FAITH THE PROJECT: L'ARME ÉDUCATIVE DE LA PAIX ET DE LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE

FAITH THE PROJECT: L’ARME ÉDUCATIVE DE LA PAIX ET DE LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE

En quoi consiste votre projet « Faith the Project » ?

Fred Daudon : Faith the project était au départ le nom que l’on avait donné à notre projet documentaire portant sur les religions et les traditions sacrées le long des routes de la Soie. Ces routes abritent encore à l’heure actuelle l’une des plus grandes diversités de croyances et de religions, sans compter qu’elles sont le berceau de nombres d’entre elles.

Au fil de nos rencontres, nous avons senti que notre monde occidental et notre système éducatif confrontés à l’endoctrinement et au fanatisme manquaient peut-être d’un argumentaire pertinent.

Nabila Laajail : Nous avons donc décidé de créer l’association Faith the Project qui reprend nos travaux documentaires existants. Elle a pour but également d’éduquer sur le fait religieux en utilisant les multimédias et de promouvoir le respect mutuel à travers le dialogue interculturel et interreligieux.

Comment cette idée vous est-elle venue ?

FD : Nous avions ce sentiment de spectateur impuissant face aux attentats qui touchent bon nombre de pays dans le monde et l’envie d’agir, de pouvoir contrer les terroristes sur le terrain de l’éducation. On pense qu’il est plus difficile de convaincre un jeune de rejoindre un groupe terroriste s’il a déjà des idées sur ce que ce sont les pays et les cultures auxquels ils s’attaquent.

NL : En outre, on le voit malheureusement avec les Yézidis, les Rohingyas, les Chrétiens d’Orient et malheureusement beaucoup d’autres minorités, il y a urgence à faire connaître leur existence, leurs rituels, leur histoire avant qu’ils ne disparaissent.

Combien de personnes travaillent dans votre équipe ? Cherchez-vous des collaborateurs bénévoles ?

FD : Je consacre toute mon énergie et mon temps à ce projet. J’ai délaissé beaucoup de projets photos pour me consacrer à l’association et à sa pérennité. Nous sommes pour l’instant les deux seuls à être officiellement dans l’équipe mais nous nous sommes bien entourés. Nous travaillons avec des chercheurs et des universitaires du monde entier pour mener à bien notre engagement, sans compter des amis qui se transforment en bénévoles le temps de la préparation d’un projet. Nous souhaitons évidemment plus de bénévoles permanents pour gérer la communication, les médias, le site internet, les traductions, les appels d’offres, etc. Ce n’est pas le travail qui manque !

NL: De mon côté, j’y consacre tout mon temps libre, soirées et vacances comprises. Quand je suis rentrée chez moi en Corse, je n’ai pas vu la mer !

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé lors de votre premier voyage en Turquie ?

FD : J’ai ressenti une tension profonde malgré l’accueil exceptionnel dont j’ai bénéficié. Je confirme que les Turcs méritent leur réputation d’excellents hôtes ! J’ai malheureusement en tête la mainmise de la Diyanet sur toutes les religions, avec une islamisation rampante de la sphère publique bien que laïque sur le papier. Il n’y a qu’à regarder le budget de la Diyanet et son explosion pendant les années Erdogan pour comprendre le phénomène. À Mardin, j’ai rencontré des kurdes exténués par la guerre civile, des alévis, des chrétiens et des juifs ; tous se sentent en insécurité. J’ai pu saisir la dernière opportunité pour photographier dans ce pays où depuis un an et demi, il est compliqué de faire des reportages et de se documenter sans avoir de problèmes.

NL : Je n’ai pu rester malheureusement qu’une semaine à Istanbul pour cause d’obligation professionnelle. Mais la tension était palpable ; en effet, les Turcs craignent les rassemblements. Un soir, nous étions à la recherche d’une cérémonie d’une tariqat (confrérie soufie) qui se revendique mevlevi. Après avoir trouvé, non sans difficultés, l’entrée de la salle, nous avons dû montrer patte blanche : entretien sur les raisons de notre venue, nos liens avec les médias et les politiques. L’état policier est partout, la peur se sent dans tous les lieux de culte.

Istanbul la cosmopolite, le joyau du Bosphore, vit dans la crainte à l’ombre des miradors du pouvoir et des attaques terroristes.

Et sur la route de la soie ?

FD : La richesse humaine. Nous avons rencontré des personnes fabuleuses qui ont partagé avec nous leurs histoires de famille, leurs repas, leur art vernaculaire ; ils nous ont ouvert leurs portes et leurs cœurs. L’exotisme de l'Orient a été assez fantasmé par les Occidentaux notamment au XIXème siècle. On rencontre de grands philosophes, des scientifiques, des architectes et des artistes qui sont assez peu étudiés dans nos écoles mais qui nous ont fortement influencés. Les écoles de pensée chinoise, celles développées par les différents maîtres soufis du monde perse et ottoman, n’ont pas encore assez infusé notre enseignement pré-universitaire. Il serait temps que nous nous ouvrions à d’autres horizons. Notre mode de vie européen a porté ses fruits, il me semble, et c’est regrettable de constater cet occidentalisation galopante jusqu’aux confins du Pamir, de la Chine et de l’Iran.

NL : Cette route qui part du détroit du Bosphore au centre de l’empire du milieu a été un voyage initiatique dont les visages, les sourires et les échanges resteront un souvenir impérissable. La bienveillance, la sagesse des personnes rencontrées nous ont bouleversés.

Comment pourrions-nous arrêter le fanatisme religieux ?

FD : Peut-on arrêter le fanatisme ? Peut-on arrêter les guerres et les crimes ? La religion, l’économie, le pouvoir sont trop souvent des prétextes. Tant qu’il y aura des Hommes, il y aura des fous et des inconscients. Notre rôle est de faire en sorte qu’il en existe le moins possible et d’éviter qu’ils passent à l'acte. Si les dix commandements sont aussi simples et compréhensibles pour un enfant de 5 ans, pourquoi un jeune adulte de 18 ans ne pourrait-il pas les comprendre et les appliquer ? L’éducation, je le pense, ne prépare pas assez à s’adapter à notre environnement. Dans un monde où les mutations s’accélèrent, nous avons le devoir de nous comprendre, de nous connaître et de tolérer l’autre. C’est ce à quoi nous nous employons.

NL : Nous n’arrêterons pas la bêtise humaine, mais nous pouvons nous battre contre l’ignorance, en comprendre les causes. Il faut reconquérir cette jeunesse en quête de repères. L’éducation est la seule arme pour reprendre les mots de Nelson Mandela.

Il faut réintroduire plus de culture, d’’esprit critique, donner des grilles de lecture à notre jeunesse et à notre société.

FD : Il faut se poser la question: veut-on vivre dans un état d’urgence permanent, dépenser des centaines de milliards d’euros dans des armes pour arrêter ce fanatisme ? Des programmes éducatifs, une scolarité gratuite dans les régions où les terroristes recrutent le plus devraient être une priorité. Je pense que la deuxième solution serait bénéfique et bien moins onéreuse.

On assiste aujourd’hui à une radicalisation de l’Islam dans des pays dont certains faisaient preuve d’une certaine tolérance. Pensez-vous que votre projet ait un écho dans ces pays ?

FD : Il y a plusieurs points intéressants dans cette question.

La première sur la radicalisation. Est-ce l’Islam qui s’est radicalisé ou est-ce l’Homme? Le wahhabisme date du XVIIIème siècle, les frères Musulmans du premier tiers du XXème siècle, donc les écoles de pensées extrémistes ne sont pas nouvelles. Dans toute société il y a des extrêmes, les religions n’y échappent pas.

L’histoire est remplie de périodes propices aux fanatismes, aux nationalismes, au communautarisme et je crois que nous y sommes. Cela ne concerne pas seulement certains musulmans mais notre monde globalisé. Il faut condamner ceux qui utilisent les textes sacrés pour appeler au meurtre, à la haine, à la discrimination.

On assiste en effet à un contrôle des minorités. J’étais avec le prêtre de l’Eglise anglicane de Lahore, deux jours avant l’attentat sanglant qui frappait sa communauté le jour de Pâques en 2016. J’en parlais avec lui, il me disait que les relations avec les voisins musulmans étaient très pacifiques. Et partout le long de la route de la Soie, à chaque fois que nous avons posé cette question aux minorités religieuses, la réponse a été la même: nos relations avec nos voisins sont excellentes, à chaque fois qu’il y a des troubles, ils sont causés par des éléments venus de l’extérieur. Ces fanatiques sont minoritaires.

Ce qui m’inquiète davantage, c’est le terreau de ces terroristes.Au Pakistan, en Indonésie, au Maroc, dans les régions rurales, qui éduque gratuitement et fournit de l’aide aux familles ? Malheureusement les écoles de pensées les plus radicales. Il faut se souvenir du début des Frères Musulmans en Egypte, les couches pauvres et ouvrières ont servi de recrues.

Pour que notre travail ne reste pas à l’état de projet, il nous faudrait être présents ; La diaspora de ces pays est une aide précieuse.

NL : Je dirais pour compléter les propos de Fred que nous ne sommes pas les seuls à œuvrer en ce sens, je souhaite une coordination des partisans du mieux vivre ensemble ; les associations, les politiques, les citoyens peuvent se regrouper.

Si un fanatisme est à craindre, c’est celui qui, couvert de pétrodollars rallie les plus faibles dans l’espoir d’un lendemain meilleur. Nous espérons pouvoir nous rendre au Maghreb, au Moyen-Orient et en Afrique pour mieux connaître ces pays.

L’expression « tolérance religieuse » ne serait-elle pas un oxymore ?

FD : C’est peut-être un euphémisme. La tolérance est inscrite dans beaucoup de textes sacrés et dans les Hommes qui les portent. Les trois grandes religions monothéistes d’Occident ont la même base historique, c’est déjà le signe d’un rapprochement ! Elles n’ont pas fait table rase du passé, mais ont tenté d’apporter un éclairage nouveau. Il ne faut cependant pas se méprendre et faire fi de l’histoire : les guerres civiles sur fond de religions furent et sont encore légions. Il faut y voir, comme en économie, la volonté de domination de l’Homme. La tolérance est liée à l’éducation et à la lutte contre l’ignorance.

Les paroles de Djalal ad-Din Rumi, brillant philosophe et fondateur de la pensée de la tariqat soufie des Mevlevi, sont un exemple de tolérance. « Ni Chrétien, ou Juif, ou Musulman, ni Hindou, Buddhiste, Soufi ou Zen. Aucune religion ou culture (…) Ma place est sans place, une trace sans trace. Ni corps ni âme. J’appartiens à l’être aimé, j’ai vu les deux mondes comme un, et ce monde, je l’appelle, et le connais, premier, dernier, dehors, dedans, seulement ce souffle qui anime l’humain. »

Y-a-t-il des communautés religieuses qui soutiennent votre projet ?

FD : Qui soutiennent directement notre projet ? Non ! D’ailleurs, nous ne le souhaitons pas. Nous sommes une association laïque, nous ne voulons pas être assimilés à une religion plutôt qu’à une autre. Nous souhaitons garantir notre indépendance et notre objectivité, lesquelles ne nous empêchent pas, bien au contraire, de travailler avec des associations proches d’une communauté religieuse ou avec des représentants religieux.

NL : Les conflits, attaques terroristes et autres événements qui rythment notre actualité nous ont poussés à chercher à comprendre ce qu’étaient vraiment les religions. Nous avons commencé cette entreprise avec nos propres deniers pour garder notre indépendance. Nous avons été écoutés par différentes communautés religieuses rencontrées : des musulmans qui souhaitent que cesse l’amalgame avec le terrorisme, des Chrétiens et des Bouddhistes qui ont rappelé le message qui peut paraître un peu simplet : « aimer son prochain et de le respecter ».

Je me souviens de la mère supérieure du monastère orthodoxe de Tachkent qui a hésité à nous recevoir pendant 3 jours et finalement nous a accordé un peu de son temps. Nous nous sommes quittés les yeux humides, elle nous a serrés fortement les deux mains et nous a dit : « c’est important ce que vous faites, vous devez continuer, nous avons besoin de cela ».

De toutes vos photos prises lors de vos voyages, quelle est celle que vous préférez ?

FD : C’est une question difficile, très difficile, surtout quand on possède des milliers de clichés. Esthétiquement j’aime beaucoup celle du moine bouddhiste chan prise lors de la prière du matin dans le temple Shao’lin. Du regard du moine, de la lumière de la bougie, émane cette foi qui habite en chacun de nous.

NL : Toutes pardi, c’est un parchemin qui doit être déroulé pour en apprécier les énigmes, nous invitons les lecteurs à juger d’eux-mêmes, c’est très difficile de choisir une photo, il y a la personne, le moment, l’histoire qu’elle raconte ; Je ne pourrais en choisir une.

FD : Elle ment ! La preuve: on a réussi à choisir une dizaine de photos pour accompagner cet entretien! (rires)

Auriez-vous une anecdote qui pourrait nous donner espoir pour notre avenir collectif ?

FD : Peut-être notre parcours en entier - les gens nous ont accueillis, peu importait notre religion ou notre croyance.

NL : À chaque arrêt, les rencontres furent riches, bouleversantes, nous avons été touchés par la générosité, la sagesse et la sérénité de tous ces gens.

Malgré les répressions politiques et économiques, certains continuent de se battre pour la vie et leur culture. À mon arrivée dans la petite synagogue de Samarcande, l’officiant rabbi me regarde fixement et me dit « yàhùdiya » je lui dis alors que je suis musulmane, d’origine franco-marocaine. Il me répète « yàhùdiya » et nous finissons par rire ensemble ; après tout, nous sommes frères.