« Son Royaume » ou le règne futur des évangélistes
Netflix
Auteur : Pierre Scordia
Politique et religion
« Son Royaume », série policière argentine au titre original « El Reino », est captivante, sombre et remarquablement bien interprétée. Elle nous plonge au cœur d’un paysage politique argentin en pleine effervescence, alors qu’une campagne électorale bat son plein. Un candidat ambitieux, soutenu par de puissants lobbies, s’allie à une figure évangélique charismatique, fondateur de sa propre église à Buenos Aires. En lui offrant la vice-présidence, il espère rallier le vote fidèle des évangéliques, une force en pleine expansion et fortement politisée à travers toute l’Amérique latine.
Dès le premier épisode, l’intrigue s’ouvre sur l’assassinat d’un des candidats. Au fil des épisodes, la série révèle l’ampleur de la corruption dans les sphères du pouvoir et met en lumière l’influence croissante des évangéliques. Leur objectif dissimulé : prendre le contrôle de ministères stratégiques tels que la Culture, l’Éducation, les Affaires religieuses, la Justice et l’Intérieur.
Ingérence américaine
La série aborde également l’ingérence de la CIA dans les affaires politiques et économiques de l’Argentine. L’agence américaine y apparaît déterminée à empêcher l’arrivée de la gauche radicale au pouvoir, quels qu’en soient les moyens. Tout comme elle avait soutenu les Moudjahidines — ces "fous d’Allah" — pour faire tomber le régime communiste à Kaboul, les États-Unis préfèrent, en Amérique latine, miser sur les Évangéliques. Perçus comme les garants de la propriété privée, ces derniers constituent un rempart plus sûr contre les mouvements de gauche susceptibles de nationaliser les industries stratégiques.
Un bref retour en arrière éclaire cette logique : la série évoque la crise financière de 2001, lorsque la CIA aurait facilité l’exfiltration de milliards de dollars depuis l’Argentine vers les banques nord-américaines et européennes. Cette fuite précède de peu le gel des comptes bancaires décidé par Buenos Aires, l’interdiction des virements à l’étranger, la fin de la parité dollar-peso, puis une brutale dévaluation accompagnée de la conversion forcée des comptes en dollars en pesos à un taux désastreux. Résultat : des millions d’Argentins privés d’une grande partie de leurs économies. Un véritable hold-up à l’échelle nationale — sans doute l’un des plus spectaculaires du siècle.
Scandales sexuels
Comme on l’a souvent vu dans les sphères politiques et ecclésiastiques, les scandales sexuels sont légion. Les exemples abondent : les partouzes gays au Vatican, le voyeurisme de Jerry Falwell Jr. — évangéliste américain influent et fervent partisan de Donald Trump —, les escorts de Dominique Strauss-Kahn, ou pire encore, l’abject réseau pédophile en Belgique, dont la vérité complète reste enfouie sous des années d’omerta. Son Royaume s’inscrit dans cette même veine trouble : la série met en scène un vaste scandale de mœurs que les barbouzes, à la solde de puissants lobbies, s’emploient à faire disparaître. La fin justifie les moyens, peu importe le prix.
Pendant ce temps, les dirigeants s’efforcent de museler la justice. En Argentine, la mort toujours suspecte du juge Alberto Nisman, en 2015, continue de hanter les mémoires — symbole d’un système où la vérité semble souvent étouffée avant de pouvoir éclater.
La menace du fanatisme religieux
Certes, Son Royaume n’a rien de réjouissant, mais c’est précisément ce qui fait sa force. Réaliste, sombre et captivante, la série lance une mise en garde contre l’influence croissante des églises évangéliques dans les sphères du pouvoir politique. Si une prise de pouvoir par les Évangélistes semble peu probable en Argentine — une société largement progressiste, où le mariage pour tous, l’avortement et la reconnaissance des identités non binaires sont légalisés —, la situation est bien différente ailleurs en Amérique latine.
Le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, et même certaines îles des Caraïbes, voient se renforcer le poids des lobbys chrétiens dans la vie politique. Cette montée en puissance, pour beaucoup, représente une menace directe contre la démocratie, la laïcité et la diversité culturelle et sociale.