouvel aéroport, actée par le référendum, a donc été ignorée.
Philipe Grosvalet décide d’un débat rapide suivi d’un vote des conseillers départementaux acquis à leur hiérarchie ; en effet, les suiveurs dociles et pas désintéressés votent contre le rattachement du département à la région Bretagne mais se prononcent pour la tenue d’un référendum décisionnel organisé par l’État, sachant que cette requête restera lettre morte. Depuis lors, le gouvernement fait la sourde oreille même si toutes les grandes villes de la Bretagne historique ont souhaité officiellement la tenue d’un référendum : Nantes, St-Herblain, St-Nazaire, Rennes, Brest, Quimper, Vannes, St-Brieux, etc.
Le Nantais François de Rugy, jadis fervent partisan de la réunification de la Bretagne, réoriente sa carrière politique suite au HomardGate révélé par Mediapart. Le crustacé chic a contrarié son appétence de destin national, il se contentera d’avenir régional ; une présidence du haut conseil régional des Pays-de-la-Loire le satisfera. Avec raison, il veut mettre fin à la construction ridicule d’une identité ligérienne pour valoriser les identités plurielles qui composent cette entité administrative : bretonne, vendéenne, angevine, mancelle et mayennaise. Pour avoir fréquenté le président souverain, il sait que le maître du pays refuse l’intégrité territoriale de la Bretagne, jugée dépassée, même si tous les sondages révèlent le contraire : 80% des habitants de Loire-Atlantique souhaitent la tenue d’un référendum et 63% le rattachement à la Bretagne (Ifop, Mai 2021, sondage financé par la très dynamique association nantaise « À la bretonne »).
La presse régionale dépendante des subsides gouvernementaux, Ouest-France en tête, s’empresse de valoriser l’identité dite « ligérienne » et minimise le fait breton en Loire-Atlantique. Elle ridiculise même les activistes pro-bretons et leurs revendications jugées archaïques. Ainsi Hervé Le Bras, entre autres, qui a pignon sur rue, a toute liberté pour pourfendre les partisans de la Bretagne à 5 départements. Dans une longue interview il souligne que Nantes est de toute façon « excentrée » de la Bretagne – oui, et alors ? idem pour Édimbourg en Écosse, Vienne en Autriche, Vilnius en Lituanie, Copenhague au Danemark. De plus, Lille et Strasbourg, capitales de nouvelles grandes régions, sont des villes frontalières. Pourtant, il déclare que Nantes a été capitale de la Bretagne, pour un temps très court dans l’histoire s’empresse-t-il de rectifier. Un tel argument traduit une méconnaissance de l’histoire médiévale. Il n’y avait pas de capitale dans les royaumes et principautés en Europe avant le XVe et XVIe siècles – Les cours changeaient de lieu régulièrement : En France, entre Paris, Bourges et Blois, en Angleterre entre Coventry et Londres, dans le puissant duché de Bourgogne, entre Bruges, Gand, Bruxelles et Dijon et en Bretagne entre Vannes, Nantes et plus rarement Rennes. Nantes fut en fait la seule vraie première capitale des Ducs de Bretagne au XVe siècle et la ville a joué un rôle central dans la formation d’une identité politique bretonne.
Par ailleurs, Hervé Le Bras parle de cohérence économique dans la construction des Pays-de-la-Loire. Alors ma question : pourquoi n’a-t-on pas fait la même chose avec les Pays de la Seine (Rouen serait plus proche de Paris économiquement que de Caen) ou les Pays du Rhône ou les Pays de la Garonne (synergie entre Toulouse et Bordeaux). Nous pourrions déconstruire toutes les identités régionales à des fins économiques, comme on pourrait détruire les identités nationales pour une Europe supranationale.
Enfin, il évoque comme le font de nombreux opposants, la prétendue opposition entre Rennes et Nantes, comme si deux villes importantes ne pouvaient faire partie d’une même région. Metz et Nancy ont longtemps appartenu à une même région ainsi que Nice et Marseille.
Il est urgent que le Pays Nantais soit incorporé administrativement à la région Bretagne afin que cesse cette campagne absurde de déconstruction identitaire. Lorsque vous regardez une carte aujourd’hui, vous verrez écrit en gros « Pays de la Loire » sur le département de la Loire-Atlantique et non sur les autres départements de cette région. Les trains régionaux sont peints en grosses lettres tapageuses avec le nom de la région. On interdit que les autocollants 44 Bretagne soient affichés sur les plaques d’immatriculation. Tout est fait pour que l’étranger qui arrive en Loire-Atlantique constate que ce département n’est plus breton. Ainsi de grands journaux comme The Guardian et The New York Times parleront de Nantes comme « A City in Western France » alors que Rennes restera « A city in Brittany ». En réalité, Rennes n’est pas plus bretonne historiquement et culturellement que Nantes.
Toutes ses manigances révèlent la nocivité d’un régime présidentiel qui ne correspond plus aux valeurs d’aujourd’hui. Le pouvoir quasi-absolu serait comme une drogue qui donnerait à l’élu suprême un sentiment trompeur que « la France, c’est lui ». Les ministres d’un tel régime ne sont que des caisses enregistreuses. Il suffit d’écouter les piteuses réponses de la Ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, au Palais du Luxembourg, qui répondait aux questions du sénateur de Loire-Atlantique, Ronan Dantec, pour se rendre compte du dysfonctionnement au sein de l’état. Face aux arguments pertinents avancés par le parlementaire, celui-ci lui ayant indiqué les contradictions dans les discours tenus par la ministre, elle lâche « ce n’est pas à l’ordre du jour » puis chevrote « Vive la Bretagne, Vive les Bretons ». Une ministre qui refuse de répondre aux questions des parlementaires en dit long sur la santé de notre République.
En privant les habitants de Loire-Atlantique de choisir la région dans laquelle ils veulent habiter, en interdisant les signes bretons comme le tilde, en rendant inconstitutionnelles les écoles d’immersion en langue bretonne, l’État français semble se tromper de cible. Ce ne sont pas les Bretons qui remettent en question les valeurs universelles de la République.
form-idea.com, le 20 juin 2021.