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Les Shtisel

Les Shtisel est une série israélienne sur la vie quotidienne d’une famille juive ultra-orthodoxe à Jérusalem, thème peut-être peu apprécié par un public athée ou laïc. Cependant, il faut voir ce feuilleton comme un documentaire anthropologique. Sous leurs accoutrements surannés se dévoilent des personnages touchants, surprenants, attachants et parfois même très drôles.

Les trois saisons se concentrent principalement sur la vie sentimentale d’un homme à la fois sensible et artiste : Akiva. Dans la première saison, il s’entiche d’une veuve plus âgée. Il tombera amoureux de deux autres femmes totalement différentes dans les deux prochaines saisons. Chacune de ces trois femmes semble apprécier son talent, ce qui le touche dans cette société où l’art profane n’a pas vraiment de place. Sa famille – dont le père[1] bienveillant mais aux idées bien arrêtées – le perçoit de plus en plus comme marginal, que ce soit par son style de vie que par son statut non marital. Le rôle d’Akiva est interprété par Michael Aloni qui a joué notamment dans le film gay internationalement primé « Out in the Dark ».

Michael Aloni

Ce qui peut surprendre dans cette série est la découverte d’une certaine forme de « liberté coutumière » au sujet des rendez-vous galants, du choix entre futurs époux ou de la rupture de fiançailles alors que la plupart des autres aspects de leur vie sont régentés par des us et coutumes très stricts. Par exemple, il suffit d’un consentement mutuel pour aller se marier devant un rabbin sans que les parents aient leur mot à dire.

Par ailleurs, la série traite de la lutte quotidienne à laquelle sont confrontées les femmes hassidiques car trop souvent, les revenus des foyers dépendent de leur seul salaire, les hommes consacrant tout leur temps exclusivement à l’étude de la Torah et du Talmud. On se demande comment toutes ces familles auraient pu continuer leur mode de vie pour le moins anachronique si l’État d’Israël n’avait pas mis en place un système d’allocations sociales leur permettant de poursuivre leurs traditions et de constituer de grandes fratries.

Les femmes connaissent l’énorme pression sociale d’enfanter. À ce propos, on suit la vie de la sœur d’Akiva, Giti (interprétée par Neta Riskin) et celle de sa fille, Ruchami (jouée par Shira Hass – l’actrice principale de la mini-série américaine à succès : Unorthodox). Le poids socioreligieux peut devenir souvent un fardeau et empêche toute émancipation ou perspective de carrière. Il met même parfois la vie de la mère en danger.

Neta Riskin (à gauche) et Shira Hass (à droite)

De nombreux tabous au sein de cette communauté sont abordés tels que l’adultère, l’avortement, la santé mentale, la consanguinité, l’individualisme et le racisme envers les Juifs séfarades. Certains sujets sont examinés sous un angle comique, comme les vilains ragots au sein de la communauté ou l’utilisation des machines et des appareils électroniques. Il y a cet épisode comique dans la troisième saison où la belle-sœur d’Akiva prend des leçons de conduite pour au final acheter une voiture. Elle et son mari ultrareligieux l’utilisent en cachette pour leur plus grand bonheur. On s’aperçoit ainsi qu’il règne une certaine hypocrisie dans cette société où l’appel de la modernité finit par prendre le dessus.

Cette série constitue sans doute une passerelle culturelle car on finit par faire abstraction de l’apparence vestimentaire des ultra-orthodoxes (mode venant de l’Ukraine de la fin du 19e siècle) et on s’attache progressivement à la personnalité des protagonistes. Bien que leur vie semble prédéterminée à cause d’un encadrement dogmatique et rigide laissant en fin de compte très peu de place à l’individualisme, la vaste majorité des ultra-orthodoxes paraissent satisfaits de cette vie communautaire certes sectaire mais solidaire. Modernité, individualisme et solitude pesante seraient alors l’apanage de l’Occident, ce qui laisserait peu de marge aux dissidents ultra-orthodoxes pour s’adapter à une vie hors de leur microsociété.

[1] Le rôle du père est brillamment interprété par Doval’e Glickman.

Version en anglais

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Ulysses

February 5, 2022