Le Réalisme Magique par Marie-Thérèse Ross

Je suis née à Londres en 1962, mes parents, des immigrés de France et d'Autriche sont venus s’installer en Angleterre et c’est la raison pour laquelle mes deux frères et moi avons reçu une éducation bilingue française et anglaise. Quand j'avais seize ans, je me suis rendu compte que je voulais étudier les beaux-arts aussi, après mon bac, ai-je postulé pour un cours de base sur l’art. J'ai étudié à la Harrow School of Art et ensuite au Loughborough College of Art and Design où j'ai obtenu ma licence en peinture avec mention. Après, je suis partie à la Karlsruhe Kunst Akademie en Allemagne pour une année en tant qu’étudiante invitée par un sculpteur britannique, le professeur Michael Sandle. Je suis retournée à Londres, puis je suis allée à l'Université de Pennsylvanie aux États-Unis pour faire une maîtrise en sculpture. Après avoir obtenu mon diplôme en 1991, j'ai vécu à New York jusqu'en 1996, date où je suis retournée à Londres.

Auto-portrait

Vos sculptures sont assez fascinantes par leur effet 3D. Quelles techniques utilisez-vous pour obtenir ce résultat ?

J'ai commencé à faire plus de peintures tridimensionnelles lorsque que j'étais aux Beaux-Arts pendant mes études de licence. Je prenais 2 ou 3 anciennes toiles usagées, les retournais et les collais dans différents arrangements, et peignais au dos en y ajoutant également des objets trouvés. Ces peintures avaient pour but d’explorer des bâtiments que j'avais photographiés lors d'un échange en Amérique. Mes reliefs peints étaient comme des collages géants avec toutes sortes de choses qui partaient dans tous les sens. J'ai senti que ces assemblages étaient liés à la façon dont nous voyons, Je les ai préférés à des rectangles et des carrés plus conventionnels. Au cours de ma dernière année, j’ai fabriqué des composants pour ces collages peints plus originaux que des objets trouvés dans la rue. C’est en utilisant de la résine acrylique, du plâtre et de l'argile en Allemagne que j’ai compris qu’il me restait énormément à apprendre sur les matériaux et sur les processus de la sculpture.  

À l’Université de Pennsylvanie (UPenn), j'ai commencé vraiment à travailler sur le bois car ce matériau qui donne plus de liberté correspond plus à mon style de dessin que le métal ; en effet, il peut être collé, sculpté et coupé, il répond à l’inspiration du moment. La sculpture est très physique et fatigante. Je construis mes œuvres à partir de la stratification du bois pour arriver à des formes plus grandes et plus complexes, puis je sculpte des pièces en y incorporant des matériaux mixtes, y compris des objets trouvés, des plumes, des feuilles d'or et des toiles apprêtées. Je termine les œuvres avec de la peinture à l'huile comme des peintures tridimensionnelles, en référence aux premières sculptures grecques et égyptiennes et aux sculptures religieuses allemandes en bois polychrome.

Vous dites que vous avez été inspirée par la littérature et la mythologie ; Pensez-vous que la littérature et la mythologie puissent transcender les barrières culturelles ? 

Mon travail a été décrit comme du réalisme magique. L'exploration des récits empruntés à diverses sources dont la littérature et les récits biographiques combine des images observées et imaginées, je dissèque la forme et expose la matérialité du bois. Mes sculptures se concentrent sur des femmes fortes et indépendantes de la littérature et de la mythologie prises dans un moment de vulnérabilité, par exemple « Daphné » dont le torse féminin se métamorphosant en arbre monte sur une échelle libre. Daphné est une nymphe de la mythologie grecque qui a fui le dieu Apollon en se transformant en arbre. Dans ma sculpture, elle monte sur une échelle où elle est piégée. Son torse est sculpté sur un tronc d'arbre tordu, un pied collé au bas de l'échelle, sa main est décousue et on y voit un oiseau surdimensionné croassant. Pour moi, les histoires et les récits captent l'imagination et pour le spectateur, c'est un moyen de comprendre ce qu'il regarde ; la plupart des gens se souviennent d’un conte mythologique. Pour répondre à votre question, oui, l’art peut être un moyen de transcender les barrières culturelles. Chaque culture est riche de ses récits. Nous apprenons à lire et écrire avec des histoires, c'est donc ancré dans la nature humaine.

Avez-vous une sculpture préférée ? 

Je n'ai pas vraiment de pièce préférée, mais souvent, je ressens un attachement particulier pour certaines œuvres parce qu’elles sont tout simplement les plus récentes ou parce qu’il s’agit d’une percée artistique. On aime beaucoup ma sculpture 'Nena' qui fait référence à un personnage d'une nouvelle de Gabriel Garcia Marquez, la robe rouge évoque le destin tragique d'une jeune mariée qui saigne lentement de la piqûre d'une rose à son doigt. Je pense que ce qui fascine, c’est sa taille.

Votre travail porte-t-il parfois un message politique ?

Dans l'ensemble, mon travail n'est pas politique mais il est vrai qu’il réagit parfois à des événements. Certainement 'Oblivion, le rêve du Brexiter' était ma réponse au référendum du 23 juin. J'ai sculpté la tête dans un accès de fureur, et cela m'a semblé cathartique. Malheureusement, cela n'a pas résolu la situation !

Les crises de la vie ou des évènements dramatiques peuvent-ils engendrer la créativité ?

Oui, certainement ! J'ai produit des œuvres après la mort de mes parents et je suis particulièrement satisfaite d’une série de dessins et de collages que j'ai faits peu de temps après le décès de mon père, intitulé « Mon père, Freud et autres histoires ». Ceux-ci s’inspirent du célèbre cas de Sigmund Freud intitulé « Homme aux loups », dans lequel un patient est traumatisé par un cauchemar où des loups blancs assis dans un noyer observent sa fenêtre chaque soir. Les œuvres explorent également l'histoire personnelle de mon père qui a rencontré le docteur Freud dans son enfance à Vienne.

Comment les enfants réagissent-ils à votre art ?

Mon travail ne s'adresse pas vraiment aux enfants alors que celui d'enseignante dans les musées consiste à les aider à se connecter à une collection visuelle de peintures ou d'objets. Cependant, mes propres œuvres, bien qu'elles puissent ressembler à des éléments d’un conte de fées, ne concernent pas vraiment l'enfance. Quand les jeunes voient mon travail, ils réagissent surtout à la nudité d’une femme ou au bois dont elle est faite, parfois ils la trouvent effrayante.

Avez-vous déjà illustré des livres d'histoires pour enfants ?

Oui, on me l’a demandé, divers auteurs m'ont invitée à discuter avec eux de nouvelles idées. Mais les éditeurs aiment généralement utiliser leurs propres illustrateurs, je ne suis pas professionnellement formée et les livres pour enfants sont une niche très spécialisée du marché. J'ai illustré des brochures et des dépliants sur les activités des enfants dans les musées où j'ai travaillé par le passé.

Vous avez exposé plusieurs fois au Royaume-Uni et aux États-Unis ; comment votre travail est-il perçu par les critiques américains par rapport aux critiques britanniques ?

Dans l'ensemble, les réactions sont très positives. Il est difficile d'attirer l'attention des critiques, mais quand j'en reçois des deux continents, c’est une bonne expérience. Les critiques réagissent particulièrement à la qualité tactile de mes sculptures et aux récits contenus dans mes œuvres.

Quel est votre prochain projet artistique ?

Je planifie actuellement plus d'expositions, peut-être dans des endroits inattendus, par exemple chez un fleuriste grand amateur d’œuvres d’art. Cette année, j’envisage des opportunités différentes.

form-idea.com Paris, le 7 mai 2018.   Read this interview in English 

Découvrez les œuvres de Marie-Thérèse Ross :

www.mariethereseross.com

Vidéo réalisée par Yaldingmedia.co.uk

Interview avec Marie-Thérèse Ross

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