John Beaufort nommé duc de Somerset
Avant l’expédition, Somerset fait monter les enchères auprès d’Henry VI en lui demandant carte blanche. Il craint que ses droits ne soient outrepassés ou limités par le lieutenant-gouverneur de la Normandie, le duc d’York ; pour le rassurer, le roi proclame John Beaufort « duc de Somerset », afin de le mettre sur le même piédestal qu’York et lui confère des pouvoirs suprêmes sur toutes villes qui seront conquises dans le royaume de France et dans le duché de Normandie, où il pourra nommer qui bon lui semble et prélever des impôts à sa guise. [8] Certes, cette combine politique facilite la tâche de Somerset mais elle demeure maladroite car elle ne fait que diviser la cour en accentuant l’inimité entre les York et les Beaufort. Il est improbable que Somerset, qui pourra désormais s’ingérer dans les affaires normandes, trouve chez le duc d’York un allié coopératif.
Pour l’historien Johnson, la nomination de Somerset comporte une certaine logique puisque l’argent investi dans le gouvernement en Normandie ne rapporte rien pour la couronne, aussi vaut-il mieux miser sur la protection des autres territoires, notamment la Guyenne. Comme le trône n’a plus les moyens financiers d’assurer la défense des deux duchés normand et gascon auxquels, rappelons-le, le peuple anglais tenait, il serait sensé alors de parier sur des troupes mobiles pouvant secourir le duché le plus menacé, sans être retenu par une autorité autre que celle du roi.[9]
La nomination de Somerset aura des conséquences désastreuses sur les relations anglo-bretonnes et par conséquent sur l’avenir de la France anglaise.
L’expédition anglaise contre La Guerche
Dès les préparatifs de l’expédition, Somerset est critiqué car les retards injustifiés chaque jour endettent davantage la couronne anglaise. Le délai de 2 mois coûte 500 £ par jour au roi. Somerset n’atteint Cherbourg que le 12 août 1443.
Les seules sources disponibles sur l’itinéraire des troupes de Somerset et de la prise de La Guerche viennent des chroniques. Or celles-ci se contredisent suivant leur lieu d’origine. Les chroniqueurs français et bourguignons (Basin, Berry et Waurin) relatent que l’armée de Somerset descend vers l’Anjou, pille La Guerche avant de mettre le siège pendant deux mois devant Pouancé, ville angevine,[10] tandis que les chroniqueurs bretons (Gruel, Le Baud, Bouchart et Argentré) rapportent que Somerset prend La Guerche après son fiasco devant Pouancé dont le siège n’aurait duré que trois semaines. Les soldats de Somerset se livrent à des pillages dans les campagnes mancelles et angevines mais ils ne commettent pas d’exactions en Bretagne. Somerset occupe seulement La Guerche parce qu’il estime que François 1er a rompu l’alliance que Jean V avait signée en octobre 1440. Ainsi trouve-t-il légitime de demander une rançon de 20.000 saluts d’or au duc de Bretagne au titre de réparation pour trahison.[11]
S’agit-il vraiment d’une trahison ? Le statut politique de La Guerche est complexe car elle est à fois dans le duché de Bretagne et dans la seigneurie de Beaumont, appartenant au duc d’Alençon, ce qui fait d’elle une ville exemptée d’impôt ducal.[12] Par sa double juridiction franco-bretonne, la ville en profite pour servir de base aux Français afin d’effectuer de temps à autre des incursions contre les Anglais. Déjà en 1432, Jean V doit négocier avec le capitaine de la place, un homme du duc d’Alençon, pour que le pacte de non-agression soit respecté :[13] effort vain semble-t-il puisque le comte de Somerset, Edmund Beaufort, lance une première attaque contre La Guerche en 1438 en raison du soutien de la ville à la cause Valois.[14] On peut donc conclure que La Guerche rompt régulièrement le traité de paix anglo-breton au vu et su de tous et qu’il y a bien félonie de la part des dits Bretons de La Guerche. Cependant, l’erreur de Somerset est d’opérer comme s’il s’agissait d’une France lancastrienne puissante, comme celle de l’époque du Régent. Or les Anglais ne sont plus dans l’état militaire et financier d’imposer leur volonté aux ducs de Bretagne par l’intimidation à l’heure où ceux-ci servent de médiateurs pour arranger une paix entre Henry VI et Charles VII.
Conséquences politiques du raid contre La Guerche
Les conséquences sont désastreuses pour l’Angleterre car cet incident lui enlèvera l’allié incontournable pour la défense de la Normandie. L’attaque contre La Guerche surprend les Bretons et les rendent perplexes quant à leur alliance avec les Lancastre. Ils ne comprennent pas l’hostilité de Somerset alors que François 1er vient d’envoyer son frère Gilles à la Cour des Lancastre pour négocier un nouveau traité ; autre provocation, John Beaufort exige un premier versement de 10.000 saluts d’or pour préserver la trêve anglo-bretonne. Le duc François s’en acquitte le 16 octobre 1443 mais en guise de désapprobation, il fait rappeler son frère.[15] Henry VI, apparemment secoué par le départ précipité de son ami d’enfance et par les vives protestations des ambassadeurs bretons, désavoue l’entreprise menée par Somerset et lui écrit une lettre dans laquelle il le somme de réparer les exactions commises contre les Bretons et le prie de se modérer dorénavant dans ses initiatives.[16] Finalement, Somerset est dans l’obligation de rentrer en Angleterre quelque temps après la prise de la Guerche, ainsi il met fin à son expédition militaire peu glorieuse. De retour, il est accusé de trahison par ses ennemis au conseil royal et il semblerait qu’il ait été banni de la cour.[17] D’après la chronique de Croyland, le duc humilié par sa déchéance se serait suicidé.[18]
[8] « Shal have and dispose al such contrees landes townes castelles fortesses and places as he shal gete within ye saide reaume and Duchie or elles where he shal reduce into ye Kinge’s obeissance our said souvrain lord out of ennemis hand. And applique hem and his herres… » (Public Record Office, E101/71/4/916). Ibid., 91.
[9] P.A, Johnson, Duke Richard of York, 1411-1460. Oxford, 1988, 41.
[10] M.K. Jones, 93-95 ; Basin-Samaran, ii, 282-284 ; Gilles Le Bouvier, dit le Héraut Berry, Les Chroniques du Roi Charles VII, Henry Courteault, Léonce Celier & Marie-Hélène de Pommerol (éd.), Paris, Librairie C. Klincksieck (coll. : Société de l’Histoire de France), 263-264 ; Waurin, 263-264.
[11] M.K. Jones (1981), 95-96 ; Argenté, 905-906 ; Bouchart, t.ii, 326-327 ; Guillaume Gruel, Chronique d’Arthur de Richemont, connétable de France, duc de Bretagne (1393-1458), Achille Le Vavasseur (éd.), Paris, Librairie Renouard, 1890 (coll. : Société de l’Histoire de France), 181.
[12] La Guerche était une ville seigneuriale qui appartenait au duc d’Alençon avant 1427. Elle bénéficiait d’une certaine autonomie. C’était le receveur de La Guerche et non celui de l’Evêché de Rennes qui procédait aux adjudications des fermes et de la châtellenie. Kerhervé (1987), i, 93.95, 97 & 104. Sur les origines de la seigneurie de La Guerche, voir l’article de J.C. Meuret : « Le poids des familles seigneuriales aux confins de l’Anjou et de la Bretagne : Martigné – Pouancé – La Guerche », M.S.H.A.B., t.lxx (1995), 89-129.
[13] Serment d’observer le traité de paix conclu par Jean V et les Anglais, serment prêté par le capitaine et les bourgeois de La Guerche devant Robert d’Epinay, chambellan du duc et sous le consentement du duc d’Alençon. Arch. L.A., E.122.
[14] M.K. Jones (1981), 95 ; Wolffe, 168.
[15] Montant estimé d’après un reçu de la Trésorerie du duc (Arch. L.-A., E122/48/18) in M.K. Jones (1981), 95. Il était entendu que François 1er payerait le deuxième versement après Noël, versement annulé sous l’ordre d’Henry VI. Ibid., 101.
[16] Proceedings and Ordinances of the Privy Council of England, N.H. Nicolas (éd.), Londres, Record Commission, 1834-37, Vol. VI, 12-13, 17-18, 22-23. In M.K. Jones (1981), 95-96 & 101.
[17] Ibid., 95-97 ; Harris (1988), 343.
[18] Croyland-Riley, 399.