Les Gagaouzes ou les Turcs chrétiens

Gagauzlar (en turc)

Auteur: Rinaldo Tomaselli

L’origine des Gagaouzes est assez mystérieuse et est inlassablement discutée voire disputée par les historiens. La thèse bulgare la plus répandue est celle qui attribue ce peuple turcique à la Nation bulgare et même aux Protobulgares. Les Gagaouzes auraient donc suivis les autres tribus protobulgares (turciques) qui se slavisèrent progressivement au contact des populations locales des pays envahis, du delta du Danube à la Thrace orientale en passant par la Macédoine. Une fraction des Bulgares turcs slavisés aurait adopté la langue turque sous la contrainte, lors de la présence ottomane en Bulgarie (1396 – 1908), sans toutefois passer à la religion musulmane. Les opinions des historiens turcs et roumains sont contradictoires sur la provenance de cette « tribu », mais mettent toutes largement en doute le processus de slavisation suivi plus tard d’une « re-turquisation ». Il est nettement plus probable que les Gagaouzes aient suivi la migration vers l’Ouest des tribus turques plus importantes telles que les Petchenègues, les Coumans ou même les Seldjoukides. Quoi qu’il en soit, on fait mention pour la première fois des Gagaouzes à la période du second royaume bulgare (1186 -1396).

Peuplements en Bessarabie

Le noyau d’origine des Gagaouzes se trouve dans les environs de Varna (Bulgarie) entre Balchik et Kavarna avec une expansion en Dobrogée, en Deliorman et jusqu’en Thrace occidentale. Ayant subi plusieurs transfères de populations au cours des siècles, des communautés plus ou moins importes se trouvent également en Grèce, en Roumanie, en Macédoine, en Moldavie, en Ukraine, au Kazakhstan, au Kirghizstan et en Turquie. Un des déplacements des plus importants fut celui de 1811 – 1812 quand, à la suite de la guerre Russo-ottomane, un accord est conclu entre les deux empires pour un échange de populations. Les Tatars sont déportés en Dobrogée, tandis que des Bulgares et des Gagaouzes sont transférés en Nouvelle-Russie (Ukraine et Moldavie actuelles). Les colonies gagaouzes se situent surtout dans les environs d’Odessa, dans le Boudjak et au centre de la Bessarabie.

Vers les années 1830, une autre vague de Gagaouzes rejoint les colonies de Russie et d’autres sont créées en Crimée.

Accusés de connivence avec l’ennemi allemand, Staline fera déporter dans les années 1940, la plupart des Gagaouzes des territoires soviétiques vers le Kirghizstan et le Kazakhstan. Ils furent « pardonnés » en 1957 et un bon nombre de survivants put retourner dans leurs terres d’origines. Une république autonome fut proclamée dans la même année, recouvrant certaines terres gagaouzes en Moldavie (Gagaouzie).

Il semblerait que cela soit des raisons économiques qui ont poussé les Gagaouzes de la région de Varna à partir vers le sud de la Thrace au milieu du XIXe siècle. D’abord installés dans les montagnes de Strandja, les Gagaouzes se sont progressivement déplacés autour des villes de Kırklareli (Lozengrad), Tırnovacık (Malko Tarnovo) et Lüleburgaz (Lyuleburgas), en Thrace orientale. A partir de cette période, on trouve également des villages gagaouzes autour de Stara Zagora, Haskovo et Yambol (Bulgarie) et en Thrace occidentale (Grèce actuelle).

Assimilation des Gagaouzes de Thrace

Les Guerres Balkaniques (1912 – 1913), vont divisées les Gagaouzes de Thrace en trois identités correspondant aux nouvelles frontières entre les Etats. Ceux restés dans l’Empire ottoman ne formant pas une « nation » (Millet) reconnue, seront assimilés aux Grecs (Rum) ou aux Bulgares selon la fraction (orthodoxe) de leur Eglise. La langue de l’instruction était également déterminée selon l’appartenance religieuse (grecque ou bulgare).

Les Gagaouzes se trouvant dans les territoires nouvellement annexés par la Grèce (Thrace occidentale) seront soumis à une hellénisation forcée. La Grèce suivait bien le même principe des « nations religieuses » de l’Empire ottoman, mais considérant l’Eglise bulgare comme schismatique, l’Etat ne reconnaissait pas cette communauté. Les Gagaouzes turcophones étant majoritairement sous l’autorité religieuse bulgare, eurent un enseignement uniquement en grec.

En Bulgarie, les turcophones avaient bien des écoles en turc, mais elles étaient réservées exclusivement aux musulmans, les Turcs chrétiens orthodoxes bulgares devant suivre l’enseignement en bulgare.

Après la guerre Gréco-turque de 1919-1922, le traité de Lausanne qui y mettait un terme et en même temps qui reconnaissait la République turque (1923), obligeait les deux Etats à procéder à un échange de populations. Tous les orthodoxes durent quitter la Turquie (à l’exception de ceux d’Istanbul et des îles d’Imbros et Ténédos). Les Gagaouzes qui étaient sous l’autorité du patriarcat de Constantinople (environ 10 000), quittèrent la Thrace orientale à la suite des Gagaouzes sous l’autorité de l’exarchat bulgare qui avaient été expulsés vers la Bulgarie en 1919.

Les Gagaouzes fidèles à Constantinople furent réinstallés en Thrace occidentale et en Macédoine de l’Egée. Il leur fut interdit d’utiliser la langue turque en public et l’Eglise imposa le grec pour la liturgie. Les écoles turques de Thrace leur restaient également fermées, car elles étaient réservées aux musulmans, turcs ou non.

Aujourd’hui, si les Gagaouzes de Grèce se souviennent de leurs origines turques, ils sont totalement incapables de s’exprimer dans la langue de leurs ancêtres suite à une assimilation forcée, totale et définitive, et aux pressions de l’Eglise pour oublier d’où ils venaient.

Une petite communauté gagaouze se trouve dans le centre-est de la République de Macédoine, région de Delchevo / Chiflik. Le turc est encore en usage, mais l’enseignement est en albanais.

Autonomie en Moldavie

C’est dans les territoires ex-soviétiques que les Gagaouzes ont le mieux résister à l’assimilation, inévitable ailleurs. Ainsi, du Kirghizstan à la Moldavie, de Russie à l’Ukraine, on trouve des communautés turcophones et chrétiennes où la vie se déroule en turc, y compris l’enseignement. Ils sont surtout présents en Moldavie où ils bénéficient d’une autonomie sur le plan administratif (Région autonome de Gagaouzie).

©Yeni org

La population totale des Gagaouzes est estimée à environ 250 000 personnes, dont près de 80% sont en Moldavie. Les autres vivent en Ukraine (35 000), en Bulgarie (20 000), en Grèce (10 000), en Roumanie, en Macédoine, au Kazakhstan, au Kirghizstan et en Turquie

Religieusement, ils sont attachés aux patriarcats de Bulgarie ou celui de Russie, malgré les incitations du gouvernement turc à rejoindre le patriarcat orthodoxe turc d’Istanbul.

En 1990, la Moldavie promulgua une loi instituant la seule langue moldave (roumain) à tous les citoyens moldaves. Les Gagaouzes réagirent en proclamant quelques mois plus tard la République socialiste soviétique de Gagaouzie. Après l’indépendance de la Moldavie, des conflits éclatèrent avec les Gagaouzes et les russophones, pour aboutir à la création de deux régions autonomes (Gagaouzie et Transnistrie), au sein de la République de Moldavie.

Si le statut des Gagaouzes est garanti en Moldavie, il ne l’est pas dans les autres pays qui recouvrent leurs terres d’origines : Bulgarie, Ukraine, Roumanie, Turquie. Partout la langue est en recul.

Sigle de l’Union des Gagaouzes de Transnistrie

De l’alphabet grec aux caractères cyrilliques et latins

La langue gagaouze est très proche du turc standard (de Turquie) et l’intercompréhension est aisée. Jusqu'en 1878, les Gagaouzes dépendaient du patriarcat de Constantinople. Les messes étaient en grec et la langue gagaouze était écrite avec les caractères grecs. Après cette date, la langue liturgique devint le slavon (comme pour les Bulgares), mais l’alphabet grec resta en usage jusque dans les années 1930 quand l’administration roumaine imposa l’alphabet latin.

Passée sous administration soviétique à la fin de la guerre, la Gagaouzie et toute la Moldavie subirent une intense russification et l’on imposa l’alphabet cyrillique en 1957. Depuis 1994, le gagaouze (caractères latins) est reconnu en Moldavie, ce qui assure une certaine pérennité, mais qui n’empêche pas la majorité de la population à utiliser encore les caractères cyrilliques.

Émigration gagaouze récente vers la Turquie

La Turquie, qui n’est pas dans la sphère territoriale historique des Gagaouzes, compte aussi une petite communauté. Si la plupart des Gagaouzes orthodoxes sont installés à Istanbul et dans la région d’Edirne, ils sont surtout présents depuis la bulgarisation forcée (1989) des Turcs de Bulgarie, et à la suite d’une immigration économique récente. Les Gagaouzes s’intègrent rapidement, grâce notamment à la proximité des langues et des cultures.

Les nouveaux liens économiques, politiques et culturels qu’entretiennent la Turquie et la Gagaouzie, encouragent aussi les échanges d’individus. Ainsi un nombre croissant de Turcs de Turquie s’installent en Gagaouzie pour y développer le commerce, tandis que des Gagaouzes sont accueillis en Turquie pour y étudier ou pour y travailler. En ajoutant les nouveaux venus aux communautés plus anciennes, la totalité des Gagaouzes de Turquie ne devrait toutefois pas dépasser les 15 à 20 000 personnes réparties entre Istanbul, Ankara et la région d’Edirne. A Istanbul, le temple protestant arménien St Jean, dans le quartier de Gedikpaşa, sert également à la communauté gagaouze orthodoxe.

Lors de la visite du Ministre des Affaires Etrangères turc M. Davutoğlu en Gagaouzie en 2015, une demande officielle lui a été adressée de la part de l’Eglise gagaouze, pour l’ouverture d’un lieu de culte communautaire à Istanbul.

Fête gagaouze organisée par la municipalité métropolitaine d’Istanbul

Les Gagaouzes musulmans

(Müslüman Gagauzları)

Les Gagaouzes qui ont adopté l’islam généralement sunnite, vivent principalement en Bulgarie, mais aussi en Roumanie, en Grèce et en Turquie. Le premier groupe de Gagaouzes qui a adopté l’islam à la fin du Moyen-Age, est originaire de Lugodorie. D’autres Gagaouzes d’autres régions bulgares se sont convertis à l’islam ultérieurement. Ces derniers nommés « Turcs Gagaouzes » ou simplement « Gagaouzes ». Il ne faut toutefois pas les assimiler à l’ensemble des Turcs de Bulgarie, car ils ne forment qu’une petite partie différenciée, notamment par les traits particuliers de leur langue. Il existe aussi des communautés qui ont adopté une religion différente surtout en Bulgarie, au XIXe siècle : Les Gagaouzes catholiques et les Gagaouzes protestants, tous turcophones.

Il n’existe aucune étude sur les Gagaouzes musulmans, et on ne sait pas à combien peut s’élever leur nombre. Une association chrétienne américaine avançait en 2002 que les Gagaouzes musulmans de Turquie pouvaient atteindre les 410 000 personnes. Ce chiffre paraît fort exagéré et, quoiqu’il en soit, les Gagaouzes musulmans se fondent naturellement dans la société turque, sans qu’il soit possible de les différencier.

form-idea.com, le 18 avril 2021. Avec nos remerciements à Marina Rota. 

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