Angela Merkel est perçue comme une femme politique exceptionnelle, prudente, mesurée et pragmatique, une pro-européenne qui a su maintenir la paix et la prospérité en Europe. Cette dirigeante qui aurait sauvé l’Euro et qui aurait tenu tête à Donald Trump et Vladimir Poutine a reçu la plus haute distinction française par Emmanuel Macron : « la Grand’Croix[1] ».
Cependant, si l’on s’attarde, on peut affirmer que Merkel est loin de faire l’unanimité. Elle a été responsable d’une austérité dogmatique qui a appauvri les pays de l’Europe du Sud et a accéléré leur désindustrialisation, elle a voulu punir la Grèce en caressant l’idée d’expulser ce pays de la zone Euro, elle a encouragé en Europe une immigration massive aux répercussions graves, elle a passé un accord avec Erdoğan sans consulter au préalable ses partenaires européens et elle a toujours facilité le dialogue et la signature d’accords commerciaux avec les régimes autoritaires et totalitaires qui menacent les valeurs européennes : Turquie, Russie, Chine et Biélorussie.
Quand on est dirigeant, il ne fait aucun doute qu’on doit avoir recours parfois à la Realpolitik – et donc laisser de côté les principes démocratiques – car les enjeux politiques et économiques sont trop importants. Mais il semble que Madame Merkel a négocié le plus souvent au non des seuls intérêts économiques de l’Allemagne.
CRISE DE L’EURO
Revenons à la crise grecque qui a débuté en 2008, le ministre des finances Wolfgang Schäuble s’est montré inflexible envers la Grèce, l’humiliant et la poussant petit à petit vers la sortie de l’Euro. Il est vrai que les Grecs ont menti sur l’état de leurs finances notamment grâce aux conseils de la banque américaine Goldman Sachs, mais les Allemands n’ignoraient pas les subterfuges helléniques quand ils ont accepté la Grèce dans l’Euro en 2001. Les profits étaient trop prometteurs pour que l’on refuse l’adhésion d’un nouveau membre à cette époque-là. On estime que la crise grecque aurait apporté plus d’un milliard d’euros aux finances allemandes.
Par ailleurs, ce manque de solidarité germanique envers la Grèce a déclenché un effet domino en entraînant une vraie spéculation boursière sur les emprunts des pays les plus fragiles : Portugal, Espagne, Irlande, Chypre et Italie. Les taux d’intérêts exorbitants et l’austérité exigée ont contribué à une grave crise sociale contre-productive dans les États dits dépensiers. Même les Espagnols, plutôt germanophiles, ont commencé à développer un sentiment anti-allemand en 2012. Les tergiversations de Merkel ont coûté très cher à l’Europe du Sud.
LA CRISE MIGRATOIRE
Lorsqu’en 2015, Angela Merkel ouvre les portes de son pays par cette fameuse phrase « nous y arriverons », elle invite – sans qu’elle en mesure toutes les conséquences – de nombreux jeunes africains, arabes et asiatiques en manque d’avenir à entreprendre le périple dangereux vers les portes de l’Eldorado européen. Si on peut se réjouir que des réfugiés syriens aient réussi à construire une nouvelle vie après avoir fui la guerre, cette chance a-t-elle vraiment été donnée dans un sursaut de compassion ?
En 2015, l’Institut Prognos a considéré que 1.8 million de travailleurs manquaient à l’économie allemande. Il n’est donc pas surprenant que le pays ait pu intégrer rapidement dans son marché du travail le million de migrants arrivés. La décision de Merkel ne semble pas avoir été entièrement de nature philanthropique.
Au nom de la solidarité européenne, Merkel a demandé quelques mois plus tard une répartition des migrants dans toute l’Union. Certains partenaires européens n’avaient ni les moyens ni l’envie de recevoir une population majoritairement musulmane, ce qui a entraîné la montée de forces conservatrices et de mouvements d’extrême-droite sur la scène politique européenne. Pire, le pari risqué par Merkel est sans doute responsable du Brexit. Quelques jours avant le référendum en juin 2016, de grands panneaux publicitaires dans lesquels apparaissaient une horde de migrants sur le chemin de l’Europe avec pour slogan «Breaking Point – The EU has failed us all », Point de rupture, l’Europe nous a tous fait échouer… Cette photo commanditée par le détestable Nigel Farage a eu un impact important dans le vote britannique. De nombreux Anglais ont fait l’amalgame entre abolition des frontières et libre-circulation des travailleurs européens[2].
Même si les Britanniques ont été des partenaires difficiles au sein de l’Union européenne, on regrette leur départ. Dernièrement, on a pu voir qu’un différend sur la pêche pourrait facilement dégénérer entre Anglais et Français. Plus grave, un conflit sur la frontière en Irlande peut surgir à tout moment. A cause du Brexit, l’Europe ressort affaiblie et déséquilibrée, le poids de Berlin à Bruxelles ne faisant que grandir.
L’EUROPE, LE VENTRE MOU DE L’OCCIDENT
Concessions à la Turquie
Il n’aura fallu que quelques mois pour que la chancelière prenne conscience de l’ampleur de sa décision sur la migration pour qu’elle négocie directement un accord avec Recep Tayyip Erdoğan, se mettant à plat ventre le Turc qui n’hésite pas à brandir la menace des trois millions de réfugiés si on ne lui octroie pas les trois milliards d’Euros qui ne font que s’additionner avec les années. Ainsi n’est-il plus étonnant que Berlin refuse de sanctionner les dérives d’Ankara concernant le non-respect des droits de l’Homme de peur qu’Erdoğan ouvre les vannes de l’émigration. L’Allemagne veut ignorer les inquiétudes grecques et chypriotes sur l’expansionnisme militaire de la Turquie en mer d’Égée.