De la testostérone pour le pire et le meilleur, l'histoire de Tillson Lever Harrison

Auteur: Rinaldo Tomaselli

Né le 7 janvier 1881 à Tillsonburg, Royaume du Canada, décédé le 10 janvier 1947 à Kaifeng (Zhangqiu), République de Chine.

Quand on parcourt des yeux la carte du Canada, on comprend bien l’absence d’originalité des colons qui fondèrent de nouvelles villes. Ainsi, on peut se balader de Genève à Delhi, de Cambridge à Hambourg ou de Tolède à Bagdad juste en faisant le tour du lac Érié. Cela dit, le lac est immense et était autrefois compris entièrement dans les territoires de la Nouvelle-France, tandis qu’aujourd’hui il est partagé par quatre états américains et la province canadienne de l’Ontario. C’est dans cette dernière que se trouve la petite ville de Tillsonburg, à cinquante kilomètres au sud de London, sur la Thames River (La Tamise). Elle a été fondée en 1825 par des loyalistes à la couronne britannique venus d’Enfield aux États-Unis, avec George Tillson à leur tête. Ils y bâtirent des forges et des scieries et Tillsonburg devint un centre d’exploitation forestière avec un début d’industrialisation dès le milieu du XIXe siècle.  C’est dans ce cadre presque bucolique que, le 7 janvier 1881 naquit Tillson Lever Harrison, petit-fils du fondateur de la ville. Harrison n’avait rien d’un enfant sage et multipliait les bêtises, comme quand il défraya la chronique locale à l’âge de treize, lorsqu’on découvrit qu’il avait élaboré un plan pour s’enfuir à Cuba. En 1895, il s’engagea dans un régiment d’infanterie de l’armée canadienne, le « Royal Canadian Regiment », d’où il fut exclu lorsqu’on s’aperçut qu’il n’avait que quatorze ans.

Il s’en alla un peu plus tard aux États-Unis afin de s’engager dans le Corps des Ingénieurs de l’Armée des États-Unis (United States Army Corps of Engineers) à New-York.

En 1898, il fut envoyé aux Philippines, que les États-Unis venaient de prendre à l’Espagne suite à une courte mais très sanglante guerre. Puis, il rejoint Pékin en septembre 1901 après que les puissances étrangères eurent mâté les insurgés chinois qui avaient massacré des colons et d’autres chrétiens lors de la « Révolte des Boxers ». Dans un cas, comme dans l’autre, Harrison n’a jamais tiré un seul coup de feu. Il était présent surtout après l’orage et gérait des équipes travaillant à la reconstruction.

Centre-ville de Tillsonburg en 1913

En Chine, il contracta le choléra et fut rapatrié au Canada. Il en guérit et décida de suivre le cursus de médecine à l’université de Toronto. C’est là qu’il rencontra Sybil Wilkin qu’il épousa en 1905. Il obtint son diplôme de médecin deux ans plus tard, puis travailla dans le commerce de fourrures pour la Compagnie de la Baie d’Hudson, ce qui le mit en contact avec la communauté autochtone des Cris où il devint maître de poste dans un village de l’Alberta. Il se lassa assez rapidement de ses nouvelles fonctions et quitta le Canada avec sa femme, pour les États-Unis. Ils voyagèrent dans plusieurs états avant de s’installer à Drewsey, une bourgade de l’Oregon où Harrison devint médecin-pharmacien tout en étant maire. En 1909, Sybil donna naissance à une petite fille du nom de Rosalind qu’elle avait mise au monde sous césarienne pratiquée par son mari. Harrison s’intéressait de plus en plus à la gynécologie et c’est pour parfaire ses connaissances qu’il quitta sa famille en 1913 pour se rendre à Londres.

Il était encore en Grande-Bretagne quand la Première Guerre mondiale éclata. Il s’engagea alors comme volontaire dans la Croix-Rouge anglaise et se rendit en Belgique où il rencontra Eva, une Ottomane dont les charmes auront raison du cœur d’artichaut d’Harrison. Faisant abstraction de son premier mariage, il épousa l’Ottomane avant de se rendre ensemble à El Paso au Texas en 1915.

De là, il rejoint quelques mois plus tard, l’armée révolutionnaire mexicaine dirigée par Pancho Villa en tant que médecin. Il ne tarda pas à se faire capturer par les troupes de Venustiano Carranza, futur président du Mexique et l’ennemi de Pancho Villa. Condamné à mort, Harrison sauva sa peau en soignant Carranza qui était tombé malade. Seul médecin disponible sur la frontière américaine, Harrison s’occupa à remettre sur pied Carranza avant de s’enfuir et rejoindre San Diego. Carrenza prévoyait justement de reprendre la Californie aux Américains qui l’avaient annexée plus tôt. En octobre 1915, les États-Unis mettaient en échec le plan des Mexicains, tout en reconnaissant le gouvernement de Carrenza. Harrison s’éloigna des révolutionnaires mexicains et alla s’installer à Saint-Georges dans le sud de l’État de l’Utah, dans une communauté de Mormons.

Avis de recherche (Francisco Villa)

Pendant la Première Guerre mondiale et les années qui suivirent, les gouvernements britannique et français organisèrent des corps de travailleurs originaires de leurs colonies, pour des travaux de maintenance ou de reconstruction, destinés à combler le manque de main d’œuvre. En 1918, on estimait le nombre de ces ouvriers à plus de 300.000 personnes originaires des Seychelles, de Maurice, de Malte, d’Égypte, d’Afrique du Sud et des Indes. En 1916, un accord fut signé entre les gouvernements britannique et chinois pour créer le « Corps des Travailleurs Chinois » qui comptera jusqu'à 140.000 hommes au service de la Grande-Bretagne et de la France, affectés à des tâches surtout dans le nord de la France et en Belgique.

Cimetière chinois de Noyelles-sur-Mer (France) 

Les travailleurs étaient recrutés surtout dans le nord de la Chine. Ils étaient ensuite acheminés par bateaux vers la côte ouest du Canada. La traversée du pays se faisait secrètement par camions à bestiaux, puis les Chinois étaient à nouveau embarqués sur des navires pour l’Angleterre. De là, on les faisait passer en France ou en Belgique. Harrison, qui était retourné au Canada en 1917, eut connaissance de ces transports humains vers l’Europe. Les mauvaises conditions du voyage engendraient des épidémies de telle sorte que, beaucoup de Chinois étaient malades avant même d’atteindre la France, leur destination finale. Harrison s’engagea alors dans le corps médical de l’armée canadienne, puis fut affecté dans un hôpital au nord de la France. Rapidement il apprit les bases de la langue chinoise et soigna les travailleurs malades de la grippe espagnole ou de la tuberculose. Les déplorables conditions de vie accentuaient encore l’état dans lequel se trouvaient les Chinois qui travaillaient dix heures par jour, sept jours sur sept. Harrison contribua à sauver des centaines de vies, surtout pendant l’hiver 1917-1918. Les sources franco-britanniques font état d’un peu plus de 2.000 morts, tandis que les sources chinoises parlent de près de 20.000. Une trentaine de cimetières français comptent des tombes chinoises, deux en Belgique et trois en Angleterre. La plupart des survivants s’en retournèrent en Chine entre janvier 1919 et septembre 1920.

Harrison lui, s’en alla parcourir le Proche-Orient. Il occupa plusieurs postes de médecin notamment en Palestine et en Égypte et c’est là, à Alexandrie, qu’il rencontra Filomena Abela, une jolie Levantine d’origine maltaise qu’il s’empressa d’épouser en 1920. Harrison aimait passionnément, mais pas durablement. Il avait abandonné ses deux précédentes épouses sans jamais avoir divorcé, ce qui ne l’empêcha pas de se remarier une troisième fois.

Le nouveau couple partit d’Alexandrie pour Constantinople, où Harrison venait de décrocher un poste de médecin à l’hôpital Pasteur. Leur train tomba dans une embuscade tendue par des insurgés syriens et Filomena se cassa la jambe dans la bousculade qui s’ensuivit.  L’arrivée à Constantinople fut retardée par l’incident de Syrie, mais Harrison trouva un nouvel intérêt au service gynécologie de l’hôpital Pasteur. Il soignait principalement des prostituées atteintes de maladies vénériennes, mais pas seulement. Il était aussi affecté aux rayons-X, dont il avait fait une première installation en Palestine. Tout se déroulait bien jusqu’au jour où il tomba amoureux d’une de ses patientes qu’il tenta d’enlever.

Rattrapé par la police turque, Harrison fut envoyé devant un juge. Il s’avéra que la « patiente » en question était l’épouse d’un officier turc, ce qui aggrava nettement son cas. Il reçut la peine maximale pour un étranger, soit une expulsion définitive du territoire turc. Encadré par deux gendarmes, Harrison fut escorté jusqu’au port de Galata où en l’embarqua sur un navire à destination du Canada. Il quitta à jamais la Turquie et Filomena.

Le bateau fit escale dans le port de Tanger au Maroc et Harrison en profita pour s’échapper. On ne sait pas très bien comment il arriva à Dublin où il s’engagea comme médecin pour l’armée catholique de l’État libre d’Irlande. Après la fin de la guerre civile irlandaise en 1923, Harrison exerça la médecine à Cardiff où il soignait principalement des mineurs et une certaine Eva Olwen Bowen dont il tomba éperdument amoureux. Il l’épousa la même année, puis tous les deux quittèrent le Pays de Galles pour la Jamaïque.

Harrison se lassa rapidement de sa quatrième épouse et l’abandonna en 1925 pour parcourir seul l’Amérique du Sud, puis le Moyen-Orient. Il pratiqua la médecine dans une quinzaine de pays jusqu’au milieu des années 1930 où il s’engagea au côté des résistants chinois contre l’armée japonaise.

Occupation anglaise de Constantinople, place du Taksim, 1922levantineheritage.com

En 1939, il se porta volontaire auprès de la Croix-Rouge chinoise à Shanghai et monta aussi un cabinet médical privé qu’il tiendra jusqu'à son engagement comme médecin de bord sur un navire anglais parcourant l’océan Indien entre 1941 et 1946.

Après la Seconde Guerre mondiale, Harrison se mit au service des Nations Unies pour la reconstruction en Chine. Toutefois le pays était en guerre civile depuis 1927. L’Armée populaire de libération (communiste) et le Kuomintang (nationaliste) étaient en lutte ouverte pour le contrôle du pays. Au début du mois de décembre 1946, Harrison était chargé de faire parvenir cinquante tonnes de matériel médical de Shanghai à Kaifeng. Tout le long du voyage le train avait été attaqué ou immobilisé par des combattants. Il stationna quinze jours à Xuzhou et quand il fut autorisé à se déplacer, c’était pour être à nouveau bloqué plus loin. Le 10 janvier 1947, alors que le train était encore à l’arrêt près de Kaifeng, celui-ci fut bombardé. Harrison y trouva la mort faisant quatre veuves d’un seul coup.

 Décédé à l’âge de 66 ans, cet homme avait participé à sept guerres, parlait six langues et avait eu quatre épouses en même temps, ce que l’on découvrit que bien des années après sa mort.

FORMIdea Londres, le 11 janvier 2019. Avec nos remerciements à Marina Rota.

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January 21, 2019