La vie amoureuse tumultueuse de Franz Liszt
Auteur : Rinaldo Tomaselli
Né Franciscus Liszt, dit Ferenc, François ou Franz Liszt, le 22 octobre 1811 à Doborján (Raiding), Royaume de Hongrie, décédé le 19 juillet 1886 à Bayreuth, Royaume de Bavière. Franz Liszt (dit Ferenc, mais baptisé Franciscus) est né en 1811 dans le petit village de Raiding (Doborján en hongrois, Rajnof en croate), dans le Royaume de Hongrie.
La famille Liszt était magyare, mais la mère de Franz était des Sudètes et donc, de langue allemande. Franz parlait couramment l’allemand, le français et l’italien. Il avait également des connaissances de hongrois et d’anglais. Le père, Adam Liszt était violoncelliste et secrétaire auprès du prince Nicolas II Esterházy de Hongrie.
Très doué en musique, le petit Liszt apprend le piano dès l’âge de six ans. En deux ans il est capable de jouer l’essentiel des œuvres des plus grands compositeurs. Avec le soutien financier de nobles familles hongroises, les Liszt s’installent à Vienne en 1822, puis font une tournée en Allemagne (Munich, Augsbourg, Stuttgart et Strasbourg). En 1823, ils s’installent à Paris et donnent des concerts en France et en Angleterre.
Franz Liszt passe une période de remise en question liée à son adolescence. Il n’est pas très disposé à persévérer dans la musique et à donner des concerts à travers l’Europe. Il est attiré par la religion catholique, mais son père le force à continuer et, en 1826, il réalise une première composition originale à Marseille.
L’année suivante le père et le fils contractent la fièvre typhoïde. Ils se rendent à Boulogne-sur-Mer, une station thermale française, mais Adam Liszt meurt le 28 août 1827. Il a été enterré à Boulogne-sur-Mer. Son fils, qui se remet de sa maladie, ne se rendra jamais sur sa tombe. Après la mort de son père, Franz Liszt songe à entrer au séminaire, mais sa mère si oppose fermement. Sans enthousiasme, mais pour échapper à la pauvreté, il commence à enseigner le piano aux enfants de la bourgeoisie parisienne. Il s’éprend alors de l’une de ses élèves, le premier amour d’une liste interminable. La liaison ne durera pas, le père de la jeune fille ayant mis un frein définitif à l’élan des tourtereaux. Franz s’en remettra difficilement et ce n’est qu’à partir de 1830, qu’il retrouve toute l’énergie nécessaire à poursuivre ses œuvres.
Marie | épouse du comte Charles Louis Constant d’Agoult
En 1833, il tombe amoureux de Marie, l’épouse du comte Charles Louis Constant d’Agoult, mère de deux petites filles de cinq et trois ans. La liaison perdure et en août 1835, les amants s’enfuient à Genève pour vivre pleinement leur amour. Liszt enseigne au Conservatoire de musique de Genève, mais la situation demeure précaire. En été 1837, le couple s’installe à Lugano, puis en septembre à Bellagio sur le lac de Côme. Liszt compose, enseigne et donne des concerts. Il se refait une fortune, ce qui leur permettra de vivre en Italie entre Milan, Venise, Modène, Bologne, Florence et Rome jusqu’en 1839, lorsque nait leur troisième enfant.
En 1836, Liszt entreprend une tournée européenne. Ils donnent des concerts dans toutes les grandes villes de Moscou à Londres, de Berlin à Constantinople, ses prestations fascinent un public toujours plus large. Parallèlement, sa vie familiale se dégrade. Plusieurs séparations provisoires avec Marie d’Agoult aboutiront à une rupture définitive en 1844.
La princesse Carolyne von Sayn-Wittgenstein
En février 1847 il se produit à Kiev où il fait connaissance de la princesse Carolyne von Sayn-Wittgenstein. Une nouvelle passion vient de naître. Liszt doit continuer sa tournée, des concerts sont prévus à Czernowitz (Bucovine), à Galati (Moldavie), à Constantinople, à Odessa et à Elisabethgrad (actuelle Kropyvnytsky). Avant de partir, la princesse lui conseille d’arrêter ses tournées et de se consacrer uniquement à la composition.
Franz Liszt s’embarqua le 6 juin 1847 à Galati (Moldavie) sur un bateau à vapeur à destination d’Istanbul. Il arriva deux jours plus tard au port de Galata et fut accueilli par Guiseppe Donizetti Pacha, chef de la Musique impériale ottomane né à Bergame en Autriche. Il fut immédiatement conduit au palais de Çırağan pour être présenté au sultan. Il fut reçu comme un prince par la cour ottomane. Il a naturellement été largement payé pour ses prestations et obtint du sultan Abdulmecid une tabatière en émail incrustée de brillants. Il fut également décoré de l’Ordre du Nişan-ı İftihar, une haute distinction ottomane représentée par une médaille en or avec le sceau (tuğra) du sultan, sertie d’une centaine de diamants.
Pendant son séjour stambouliote, Liszt résida dans un appartement en face du palais de France, rue de Pologne (aujourd’hui rue Nuruziya) à Péra. Ce logement avait été mis à disposition par un fabricant de pianos stambouliote, M. Commandinger. Il donna plusieurs concerts en ville, dont deux pour le sultan Abdulmecid au palais de Çırağan. Les autres concerts eurent lieux à l’opéra italien de Péra (théâtre Naum), à l’ancien casino (théâtre des Petits-Champs) et à la salle Franchini.
Liszt était enchanté de son accueil à Istanbul et avait l’idée de revenir à la fin de sa tournée. Il quitta Constantinople le 13 juillet pour Galati, puis Odessa en août et Elisabethgrad, en septembre. Après son dernier concert en Nouvelle-Serbie en octobre, il renonça à Istanbul et retourna sur les terres de la princesse à Woronince en Podolie (aujourd’hui Voronivtsi en Ukraine) où il passa plusieurs mois auprès de sa bien-aimée.
À la fin du mois de janvier 1848, il retourna au Grand-duché de Weimar où il était depuis 1842, maître de chapelle. Il publia en Allemagne une composition de Giuseppe Donizetti Pacha. Tous deux continuèrent à s’écrire jusqu’à la mort de Donizetti en 1856.
Mensonges dans la presse allemande
Peu de temps après le départ de Liszt de la capitale ottomane, plusieurs journaux allemands publièrent des articles relatant un incident survenu au virtuose à son arrivée au port de Galata. Lorsque Liszt déclina son identité, il passa pour un imposteur et fut immédiatement arrêté. Il fallut du temps pour éclaircir la situation. Un certain Edward Listmann, pianiste et musicologue allemand installé en Espagne, avait donné plusieurs concerts en ville. Pour obtenir une audience plus large, il avait laissé tomber la dernière syllabe de son nom, se servant ainsi de la notoriété de Franz Liszt. Il fut reçu par le sultan qui lui offrit un somptueux présent.
Bien qu’Edward Listmann ait vraiment existé, le grossier mensonge ne pouvait duper que des lecteurs éloignés de la capitale ottomane. Listmann était bien un Allemand, pianiste et musicologue qui séjourna à Istanbul en 1847. Faisant des recherches sur la musique turque, il fut reçu par Donizetti Pacha et par le sultan en janvier. Il a donné plusieurs concerts en ville, notamment au casino du théâtre des Petits-Champs, mais toujours sous son nom complet.
Les journaux allemands avaient eu l’intention de ridiculiser Liszt et peut-être aussi de faire passer la bourgeoisie levantine de Péra, pour un ramassis d’ignorants crédules. L’affaire ne fit pas grand bruit à Istanbul, mais affecta quand même Liszt qui la mentionne dans une correspondance depuis Budapest à sa cousine Henriette en 1884, presque quarante ans plus tard.
Marie Duplessis
Une année avant sa tournée en Europe orientale, Franz Liszt tomba amoureux d’une belle parisienne de 22 ans. Marie Duplessis, de son vrai nom Alphonsine Plessis, était la plus célèbre et la plus chère des courtisanes de la capitale française. On dit que Liszt et le compositeur polonais Frédéric Chopin (Fryderyk Szopę) s’étaient brouillés parce que le premier utilisait l’appartement du second lors de son absence pour y emmener ses maîtresses, particulièrement Marie Duplessis. Cette relation ne durera pas longtemps, Liszt continua ses tournées et Marie Duplessis se maria avec un comte français à Londres qu’elle abandonna rapidement pour reprendre sa vie de courtisane à Paris. Elle meurt quelques mois plus tard de tuberculose dans un complet dénuement. Juste avant sa relation avec Liszt, Marie Duplessis avait été la maîtresse d’Alexandre Dumas fils. La courte et malheureuse vie de la courtisane, inspira le romancier qui écrivit son plus grand succès : « La Dame aux Camélias » (1848). Le roman a été traduit en turc en 1937 « La Dam o Kamelya ». Sarah Bernhardt joua cette pièce en 1904 devant le sultan Abdülhamid au théâtre du palais de Yıldız et au théâtre des Petits-Champs à moins de 200 mètres de la résidence stambouliote de Franz Liszt.
Le mariage impossible avec Carolyne
Quelques jours après le départ de Liszt du château de Podolie, la princesse s’apprêtait à le suivre, toutefois il était temps de régler un détail majeur. Il devenait urgent de mettre au courant de la situation le prince Nicolas zu Sayn-Wittgenstein-Berleburg-Ludwigsburg, officier de l’armée russe, époux de la princesse Carolyne et père de leur fille, la princesse Marie.
Elle n’affronta pas directement son époux. Elle lui fit parvenir une lettre décrivant ses intentions. En même temps, elle adressa une instance en divorce aux autorités religieuses et vendit une de ses terres pour les frais de voyages. Pour le prince Nicolas zu Sayn-Wittgenstein-Berleburg-Ludwigsburg, il n’était pas question de laisser faire sans broncher. Il s’opposa à une séparation et se plaignit au tsar Nicolas Ier de l’enlèvement de sa femme. C’est avec peine que la princesse et sa fille purent passer la frontière russe au mois d’avril seulement, prétextant d’aller prendre les eaux à Carlsbad. Liszt les attendait en Silésie autrichienne, pour ensuite les emmener au Grand-duché de Weimar. Ils vécurent douze ans à Weimar et c’est sans doute pendant cette période que Liszt créa ses meilleures compositions.
Naturellement, leur situation était très critiquée dans la bourgeoisie du Grand-duché et ailleurs. Vivre avec une femme mariée avec un autre était tout simplement inconvenant, voire inconcevable. Pourtant la situation avait quand même changé. Le prince Nicolas zu Sayn-Wittgenstein-Berleburg-Ludwigsburg étant protestant, avait fini par se remarier après un divorce civil en 1855.
Le problème émanait de l’Église catholique qui refusait d’annuler le mariage. La famille de la princesse, polonaise et très catholique, était du côté de l’Église et continuait à clamer que Carolyne n’avait pas été forcée d’épouser le prince Nicolas, ce qui empêchait une annulation. La princesse avait sacrifié sa fortune, sa réputation, sa famille, son pays pour un rêve qui ne se réalisait pas. En 1860, le consistoire catholique de Russie avait donné un avis favorable à l’instance de divorce. Cependant l’évêque de Fulde (Fulda) dont dépendait Weimar, faisait de nouvelles difficultés. Elle décida d’aller elle-même plaider sa cause à Rome. Elle ne pensait rester que quelques jours, elle y finira sa vie.
Pendant des mois elle rencontra des personnes influentes, le clergé et fit les innombrables démarches nécessaires à l’annulation de son mariage. Enfin, en septembre 1861, le mariage fut annulé. Elle écrivit à Liszt pour annoncer la bonne nouvelle et fixa la date du mariage au 22 octobre, jour des cinquante ans du futur époux. Liszt arriva à Rome le 20 octobre. Le lendemain ils se rendirent ensemble à l’église San Carlo al Corso, où devait avoir lieu la cérémonie et, malgré la discrétion de la princesse pour les préparatifs, des rumeurs s’étaient propagées en ville. Plusieurs notables considérant qu’il s’agissait d’un parjure, s’étaient plaints au pape Pie IX, qui s’inquiéta et ordonna de remettre la cérémonie à plus tard. Il demanda en retour l’acte du procès pour une révision.
Liszt devient abbé
La princesse y voyant dans cette nouvelle épreuve une punition céleste, refusa de remettre l’acte du procès et renonça pour toujours à son union avec Liszt. Elle ne retournera jamais à Weimar. Elle restera une compagne platonique de Liszt qui lui, se rapprocha de l’Église catholique jusqu’à recevoir les ordres mineurs et à devenir ainsi abbé en 1865.
Liszt reprit sa vie d’errance. Il partageait son temps entre Rome, Weimar, Paris et Budapest. En 1869, il retourna définitivement à Weimar et se remit à enseigner. Toutefois, il se rendit chaque année à Rome et à Budapest pendant plusieurs mois.
Il est mort le 31 juillet 1886 d’une pneumonie pendant le Festival de Bayreuth, ville où il repose. La princesse Carolyne von Sayn-Wittgenstein fut dévastée par la mort de Liszt. Elle décéda quelques mois plus tard à Rome, le 9 mars 1887. Elle est enterrée au cimetière Teutonique de Rome.