Estimated reading time: 27 minutes

Présentation donnée à la conférence internationale tenue à l’Université Nationale Mechnikov à Odessa en juin 2017 (en collaboration avec l’Université de Varsovie et l’Université de Kaunas).

La révolution ukrainienne suivie de l’agression russe a été analysée parfois dans la presse avec un certain scepticisme en France et en Grande-Bretagne même si la grande majorité des journaux ainsi que les gouvernements de ces deux pays ont condamné avec fermeté l’annexion de la Crimée à la Russie et l’appui militaire russe aux rebelles du Donbass.

LA COUVERTURE MÉDIATIQUE EN GRANDE BRETAGNE ET EN FRANCE

Les médias britanniques s’intéressent particulièrement à la stratégie de Vladimir Poutine, à sa politique et à sa machine de propagande. On pourrait dire qu’il y a paradoxalement une certaine admiration et révulsion pour le président russe.

En ce qui concerne l’Ukraine, il y a une certaine méconnaissance du pays qu’on présente comme divisé. La frontière politique est calquée sur la frontière linguistique. Odessa par exemple est perçue comme une ville profondément clivée alors que les sondages montraient dès le départ que le séparatisme n’attirait qu’une infime fraction de la population. Cette erreur est due à l’influence de la vision de Vladimir Poutine qui associe les russophones aux Russes. De nombreux experts (Andriy Protnov, Laas Leivat, Peter Dickinson, Timothy Garton Ash, Howard Arnos)  ont noté que les médias européens, en particuliers allemands, britanniques et français, reprenaient la terminologie utilisée par la propagande du Kremlin. Ainsi parle-t-on de séparatistes ou de rebelles pro-russes comme s’il s’agissait d’une guerre civile alors qu’on aurait affaire plutôt à un conflit orchestré par la Russie. Par contre, les médias occidentaux ne reprennent pas les termes employés par le gouvernement ukrainien (terroristes, opération anti-terroristes).

Les journalistes britanniques et français emploient le terme plus neutre « crise ukrainienne » quand ils traitent du conflit armé dans le Donbass puisqu’officiellement, il n’y a pas de guerre entre la Russie et l’Ukraine, que ce soit à Kiev ou à Moscou. Le journal The Independent déplore que les dirigeants occidentaux refusent de parler d’invasion et qu’ils préfèrent les mots agression ou incursion.

Pour résumer au mieux l’interprétation des journalistes anglais et français, nous prendrons comme fil conducteur la vision du prestigieux magazine britannique, The Economist, revue qui résume très bien la vision occidentale et libérale de la crise ukrainienne tout en restant soucieux d’informer les différentes interprétations qui parfois vont à l’encontre de celle de ce média.

Début de la crise

Le magazine s’est intéressé très tôt à la guerre commerciale qui menaçait les deux pays à cause du projet d’association entre l’Ukraine et l’Union Européenne. On note la pression russe pour que l’Ukraine renonce à cet accord. Même si la Russie a les moyens de faire pression, The Economist remarque qu’elle a déjà perdu la bataille médiatique, ce qui explique en partie pourquoi le projet d’association reste très populaire auprès de la population ukrainienne (24/08/2013).

The Economist est assez impartial dès le départ. Dans un article du 23 novembre 2013 intitulée « Playing East against West » (joué l’Est contre l’Occident), on dit que l’Ukraine, pays n’ayant pas encore acquis une culture solide de l’état nation est pris en étau entre deux blocs, l’Union Européenne et la Russie, qui désirent l’un comme l’autre que Kiev adhère à son club tout en renonçant à l’autre. The Economist note que sans l’Ukraine, la Russie n’est plus un empire et ses frontières reculeront à celles du XVIIe siècle. On prévient que l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine serait la ligne rouge pour le Kremlin.  

The Economist rappelle que la Pologne et la Suède jouent leur crédibilité diplomatique dans cet accord d’association. Un partenariat avec l’Europe de l’Est et le Caucase sans l’Ukraine serait un échec pour l’Union Européenne. Toutefois, le problème pour l’UE est que l’Ukraine ne correspond pas du tout aux valeurs européennes. Pour le magazine britannique l’Ukraine reste un pays corrompu pris par une élite parasite. Le Président ne soucie peu de l’intérêt national et ses seuls soucis demeurent son maintien au pouvoir et l’enrichissement de son clan.

The Economist est très dur dans sa conclusion : peu importe qui remportera la partie, on aura du mal à ce que l’Ukraine implémente les accords.

Sept jours plus tard, The Economist dit que le président ukrainien Yanukovych a commis une grave erreur stratégique en conservant le statu quo (donc en refusant de signer l’association) mais il a rendu un grand service à l’Europe, empêchant cette dernière de faire ménage avec un régime peu sérieux. Par ailleurs, une association aurait probablement servi à relever sa popularité et à se faire réélire en 2015. Le magazine estime que le temps de Yanukovych est compté. Il est peu probable qu’il se fasse réélire démocratiquement à cause de la colère qu’il vient de déclencher auprès de la classe moyenne et surtout des jeunes. Pour beaucoup d’entrepreneurs ukrainiens, le traité d’association avec l’UE était la meilleure façon de se protéger contre le racket fiscal du clan Yanukovych.

LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER 2014

Cette révolution n’a pas de nom car elle n’est pas encore terminée. L’élite en place à la chute du régime de Yanukovych ne plaît guère à la population. L’accueil froid réservé à l’opposante Yulia Tymochenko sur la place Maidan reflète ce sentiment. Les révolutionnaires de la place Maidan ne veulent plus du système oligarchique qui consiste à se servir de l’État plutôt qu’à le servir. Les manifestants ne font aucunement confiance à la Rada, ni aux leaders de l’opposition. Ils désirent que les choses bougent. La Rada quant à elle, a commis l’erreur d’enlever au russe le statut de langue officielle (alors que celle-ci était dominée par le Parti des Régions, parti largement russophone). Ce geste politique ne fait qu’alimenter la propagande de Poutine et contribue à la division du pays.

Pour The Economist, la seule chose qui unit le pays est la reconnaissance de Kiev comme la capitale du pays. Kiev est un symbole national dans lequel les Ukrainiens russophones et ceux de langue ukrainienne s’identifient. Pour le magazine, il est urgent que le nouveau gouvernement en place établissent des passerelles entre les régions russophones de l’Est et du Sud et les oblasts de l’Ouest,  cette Ukraine occidentale qui comme le rappelle la revue n’a connu la soviétisation qu’en 1939. On mentionne le rôle du maire de Lviv, Andrey Sadovyi qui a déclaré une journée de russe dans la ville où les gens sont invités à s’exprimer que dans la langue de Pouchkine.

Le magazine conclut que le prochain défi viendra de la Crimée car il est fort à parier que Poutine, humilié, cherchera à déstabiliser l’Ukraine, comme il l’a déjà fait en Géorgie avec l’Abkhazie. Il est possible que Poutine tente d’annexer la péninsule de Crimée.

Pour le journal de gauche The Guardian, les Occidentaux n’ont pas compris que le Président Yanukoviych n’était pas pire au niveau de la corruption que les leaders de l’opposition dont la très riche Yulia Tymochenko. Cependant, The Guardian, par la voix de Shaun Walker, s’inquiète de la propagande russe qui associe les manifestants à des gens sinistres à la solde de l’occident dont l’objectif final est de déstabiliser la Russie. La contradiction est que les défenseurs des bases russes en Crimée qui dénoncent les fascistes de Kiev se comportent comme des gens de l’extrême-droite. Quant au Financial times, il regrette que les médias russes ne reportent pas la réalité des choses, par exemple qu’une large partie des Ukrainiens qui sont enrôlés dans l’armée ukrainienne et dans la garde nationale sont russophones. Le Financial Times déplore cet amalgame fait entre Russes et russophones, amalgame voulu par le Président Poutine.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *