Le Palais de Lomé

Beverly Andrews | @BeverlyAAndrews

L'art contemporain africain est peut-être aujourd'hui l’un des plus collectionnés au monde.
Les foires d’art contemporain africain, telles que la 1-54 ou les biennales de Bamako, capitale du Mali, rencontrent un véritable succès et attirent un large public. Pourtant, une grande partie des œuvres des artistes africains se retrouve dans des galeries occidentales ou dans des collections privées. Selon les musées occidentaux qui s'opposent au rapatriement des objets historiques africains, les galeries du continent ne seraient pas suffisamment grandes ou équipées pour les accueillir.

L’Afrique valorise son patrimoine artistique

Mais cette tendance semble évoluer : Dakar, la capitale du Sénégal, a vu l’ouverture, en 2018, du Musée des Civilisations noires, capable d’accueillir jusqu’à 18 000 œuvres d’art. Bien que de nombreuses salles de l’institution restent encore vides, l’on peut espérer que le musée finira par abriter de nombreuses œuvres qui, sans lui, seraient perdues pour le continent.

Au-delà du Sénégal, le Bénin et le Nigeria inaugurent également leurs propres galeries et musées, marquant une volonté croissante de valoriser le patrimoine artistique africain sur le sol africain.

Cependant, l’événement le plus symbolique reste, à nos yeux, l’ouverture du Palais de Lomé : le premier institut d’art dont la rénovation et le lancement ont été entièrement financés par le Togo. Ce bâtiment, autrefois un ancien palais édifié pour satisfaire le désir du gouverneur allemand August Köhler d’avoir une capitale coloniale visible depuis la mer, est aujourd’hui le symbole d’un Togo fier, qui reprend possession de son patrimoine artistique.

Mission du Palais de Lomé

L’ensemble du projet a été supervisé par Sonia Lawson, une Togolaise et ancienne consultante chez L’Oréal à Paris. Dans une récente interview, elle a déclaré que l’objectif était de transformer cet édifice patrimonial, de l’ouvrir au public et de montrer au monde l’Afrique d’aujourd’hui. Le centre ambitionne de présenter le meilleur du continent, et pas uniquement l’art et le design du Togo ou de l’Afrique de l’Ouest.

Le Palais de Lomé s’étend sur près de 24 000 mètres carrés et comprend un espace d’exposition permanente, des galeries dédiées aux expositions temporaires, ainsi que des prestations artistiques mettant à l'honneur la photographie et le design. Le site accueille également une librairie et deux restaurants. Ce lieu unique célèbre l’histoire riche et variée du pays, tout en donnant une place à toutes les formes d’expression artistique, sans exclure la science et la technologie.

Le Palais de Lomé

Cette somptueuse demeure accueillera également des activités centrées sur la durabilité environnementale. S’étendant sur plusieurs hectares jusqu’au littoral, le Palais de Lomé abrite une biodiversité remarquable. Le site offre une expérience urbaine unique, au cœur d’une capitale à la personnalité singulière.

L’histoire du Togo des Rois

Actuellement, l’institut propose cinq expositions, dont l’une est intitulée Le Togo des Rois. Elle met en lumière l’importance qu’a jouée ce petit pays dans l’histoire de la région, ainsi que le rôle des souverains qui dirigeaient ses royaumes. De nombreux objets présentés proviennent des collections personnelles des rois locaux encore en fonction aujourd’hui.

L’exposition Infinity

Infinity est une autre des cinq expositions, consacrée aux œuvres de Kossi Aguessy, l’un des artistes et designers togolais les plus reconnus à l’international, malheureusement décédé avant l’ouverture du Palais. Cette rétrospective, conçue par l’artiste lui-même en collaboration avec le conservateur du musée, rend hommage à son travail remarquable et mérite assurément une visite. Tout au long de sa brève mais intense carrière, Kossi Aguessy a refusé de distinguer l’art du design, allant jusqu’à les fusionner dans une démarche profondément novatrice.

Six artistes pour l’expo Three Borders

L’exposition Three Borders réunit huit artistes originaires de six pays de la région et met en lumière les liens culturels profonds qui subsistent malgré les frontières nationales. Les artistes présentés dans cette exposition collective sont : Kelani Abass (Nigeria), Edwige Aplogan (Bénin), Tété Azankpo (Togo), Serge Clottey (Ghana), Euloge Glélé (Bénin), Issah Al-Hassan (Ghana), Emmanuel Sogbadji (Togo) et Prince Toffa (Bénin).
Issah Al-Hassan, membre d’un collectif artistique ghanéen, a déclaré lors du vernissage qu’il considérait la création d’institutions comme le Palais de Lomé, associée à une diffusion plus large des œuvres dans les communautés locales, comme la meilleure façon de garantir l’avenir d’une génération d’artistes et de collectionneurs africains. « Si les différentes communautés peuvent le voir, elles voudront alors créer ou collecter à leur tour », a-t-il affirmé.

Edwige Aplogan - Champ Magnétique 2006

 

Lomé +

Quant à l’exposition Lomé +, elle adopte une approche à la fois historique et poétique, offrant un regard sans concession sur la capitale togolaise. Elle invite les visiteurs à explorer Lomé à travers le passé, le présent et le futur, dans une mise en scène sensible et engagée.

Serge Clottey, Motivation Comes from Looking 2019 (la motivation vient du regard)

Rénovations

Enfin, l’exposition photographique Rénovations retrace les différentes étapes de la restauration du Palais. Laurent Volay, l’un des architectes français ayant dirigé le projet, a déclaré : « Tous les travaux ont été réalisés par des artisans locaux, et ce fut un parcours enrichissant pour nous tous d’apprendre à travailler ensemble. Nous sommes très fiers de ce que nous avons accompli collectivement. »

Soirée d’ouverture

Le Palais de Lomé accueillera également des spectacles et organisera des ateliers d’art à destination des écoliers locaux. On espère qu’il développera un rayonnement et un attrait international comparables à ceux du Guggenheim de Bilbao, une institution qui a profondément transformé la ville basque et sa région, autrefois peu touristiques. L’importance du Palais pour le Togo a été mise en lumière dès la soirée d’ouverture, marquée par la présence de trois rois régionaux — dont les artefacts sont exposés — ainsi que par celle du Premier ministre, accompagné du ministre de la Culture.

Le chef du gouvernement a exprimé avec émotion la portée symbolique de cette nouvelle institution. De nombreux artistes africains, venus du Togo et des pays voisins, étaient également présents, témoignant de la fierté régionale que suscite désormais le Palais de Lomé. Le lendemain soir, lors d’un concert organisé par l’Institut Français, un rappeur sénégalais a même rendu hommage au musée dans une dédicace improvisée sur scène.
À l’heure où l’Amérique et le Royaume-Uni semblent se refermer sur eux-mêmes, le Togo, lui, s’ouvre au monde et invite tous les amoureux de l’art à découvrir ce « petit » pays, désormais porteur d’une grande ambition culturelle.

form-idea.com Londres, le 8 mars 2020. Traduit de l’anglais par Pierre Scordia.

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One thought on “Le Palais de Lomé : le Guggenheim togolais

  1. Hilde Rodenberger says:

    J’ai beaucoup aimé cet article – I truly appreciate your piece of work, Great post.

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