À la découverte des différentes communautés tziganes

Les Tziganes pendant et après l'Empire ottoman

 

Auteur: Rinaldo Tomaselli

Les Tziganes Roms (Roman Çingeneleri)

Le nom « Tzigane » vient du grec « Tsiganoi », employé par les Byzantins. La dénomination turque « Çingene » en est l’adaptation. Aujourd’hui, il est d’usage d’employer les termes « Rom », « Dom » ou « Lom », selon qu’ils soient originaires d’Europe du Sud, de Perse ou du Caucase.

Aux Xe et XIIe siècles, les Tziganes apparaissent dans le Caucase, en Perse et en Anatolie, à la suite des peuples turciques qui s’y installent, notamment les Seldjoukides et les Ghaznévides. En Europe orientale, leur arrivée est contemporaine à celle des Tatars au XIIe siècle, et un siècle plus tard, les différents groupes tziganes avaient achevé leur périple à travers l’Asie.

Dans l’Empire ottoman, des groupes tziganes étaient disséminés dans tout le territoire. En Roumélie, en Bessarabie, en Anatolie occidentale et en Crimée, ces groupes s’exprimaient pour la plupart en rom ou en dialectes roms, langues originaires d’Inde, avec de fortes influences de langues européennes (turc, grec, slave). En Anatolie orientale, en Crète, dans les provinces du Proche-Orient et d’Afrique du Nord, les Tziganes étaient du groupe dom, langue largement influencée par le farsi et d’autres langues du groupe iranien. Enfin, dans les provinces du nord de l’Anatolie jusqu’au Caucase russe, les Tziganes étaient généralement du groupe lom, dont la langue est influencée par l’arménien et d’autres langues caucasiennes. Enfin, il existait plusieurs isolats n’appartenant pas à l’un de ces trois groupes.

A partir du XVe siècle, les Roms se dispersent dans toute l’Europe où ils deviennent rapidement indésirables. Dans la plupart des pays d’Europe occidentale, les Tziganes subissent la sédentarisation forcée ou l’expulsion. Certains gouvernements iront jusqu’à les emprisonner ou les envoyer dans les colonies.

Dans l’est de l’Europe, les Roms tomberont en esclavage (robie) y compris dans les provinces danubiennes, qui avaient une autonomie dans le cadre de l’Empire ottoman et qui étaient dirigées par des princes phanariotes (grecs). Les Tziganes appartenaient aux princes, aux propriétaires terriens ou aux monastères. Ils pouvaient être vendus, légués ou données. L’esclavagisme sera aboli en 1843 dans l’Empire ottoman, mais il faudra attendre 1865 pour que cette mesure soit appliquée dans les provinces autonomes de Moldavie et de Valachie.

Sous Abdülhamid II (1878-1909), une tentative de sédentarisation des peuples nomades (Tziganes, Yeuruks, Kurdes, Bédouins) a été entreprise, sans réel succès.

Dans les Balkans ottomans, beaucoup de Roms finiront par se sédentariser, tout en vivant en marge des autres groupes ethniques, mais en adoptant les différentes langues parlées dans cette région. Certains groupes ont accepté la religion dominante des provinces où ils se trouvaient, en conservant toutefois des pratiques particulières souvent influencées par le chamanisme ou le soufisme. Musulmans, chrétiens, alévis, les Roms sont souvent rejetés par les religions organisées et fréquentent peu les lieux de culte. Les pays qui obtiennent leur indépendance finissent la plupart du temps à chasser les Roms musulmans vers les territoires restés ottomans. Ils seront installés en Thrace, dans les Dardanelles et en Troade.

Suite à la sédentarisation (97%) et à l’assimilation, il est difficile de dresser une estimation de leur nombre dans le monde. En Europe, les Roms pourraient atteindre les 10 millions de personnes, et les plus grandes concentrations sont dans les Balkans et dans le centre et au sud-est du continent. La Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie ont toutes des populations roms dépassant le demi-million d’individus.

En Turquie, leur nombre pourrait atteindre les trois ou quatre millions (5 millions selon certaines sources), en y ajoutant les groupes lom et dom d’Anatolie orientale. On les désigne souvent par le nom des métiers qu’ils pratiquent (Arabacıler, Çiçekciler) ou par d’autres noms plus ou moins péjoratifs (Esmer Vatantaşı, Adbal, Copte). Jusque dans les années 1950, leur carte d’identité comportait la mention « Kıpt » (Copte) due à la confusion entre les Tziganes et les Egypto-Balkaniques (qui ne sont pas coptes non plus).

Les Roms sont concentrés dans les provinces de Thrace, dans les Dardanelles, en Troade et dans les régions de l’Égée (y compris Izmir), d’Istanbul et de Brousse. Ils utilisent plusieurs langues, dont le rom, le turc et des dialectes grecs ou bulgares. Lors des échanges de populations entre la Grèce et la Turquie, ils ont été forcés de quitter la Macédoine grecque et la Thessalie, car considérés comme musulmans. Les Roms orthodoxes de Turquie ont également été transférés en Grèce, mais dans une moindre proportion. Toutefois entre 1923 et 1934, certains sont retournés chez eux (dans les deux sens).

Les Tziganes Boshas (Poşa Çingeneleri)

Les Loms, Lomavren ou Boshas sont des Tziganes installés en Transcaucasie, en Arménie, et dans les pays voisins. Leur langue est le lomavren qui peut être considéré comme un dialecte arménien. En Arménie, les Boshas sont en voie de complète assimilation et seulement 10% d’entre eux parlent encore leur dialecte. En Azerbaïdjan, ils sont présents essentiellement dans le Nakhitchevan, le Haut Karabakh et sur le littoral de la mer Caspienne. Une petite communauté vit également en Géorgie. Les Boshas de Turquie sont installés principalement dans les régions de la mer Noir, Kastamonu, Sivas, Çankırı, Tokat, Van et Trabzon. Ils se divisent entre différentes branches de l’Islam et le christianisme arménien. Toutefois une grande partie ne pratique pas.

Les Tziganes Doms (Domari Çingeneleri)

Les Doms se situent géographiquement au centre de l’Anatolie. Ils sont parfois désignés comme « Abdales », qui est un nom générique et péjoratif pour désigner les pauvres, les mendiants ou une confrérie soufie (derviche).

Il existe depuis peu une association des Dom (ou Abdales) du centre de l’Anatolie. Leur langue possède clairement une influence iranienne et l’intercompréhension avec des Roms ou les Loms n’est pas possible. Des études récentes démontrent que les Doms auraient quitté l’Inde beaucoup plus tôt que les Roms, certainement au Vie siècle.

Hors de Turquie, les Doms sont présents en Grèce, en Iran, en Irak, en Syrie, à Chypre, au Liban, en Israël, en Palestine, en Jordanie et en Égypte. Leur nombre varie selon les estimations entre 2,5 et 4 millions, dont environ 100.000 en Turquie.

Les Tziganes Karachis (Karaçi Çingeneleri)

Ce groupe est un isolat qui est présent essentiellement en Azerbaïdjan, mais aussi dans la région de Hakkari. Dans le Haut Karabakh, les Karachis ont été expulsés après l’invasion arménienne de cette région dans les années 1990.

Il est fort probable que les Karachis soient liés aux Doms, sans qu’on puisse pour autant le démontrer. La langue karachi (ou garachi) n’est pas comprise par les Roms d’Europe ou par les Doms d’Iran. Elle est encore fréquemment parlée, mais en Azerbaïdjan, l’azéri et le tat ont tendance à la remplacer, tout comme le truc en Turquie. Les Karachis sont généralement musulmans chiites, mais ne sont pas pratiquants. En Turquie, ils seraient 18.000.

Les Tziganes Marashs (Maraş Çıngeneleri)

Les Marashs forment un isolat concentré exclusivement dans les régions de Gaziantep et le long de l’Euphrate en Syrie. Ils sont de religion sunnite ou alévie et parlent un dialecte dom très influencé par la langue kurmandji (kurde). Ils pourraient être 10.000 en Turquie.

Les Tziganes Mirtip (Mırtıp Çıngenelerı)

Les Mirtip habitent dans le sud de la province de Van et dans les provinces de Mardin et Siirt. Leur dialecte don est mâtiné de perse et de kumandji. Ils sont principalement musulmans de rite chafi, mais il y a aussi des Mirtip chaldéens ou nestoriens (chrétiens).

form-idea.com Istanbul, le 12 avril 2020. Avec nos remerciements à Marina Rota.

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5 thoughts on “À la découverte des différentes communautés tziganes

  1. Levon Seferyan says:

    La dernière photo:
    Il y a un enfant, un garçon, assis devant l’homme, l’enfant tient un tambourin dans ses mains.
    L’ours est un “ours dansant”, souvent il a un anneau à travers un perçage sur le septum de son nez et une corde à l’anneau. L’anneau s’appelle “hirizma”.
    Le but est de se balader avec l’ours dans les lieux publics ; faire “danser” l’ours avec un genre de “chanson” ou un rythme de tambourin et ramasser les sous des gens qui regardent le “spectacle”, prestation qui dure peut-être deux minutes.
    Le baton que la femme a dans ses mains, est pour battre l’animal si le hirizma s’avère insuffisant.
    Si l’animal

  2. Emmanuelle says:

    Bonjour,
    Quelle est l’origine de la photo des femmes Karachis ?

    1. Bonjour, il faut vous adresser à l’éditeur du livre (reproduction sur ce site avec l’autorisation de l’auteur)

  3. Emmanuelle says:

    Merci de votre réponse.
    Malheureusement, je ne trouve pas de référence (livre, édition, date). Je ne vois que l’auteur de l’article et la date de publication sur le site.

    1. Bonjour,
      Au bas de la page de l’article sur “Les Ingouches sous rouleau compresseur russe”, vous trouverez les références du livre “Migrations en Europe orientale & groupes ethnico-religieux en Turquie”. Le livre est disponible sur Amazon. https://form-idea.com/2023/01/23/les-ingouches-sous-le-rouleau-compresseur-russe/
      Cordialement

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