Unorthodox

La scandaleuse beauté de cette mini-série

Autrice: Anne Berthier

 

Bon voilà, émoustillée par toutes ces critiques élogieuses et barrée pour une insomnie, je me suis jetée à corps perdu dans cette série Netflix : «Unorthodox» ! L’effet série total : et d’un, et de deux, et de trois et de quatre ! Autre chiffre : trois langues sur l’écran noir de ma nuit blanche : le yiddish, l’allemand et l’anglais. Quelle heureuse idée d’avoir conservé ces langues originales, les langues originelles. Car d’origines on en parle, on y plonge qu’elles soient personnelles ou communautaires. La grande Histoire en toile de fond revient dans les mailles du filet, comme un traumatisme fondateur et comme un fil conducteur dans l’émancipation d’Esty : celle de l’Holocauste, celle du judaïsme, celle du Nazisme, celle de l’exil, celle de la Hongrie, celle de l’Allemagne, celle des États-Unis et enfin celle d’Israël.

Avec l’histoire d’Esty on vit dans la communauté juive hassidique Satmar (du nom d’un village de Hongrie d’où fuirent un grand nombre de juifs au moment de la Shoah, faisant perdurer ainsi cette tradition et la langue yiddish elle-même), très rigoriste et orthodoxe «enclavée» dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn, à New-York. Un jour de Shabbat, Esty dix-neuf ans et mariée depuis un an environ selon la tradition, disparait et s’enfuit à Berlin. Elle est aidée par sa professeure de piano pour les démarches et par les papiers d’identité allemands de ses aïeuls que sa mère lui a remis le jour de son mariage, celle-ci vivant en Allemagne, en rupture avec la communauté et avec son passé.

La reconstitution des rites, des costumes, des gestes, formant le fondement du «Hassidisme» est remarquablement et rigoureusement fidèle. Comme on l’aura lu, cette mini-série est l’adaptation d’une autobiographie, ce qui dès le début apporte une certaine gravité et sensibilité à l’ambiance du film qui est joué avec justesse et finesse ; film admirablement bien porté par les acteurs et Shira HAAS, l’actrice principale au visage aux mille facettes. Les lumières et la photographie font des images un petit bijou, une succession de tableaux composés et habités.

Dans ce Williamsburg des années 80, j’ai retrouvé l’ambiance du quartier de Stamford Hill que j’ai connue à Londres à la même époque lorsque j’étais fille au pair : les silhouettes masculines aux costumes sombres coiffées de chapeaux noirs, leurs visages encadrés des Peot ou papillotes, les femmes aux collants épais malgré la température estivale et coiffées de perruques ou de foulards, les mains gantées ; les magasins casher, les boulangeries, la brique rouge, la séparation des sexes révélées dans les grappilles de passants qui ne se mélangent pas.

Cette arrivée d’Esty à Berlin a été réécrite pour cette adaptation d’après des échanges avec l’auteure Déborah Feldman afin de la mettre au goût du jour. Il s’agit de mettre en perspective cet aller-retour entre ici et là-bas, entre les modèles éducatifs et les normes sociales qui s’entremêlent et qui s’entrechoquent. Par exemple on imagine mal que la scène du smartphone dans la voiture (qui est très drôle) puisse être littéralement identique puisqu’à cette époque les smartphones n’existaient pas (quoiqu’aux USA…). Mais par ce biais les réalisatrices montrent l’esprit des choses et le décalage entre les représentations issues de la formation talmudique (Talmud que les femmes n’avaient pas le droit d’étudier d’ailleurs, qu’en est-il aujourd’hui ?) et la réalité des découvertes des mœurs occidentales tant décriées et parfois diabolisées. C’est précisément là le grand talent de Shira HAAS que de nous faire vivre comme de l’intérieur ses émotions, son ressenti, sa détermination et son courage aussi. On tremble de son arrivée seule à 19 ans dans la capitale et de cette chasse à l’homme dont elle fait l’objet (enfin chasse à la femme en l’occurrence) afin de la ramener à sa communauté

J’y ai vu des scènes en « miroir » qui nous associent à son périple et nous font évoluer avec elle. Ainsi ces deux scènes de « bain purificateur ». L’une avant. L’autre après. L’une dans le Mikveh (thermes) pour le rite sacré prénuptial où symboliquement elle fait peau neuve afin d’honorer sa nouvelle vie de « femme de ». L’autre dans le lac de Wannsee en Allemagne où elle s’immerge totalement et abandonne sa perruque, symbole de renaissance spirituelle en tant que femme libre (d’autant que cet endroit est chargé politiquement par rapport à sa condition de juive).

Deux scènes de « danse » aussi se font écho. L’une lors de son mariage, portant en elle la communion familiale et quasi clanique d’où sera exclue sa mère, l’étrangère. L’autre dans le night-club berlinois où l’on perçoit une tension intérieure entre la découverte d’un corps dansant sensuel et les principes rabbiniques stigmatisant la danse comme la porte d’entrée du diable. À l’ouest et à l’est rien de nouveau. Mais surtout à travers ces deux scènes on comprend qu’Esty ne cherche pas à être différente. Elle souhaite s’intégrer ici ou là-bas, sans toutefois se renier, et découvrir sa voie et sa voix. Sa voix qu’elle fera entendre lors de son audition au conservatoire de musique, sur laquelle se termine le film, ouvrant sur tous les possibles.

Je souhaite à Unorthodox un grand succès et des récompenses. Je souhaite à cette série le même  accueil qu'Esther Shapiro au sein de la bande des musiciens. On rêve d'un monde où les réfugiés, les exilés et les SDF seraient aussi promptement intégrés... Le film idéalise quelque peu cette rencontre. C'est à peine un bémol.

La bande annonce en V.O.

La bande annonce en VF

Unorthodox, réalisation Anna Winger et Alexa Karolinski. Mars 2020 sur Netflix.

Autobiographie de Deborah Feldman : « The scandalous rejection of my hasidic roots », 2012

Cast : Shira Haas : Esty, époustouflante. Aaron Altaras : Robert, craquant ! Amit Rahav : le mari Yakov, crève l’écran. Jeff Willbusch : Moishe parfait dans son rôle de « méchant ». Le directeur de la photographie : Wolfgang Thaler.

form-idea.com Saint-Étienne, le 16 avril 2020.

UNORTHODOX credit: Anika Molnar/Netflix

UNORTHODOX credit: Anika Molnar/Netflix

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