Le roi de la merde gabonaise

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Les abeilles ne perdent pas leur temps à expliquer aux mouches que le pollen est meilleur que la merde ! Mais on attrape plus de mouches avec de la merde qu’avec du miel ! (Proverbe Africain).

 

C’est Moïse Moussounda qu’il s’appelle, l’ancien mécanicien dans l’aéronautique, propriétaire des camions ventouses qui sillonnent Libreville pompant nuit et jour les fosses septiques de la capitale gabonaise. Il dit lui-même avec fierté : «je pompe de la merde et j’en recrache de l’or» !

Un type format-steward, voisin de comptoir du bar, en retraite d’un poste au Gabon nous entend causer de Sénégal et de Côte d’Ivoire, il veut rivaliser de « moi je ! », vas-y garçon, on l’encourage ! Mets ta tournée de mauresques et sors la piste de 421 qu’on se joue la prochaine aux dés ! Le steward était en réalité un pilote, on l’invite avec sa femme, on dine, on dort et au petit déjeuner on parle affaires !

A Libreville, il était en l’air, il avait un collègue au sol, ce mécano sur gros porteur a acheté le premier camion hydrocureur d’occasion arrivé sur le sol gabonais. Le Président Bongo a fait des bons avec ses maracas quand il a appris qu’un autochtone voulait s’approprier l’aspiration des fosses septiques, Moussounda se retire du bureau Présidentiel à reculons, courbé en deux, ses babines dégoulinent de bafouillis de remerciements et des «je vous salue marie» mélangés à des incantations aux Dieux de la «Gabonaise des Jeux» pour lui avoir accordé le gros lot du loto local et fécal. C’est fait, Bongo a fait cadeau de l’exclusivité du caca gabonais à Moussounda. «Je promets de récolter la moindre crotte égarée, Président Bongo !». Moïse Moussounda est sacré Shadock Premier, Roi de la Pompe à Merde. Il va faire bonne œuvre en débarrassant l’Europe d’un bon petit paquet de vieux hydrocureurs.

Un peu de tôlerie, une bonne révision mécanique (il s’y connaît), un coup de peinture avec au cul du camion le portrait de Omar Bongo, Président du Gabon pendant 43 ans, élu démocratiquement bien entendu, avec peut-être un petit coup de main de Jacques Foccart envoyé spécial de la France/Afrique. La France cherche et trouve du pétrole au Gabon que depuis 1928, depuis le Gabon joue des  «Bongo» de père en fils depuis 1967… Va comprendre le comment du pourquoi ! Il tape sur des bambous, il est numéro 1 !

Le départ

Forts de nos séjours/travail en Afrique noire, mon enfance au Maghreb comme la vie subsaharienne de mon binôme, notre qualification en hôtellerie/restauration dans la poche revolver, on se tape dans la main avec le pilote pour rejoindre Moussounda à Libreville et gérer son hôtel restaurant qu’il vient de se payer à Lambaréné avec ses pompes à purin. Why not ? On sifflote, la routine pour nous !

J’entends d’ici les lecteurs raisonnables : « Comment, vous quittez le merveilleux pays Françoys sans assurance, ni contrat ? Ici vous avez la Sécurité Sociale, les congés payés, les congés maladie, les RTT, les jours de grève rémunérés, le 13e mois ou plus, les chèques vacances, les tickets restaurant, les primes de rentrée et de sortie, de Noël, les primes de rattrapage d’indice, les aides sociales (RSA,RSI,RSO,ARS etc…), les cellules psychologiques, les assurances pour la voiture, la maison, la vie et la mort en cotisant pendant sa vie sur sa tombe à venir…» Mais pour nous « la tombe », c’est justement tout cela…! J’attrape « ma bite et mon couteau » et on part au Gabon !

La rencontre

Moussounda nous attend à l’aéroport Léon Mba à Libreville avec une petite pancarte à notre nom. Il m’arrive à l’épaule, une boule de suif, nerveux et arrogant à la fois. Bizarrement la serrure de ma valise a été fracassée, là c’est sûr, nous sommes arrivés, ça fait partie du jeu, ça commence comme prévu, re-bonjour l’Afrique ! Mais après inventaire, mes slips et mes vieux shorts n’ont pas trouvé preneur, j’ai laissé ma garde-robe de cocktail mondain en lieu sûr… l’expérience !

Mon binôme assure les relations diplomatiques, blonde aux yeux bleus, c’est un bloc de charme sur pattes ; Moussounda ne s’attendait pas à recevoir Nicole Kidman, il attendait des clochards de blancs ordinaires sans plus aucune opportunité de survie en France et à la recherche d’une bouée de sauvetage africaine comme tant d’autres épaves françaises échouées en Afrique de l’ouest… c’est la destination la plus facile grâce aux ex-colons qui ont obligé les Africains à parler français ! Ces débris arrivent souvent en Afrique avec l’attitude du colon en pays conquis, c’est la boulette ! L’autre boulette c’est l’Africain embourgeoisé qui emploie des blancs, qui se croit investi d’une mission vengeresse ; il veut incarner la revanche contre le passé de dominé, refaire l’Histoire, il veut se métamorphoser à son tour en dominateur et tenir enfin le premier rôle dans le film ! Mais pas de bol, il nous regarde, on se regarde, se juge et se jauge, on a déjà des doutes sur notre entente. On ne se présente pas à un poste de domestique de sa Seigneurie Moussounda. Il le sent mais ne veut pas en convenir, il s’enfonce dans son désir de représailles, il se dit qu’il nous mettra au pas comme les colons l’ont fait avec son père et avec lui au début de sa carrière ; il est riche et croit nous mettre à sa botte.

Il est dangereux d’essayer d’asservir un peuple qui veut rester libre ! (Machiavel)

Libreville

Moussounda met la gomme avec son 4X4 rutilant, (pfft même pas de chauffeur), la banlieue de Libreville n’est qu’un chapelet de taudis en tôle ondulée quand ce n’est pas en torchis. L’activité se passe à même la terre battue entre la route et le bidonville, les boutiques de vaisselle plastique, de tissus bariolés, les réparations de pneus, un coiffeur, des oiseaux en cage, des ustensiles de cuisine en étain et émail, un terrain de jeu pour les chiens errants. Tout ici est importé, à l’image de ce tissu label AOP, Wax et Bazin fabriqué en Europe que les Africains veulent faire passer pour ’traditionnel’. Le quartier résidentiel est classique, les villas sont cerclées comme des tonneaux par de très hauts murs de protection, un lourd portail opaque et un gardien en uniforme « à-peu-près ». Les riches gabonais se sont contentés de reproduire la vie coloniale dans sa honte, les riches – très riches – ont remplacé les colons aux mêmes places dans la ville et dans la vie sociale, la plus grande partie de la population très pauvre est restée en esclavage, juste encore un peu plus pauvre en changeant de maîtres.

Moussounda nous présente sa maison comme il ferait visiter Versailles ou le Louvre, une grosse bâtisse, « je l’ai construite moi-même » dit-il avec fierté, malheureusement ça se voit, aucun goût, juste volumineuse, comme la grenouille qui veut égaler le bœuf, il se gonfle comme un pneu mais sans changer la taille de ses os, c’est un œdème géant sur pied, notre indifférence et notre absence de félicitation sont sûrement pour quelque chose dans sa grimace. Et voici sa famille, une femme et deux enfants nous attendent pour diner, nous déposons nos bagages dans une chambre, à table la conversation est banale, Moussounda continue son auto-flatterie et nous comprenons assez vite qu’il n’est pas un ancien de Paris Saclay, de notre côté, nous restons sur la réserve, nous nous positionnons en professionnels venus gérer son établissement hôtelier, il comprend que c’est lui qui passe l’entretien, il est vexé comme un pou.

Lambaréné (Gabon)

Le lendemain matin, on ne lambine pas, c’est le départ pour Lambaréné.

Lambaréné se situe à 250 kms (par la route) au sud-est de Libreville, sur les rives de l’Ogooué, elle est le chef-lieu provincial et le centre administratif, économique et médical (Hôpital Docteur Albert-Schweitzer depuis 1913) de la province du Moyen-Ogooué. La ville se concentre autour d’une île qui comprend le marché local et une station-service. Le marché donne sur les berges, d’où partent les pirogues pour descendre ou remonter le fleuve vers les lieux habités le long des berges». (Wikipedia)

Nous savions déjà que ce serait la brousse, nous n’avions jamais tenté ce genre d’expédition, plus tard ce sera aussi du lourd à Aït-Ben-Haddou au Maroc ! On est parti pour 4 heures de routes entièrement défoncées par les grumiers, la voiture bondit d’ilots de bitume explosés en pistes de latérite, un brouillard de poussière rouge fouette ceux qui nous suivent, c’est une étape  spéciale de rallye en pays hostile. Moussounda pense nous impressionner, mais décidément c’est pas son jour, nous sommes passés par les routes de Mauritanie, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire avec leur sacré pesant de casse-essieux, ce n’est donc pas surprenant pour nous ; il surveille du coin de l’oeil les réactions de miss-monde en espérant la déstabiliser, mais les montagnes russes et les auto-tampons la font marrer, il ne sait pas encore qu’elle connaît la terre battue mieux que Rafaël Nadal… Il la voyait en porcelaine dans un salon du 7° arrondissement, mais elle est plus proche de Dian Fossey que de Rachida Dati.

Ogooué Hotel (Lambaréné)

Entièrement enceint d’un mur de 3 mètres de haut, un portail d’une épaisseur-coffre-fort, un gardien aux ordres, l’hôtel descend en pente douce sur le fleuve, 18 chambres en forme de bungalows, une piscine centrale, un bâtiment réception, un bar-restaurant… Une chambre nous est attribuée, on se débarbouille, on va déjeuner avec l’équipe et les copains locaux de Moussounda. Il a deux vies distinctes le roublard, une vie professionnelle et familiale à Libreville, et ici c’est son fief, il s’est offert loin de son image de notable gabonais une vie de prince-célibataire-propriétaire. A table, Moussounda 1er, Roi des nèfles se révèle, il règne sur une dizaine de personnes qu’il paie ou à qui il offre des facilités sur ce que nous ne savons pas encore, mais aucun doute, ils sont tous redevables au gnome qui gonfle à vue d’œil sous son crâne en peau de fesses véritable. La conversation se transforme petit à petit en inquisition, bienvenu les amis, nous resterons très évasifs !

Pour le personnel et l’organisation commerciale, nous posons les questions avec le jargon de la profession, ils sont «capot» dès le début de la partie et demandent souvent à piocher quelques cartes de repêchage. Les «amis-complices» du Parrain essaient de lui venir à la rescousse, ils ont fait leurs études en France et veulent en imposer, comment ont-ils pu penser qu’en végétant dans ce trou de brousse depuis tant d’années ils pouvaient nous la faire à l’envers. Bref ! Leurs yeux et leurs rictus trahissent un moment grave ; les deux blancs ne sont pas les débris en perdition qu’ils attendaient, nous avons le «français» parlé et écrit courant, ils pensaient que nous étions allés à l’école jusqu’au… portail, catastrophe pour la petite tablée !

Pourtant ils restent en confiance pour la suite, les blancs ont toujours une faille sans quoi ils ne seraient pas venus jusqu’ici, ils attendent d’appuyer là où ça fait mal pour nous garder à leur botte ; employer des blancs à la gérance de son Ogooué-Hotel Restaurant à Lambaréné c’est «trop la classe» pour Moussounda, il ne veut pas lâcher l’affaire ! Sa revanche sur l’histoire de la colonisation l’obsède.

La semaine, il retourne à sa vie officielle à Libreville et nous laisse dans la nasse sous surveillance de ses sous-marins et leurs périscopes en érection permanente, il nous observera de loin. Le gardien est une quintessence de balance, il aurait été un fidèle de la kommandantur en 42, il répercute quotidiennement au Boss tous les détails de la vie du site, il coche la présence du personnel, les bruits de couloirs, l’entretien du matériel, il détient la clé du coffre et les comptes qui vont avec.

Une jeune femme d’une vingtaine d’années fait office de réceptionniste, elle dit bonjour, loue les chambres, prend les commandes s’il y a des repas, remet la caisse au gardien et prend soin avec zèle des «gâteries» dues au Boss lors de son séjour hebdomadaire. Nous ne verrons jamais débarquer sa famille de Libreville, ici, il est le suzerain de son fief, il Capo di tutti capi !

S’adapter à l’Afrique

Dès la première soirée, nous fumons le narguilé envoutant de la nuit africaine, l’air est si épais qu’on le sent frôler les fosses nasales, de la matière qu’on pourrait froisser entre les doigts, sur les transats devant la piscine où se reflète une lune livide, si proche qu’on la câlinerait, cette nuit est si profondément noire qu’elle ferait passer Pierre Soulages pour un peintre du dimanche.

L’Afrique équatoriale vous digère ou vous vomi. Tout ici est gras et sucré, pas de régime possible. Il n’y a aucune place pour les picoreurs de graines bio. Les feuilles des arbres sont épaisses comme des steaks de charolais, la terre acajou est gorgée d’eau, elle est une éponge sous le poids du marcheur, le fleuve opaque a la texture d’une huile de vidange chargée de limon, comme une langue malodorante après une cuite au mauvais alcool, il s’écoule ; on déguste le souffle de la brise comme de la nourriture, chaud et goûteux, il y a de la vie à l’intérieur, de l’humidité, des bactéries, des senteurs, qu’on avale sans filtre jusqu’au fond des poumons. Tout autour, en haut et en bas, pèse une enclume et pourtant on plane…on s’en régale et se nourrit ou au contraire si on est trop caucasien pour en bouffer, on angoisse et on étouffe.

On s’africanise comme on s’amarine contre le mal de mer. C’est oui ou c’est non ! C’est la pirogue ou le retour à l’aseptisation.

Et voilà que les puristes crient au scandale : «Comment, rien sur le son, l’imposteur nouveau est arrivé, il est sourd…» ! Oui, il faudrait être sourd pour ne pas morfler des tympans aux battements des enceintes poussées à fond de la profonde Afrique des villes et de la brousse la nuit.

Dès le crépuscule, les cordes s’accordent, les clarinettes et les hautbois ajustent leur lamelle de bambou et trouvent le ‘La’, les percussions frappent les peaux, les feuilles, le bois des arbres ; une fois la botanique accordée, les animaux de nuit raclent leurs amygdales de gargarismes rauques, ils monteront en gamme jusqu’à la nuit à l’encre noire de chez Waterman, celle de l’école quand on écrivait à la plume trempée dans un encrier de porcelaine blanche incrusté dans le pupitre.

 Le concert durera jusqu’à l’aube, les rave-party n’ont rien inventé !

Le travail

Dès le matin tôt nous sommes au travail, le personnel habitué à ne voir personne réveillé à cette heure-là, se traine avec forts chuintements de claquettes au sol du genre Gaston Lagaffe, ils dorment debout en glissant sur le carrelage. Toujours accrochés à leur idée préconçue des blancs fainéants façon mérovingienne, ils nous ne nous attendaient qu’en fin de matinée, se faisant servir au bord de la piscine comme des touristes au Club Med. Mais voilà, nous sommes venus travailler, on ne boit pas, on ne fume pas, on ne se traine pas comme des limaces, on bouge !

Pour ce métier, y a pas de secret : la Cuisine, c’est la tenue de l’économat, l’hygiène de la cuisine, l’exécution des commandes et pour l’Hôtel c’est la propreté et la propreté.

Dès le premier jour ça valse ! Il faut tout reprendre. Le Restaurant est une réplique de réfectoire d’internat, tables en formica et chaises d’écoles, la nuit des néons de 75 watts posés tous les mètres au plafond foudroient la trop grande salle, à l’extérieur chaque centimètre de vitre est englué d’insectes attirés par trop de lumière, il est impossible d’ouvrir une fenêtre, la déprime ! La Cuisine est petite, sale et mal équipée, on cherche les plans de travail, le poste de cuisson est un bloc de gras. Pour l’économat : froid, surgelé, tubercules et sec, c’est un beau bordel ou carrément ça n’existe pas, c’est le souk sans la sympathie légendaire des vendeurs de la casbah. Les chambres, pour rester poli, sont ‘sobres‘!
On est venus, on a vu, on l’a dans le cul !

On va faire au mieux en mettant le doigt là où ça fait mal, l’erreur de Moussounda a été de vouloir faire à la française, il va falloir qu’il avale quelques couleuvres, s’il avait fabriqué un établissement à l’africaine avec tout son charme à l’image des magnifiques lodges du Kenya, le concept aurait pu attirer quelques touristes en recherche d’authenticité, quoiqu’il faut quand même une sacrée motivation pour venir jusqu’ici ! Dans sa configuration actuelle, l’Ogooué Hotel peut permettre à des autorités autoritaires de le réquisitionner en camp de rétention pour immigrés illégaux.

Le chef de cuisine est un sénégalais sympathique, mais fort malheureusement (pour lui), il ne sait ni lire, ni compter et en technique de cuisine, il connaît par cœur que 3 recettes qu’il mijote tous les jours. Il fait illusion pour son patron depuis une bonne année et ne tient pas à ce que je révèle son incompétence, tu parles d’un mastic ! Je ne dénonce pas son imposture, on nettoie, je forme, on approvisionne, on stocke, on cuisine des menus et même des banquets.

Mon binôme joue la gouvernante, l’hôtel est pratiquement vide, mais il faut contrôler les chambres tous les jours à cause de l’humidité et des petites bestioles qui adorent le confort des logements pour les humains, les femmes de chambre n’apprécient pas. Pourquoi ouvrir et nettoyer des chambres qui n’ont pas été occupées, elles diront : «Madame, tu vas me suicider» ! Elles sont totalement subjuguées par l’aptitude au travail de la blanche qui déontologiquement devrait se prélasser sur un transat, distribuer des punitions et surtout ne jamais travailler.

Le blanc qui travaille constitue un acte terroriste contre la pyramide du commandement. Le malentendu se durcit encore plus avant avec Moussounda, il ne décode pas notre message, il  pense qu’on améliore le fonctionnement en vue de s’installer et en déduit qu’il a finalement flairé la bonne affaire.  Qui de plus aveugle et sourd que celui qui ne veut ni voir ni entendre : «Un jour en pleine nuit, un aveugle assis à genoux sur un banc de pierre de bois, lisais son journal non imprimé à la lueur d’un réverbère éteint» ! C’est tout lui ça !

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