« Novlangue » : Orwell l’a imaginée, l’administration Trump le fait !
Dans « 1984 » son roman dystopique paru en 1949, George Orwell invente la novlangue – une langue vidée de certains mots ou en inversant le sens – qu’un gouvernement impose pour dominer et contrôler la population. « La guerre c’est la paix », « l‘ignorance c’est la force », « la liberté c’est l’esclavage » sont les phrases les plus célèbres imaginées par Orwell.Dans la première moitié du XXe siècle, ce roman a pour cible l’URSS, l’écrivain britannique est à la fois socialiste et antistalinien. Soixante-seize ans plus tard, cette dystopie serait-elle en train de devenir réalité à l’ouest, aux USA, avec l’arrivée au pouvoir de milliardaires hors contrôle ?
« 1984 » s’est rappelé à nous, lorsqu’au début du mois de mars le New York Times a publié une liste de 190 mots que l’administration Trump ne souhaite plus voir figurer dans les documents qui lui sont destinés. L’idée étant « d’assainir les propos » (en anglais : sane-washing).Comme dans le roman d’Orwell, effacer des mots vise à imposer une vision réduite du monde. Parmi les mots à bannir on trouve par exemple : clean energy, climate crisis, equity, diversity, discriminated, injustice, intersectional, minorities, etc… L’administration du pays le plus puissant de la planète, c’est assez vertigineux, veut effacer la crise climatique, les minorités, l’injustice, les énergies propres du vocabulaire, mais quid de la réalité ?
La novlangue pour réduire la pensée, l’esprit critique et la diversité
Dans un essai publié en 1954 George Orwell écrit : « penser clairement est un premier pas vers la régénération politique. » La confusion et les atermoiements qui caractérisent l’administration Trump sont plutôt le signe d’une « dégénération politique ». Dans les années 50 déjà, l’écrivain avait le sentiment de vivre une époque de dégradation de la langue dans laquelle il devenait de plus en plus difficile de décrire le réel. Ce réel, cette réalité qui n’intéressent pas Trump ni ses secrétaires d’État, adeptes d’une post-vérité parfois délirante qui leur permet de façonner le monde à leur convenance. Imaginer qu’on peut découper l’Ukraine comme les vainqueurs de l’Allemagne nazi ont découpé l’Allemagne en 1945 ou annexer le Canada, n’est-ce pas délirant ? La volonté de réécrire le réel à son profit est le signe d’une dérive totalitaire assez sidérante quand il s’agit d’une puissance qui symbolisait jusqu’à ces dernier mois – de manière imparfaite certes – la « démocratie occidentale ».
Cette dérive, sorte de dystopie en marche, n’est-elle pas le reflet d’une Amérique réelle, longtemps dissimulée derrière une démocratie de façade, que Trump a su révéler et exploiter ? L’avenir le dira. Il reste la question que nous nous posons tous : les « démocrates » vont-ils se réveiller ? Le pourront-ils ? Car ce qui se passe aux USA n’est pas fruit du hasard : l’histoire violente du pays, l’impérialisme assumé, les guerres suscitées et leurs échecs en Irak et en Afghanistan, plus loin dans le temps au Viêt-Nam, les contradictions et les paradoxes des politiques successives des démocrates ont suscité beaucoup de désillusions chez les électeurs, les rendant prêts à toutes les aventures électoralistes. Trump n’a jamais caché son jeu, ni sa personnalité pour le moins disruptive et plus de 70 millions d’américains ont tout de même voté pour lui.
Dans une tribune publiée dans Le Monde, Siri Hustvedt, écrivaine américaine pose la question : « les États-Unis ont-ils amené au pouvoir par le vote un gouvernement fasciste ? » Les semaines et les mois qui viennent le diront. Si des voix dissidentes s’expriment, si les électeurs floués par le trumpisme – notamment les anciens combattants, les Arabo-Américains, etc. – prennent conscience de leur erreur, si Trump perd les élections de mi-mandat, bref, si le jeu démocratique fonctionne, cela signifiera que les institutions et les électeurs américains ont résisté à cette vague sidérante.. Dans le cas contraire …

Il est nécessaire mais pas suffisant en effet de dénoncer le trumpisme, ainsi que la montée de tous les populismes en Europe et dans le monde, par des mots et de l’indignation. La défense des règles, des droits, des lois et des principes démocratiques doit, au-delà des mots, se traduire dans la société réelle par plus d’équité et de justice, les extrêmes prospèrent sur les faiblesses, voire les trahisons de la démocratie.
Près de 40 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté aux USA, soit plus de 12% de la population qui ne votent plus ou votent « mal », car se considérant abandonnés par le mainstream dominant sur lequel surfent les gagnants et cela dès avant Trump. Le paradoxe est que l’actuel président s’est appuyé en partie sur ces « désenchantés » pour battre les démocrates. La mise en scène largement diffusée, d’un président milliardaire posant avec des mineurs casqués, en tenue de travail, pour défendre un protectionnisme d’un autre âge est digne de « 1984 » et d’une autre de ses phrases cultes : « la vérité c’est le mensonge ».
Passé la sidération, il faudra de se mettre à l’œuvre : vrai pour les américains et pour les autres pays du monde car le pire est toujours possible : il y a près de 2500 ans, Platon avait perçu la fragilité et les failles de la démocratie dans la Grèce antique : « La démocratie finit souvent en dictature car il existe toujours une personne qui manipulera les foules pour devenir ensuite leur tyran. » Rien de nouveau sous le soleil !
Didier Levreau