Le stalinisme-confucéen

Raconté par Jihyun Park et She-Lynn

Auteur: Pierre Scordia

Livre : Deux Coréennes | Auteurs : Park, Jinhyun & Seh Lynn

Le témoignage de Jihyun Park, rescapée nord-coréenne, dans le livre écrit par la Sud-Coréenne She-Lynn est captivant et bouleversant. Elle nous raconte comment elle a été endoctrinée dès son plus jeune âge par un régime aux méthodes efficaces et impitoyables, un mélange de stalinisme, de confucianisme et de maoïsme : la terreur, la maîtrise de soi, les condamnations et bannissements familiaux. Jihyun, née à la fin des années soixante, grandit dans le culte du leader « soleil », Kim « Il-sung » (au pouvoir de 1945 à 1994), et dans la haine des ennemis du peuple éclairé : la Corée du Sud, le Japon et surtout l’Amérique. Très tôt, elle est intégrée dans le système, notamment avec certaines responsabilités au lycée mais aussi dans des sessions quotidiennes d’autocritique. En Corée du Nord, personne n’y échappe, l’autocritique et la délation sont un devoir citoyen, une garantie de soumission et de contrôle.

Jihyun, née du mauvais côté de la frontière, a quand même la chance d’avoir un père appartenant à la bonne classe sociale, mais elle apprend tardivement, hélas, que son grand-père maternel a fui en Corée du Sud dans les années cinquante, ce qui suffit à interdire à toute la descendance de la famille l’accès aux universités de la capitale, Pyongyang, seule possibilité d’ascension sociale. La Corée du Nord, dite république populaire, discrimine cruellement afin de prévenir toute dissidence. Néanmoins, grâce au passé impeccable de la branche familiale paternelle, elle pourra suivre des études universitaires en province et devenir professeur de mathématiques, échappant ainsi aux travaux laborieux des champs. Elle craint avant tout de se voir agricultrice. La campagne est un lieu que les étudiants veulent absolument éviter, car dès l’âge de 13 ans, ils sont réquisitionnés chaque année pour participer aux récoltes, moment de l’année où l’adolescent expérimente un avant-goût de l’esclavage et de la privation.

Sous le règne du 2e Kim de la dynastie communiste, Kim Jong-il (1994-2011), Jihyun et sa famille doivent affronter la grande famine des années 90 qui a causé plus de deux millions de morts dans le pays, famine orchestrée par les Sud-coréens selon les médias nord-coréens. Les récoltes auraient été empoisonnées par des espions qui ont été évidemment exécutés, occasion d’organiser des purges jusqu’au sommet du pouvoir.

Déjà sous la direction du Kim Il-sung, un bol de riz blanc et des œufs étaient un luxe ; sous le gouvernement du fils, manger des racines devient un combat quotidien. Jinyun voit petit à petit ses élèves s’affaiblir, maigrir, s’absenter et disparaître. Elle-même, qui n’est plus payée par l’État protecteur, doit vendre ses beaux vêtements afin de nourrir son père gravement malade. Le jour où elle voit son frère déserteur tabassé par des soldats de Pyongyang – le service militaire dure dix ans en Corée du Nord - elle prend la décision de suivre les membres de sa famille pour passer en Chine, pays qui lui semble un havre de prospérité et de liberté individuelle. Très vite, Jinyun connaîtra une autre réalité de la Chine moderne, le trafic sexuel, la délation, la brutalité. Nombreuses sont les Coréennes qui sont vendues comme esclaves par leurs passeurs et toute tentative d’évasion comporte le risque d’être dénoncée, arrêtée, identifiée et déportée. Un retour en Corée du Nord est synonyme de camp de concentration. Ce qui est surprenant en parcourant le livre est que nombreux clandestins nord-coréens pensent rarement gagner la Corée du Sud, qu’ils perçoivent encore, pour un certain temps du moins, comme l’ennemie à éviter.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la Corée du Nord n’est pas gouvernée par des leaders ridicules mais par une dynastie qui emploie un système intelligemment conçu, mélange de stalinisme et de confucianisme.  En effet, Kim Jong-il prône très tôt les valeurs ancestrales de la Corée. Tandis que les Sud-Coréens renommaient leur pays « Hanguk », le Pays des Han », Kim Il-sung conserve l’antique nom « Choseon », « le pays du matin clair » et entretient dans sa propagande les mythes nationaux.

Les scènes d’hystérie collective lors des funérailles de Kim Il-sung et Kim Jong-il que nous avons observées avec étonnement, scepticisme et parfois amusement, sont parfois sincères, parfois simulées, toujours orchestrées, toujours surveillées.

D’autres péripéties, beaucoup d’obstacles surmontés, les qualités exceptionnelles de Jiyhun vous feront suivre avec intérêt et empathie cette biographie passionnante.

Londres, le 20 novembre 2019.

Bibliographie :

Park, Jinhyun & Seh Lynn, Deux Coréennes, Paris, Buchet Chastel, 2019, 259 pages.

Dayez-Burgeon, Pascal, « Au pays des trois Kim », in Le siècle des dictateurs, dir. Olivier Guez, Paris, Perrin Le Point, 2019, p. 171-186

Couverture du livre Deux Coréennes

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