Ascension dangereuse sous le règne d’Henry VIII

Dans notre rubrique littéraire de cette année, nous vous proposons deux livres qui couvrent deux périodes du règne Henry VIII Tudor, roi se démarquant de ces contemporains et par sa vie familiale turbulente et par sa volonté d’établir une nouvelle Église catholique à son image, en rupture totale avec le Pape.

Les deux livres que nous avons retenus sont l’œuvre impressionnante de Hilary Mantel, Dans l’ombre des Tudors et celle de Philippa Gregory, La Dernière Reine. Le premier raconte l’ascension remarquable du redoutable Thomas Cromwell tandis que le second s’attarde sur le règne de la sixième et dernière femme du monarque anglais, l’érudite Catherine Parr.

Vivre ou travailler à la cour d’Henry VIII était pour le moins risqué car tomber en disgrâce équivalait à un séjour à la Tour de Londres pour y être ensuite décapité. Mais rien ne dissuadait les arrivistes, car la chute de l’un entre eux signifiait un poste vacant à pourvoir. L’ambition, la cupidité et la quête de puissance entraînaient la formation de clans autour du souverain, clans où la devise était loin d’être axée sur la solidarité et la loyauté entre les membres. Par ailleurs, Henry VIII était un monarque rusé, vaniteux, vindicatif, jaloux de ses prérogatives et d’humeur changeante.

L’extraordinaire ascension de Thomas Cromwell : du simple mercenaire au Lord Chancelier

Thomas Cromwell est un personnage fascinant, d’une rare intelligente, d’une pugnacité et d’une capacité exceptionnelles à s’adapter. Roturier, son père n’est qu’un forgeron de Putney près de Londres ; il devient autodidacte et part très jeune en Italie où il se fait enrôler dans l’armée française. Par la suite, il travaille pour les riches marchands d’Italie et des Pays-Bas. A cette époque, alors que la Renaissance n’a pas encore gagné l’Angleterre – le pays se remet progressivement de la Guerre de deux Roses dont Henry Tudor, le père du roi Henry VIII en est sorti vainqueur – Cromwell a une longueur d’avance sur ses compatriotes avec son expérience, son raffinement et son savoir acquis dans les États italiens.

Cromwell serait né à la bonne époque car une des conséquences les plus importantes de la Guerre des Deux Roses est qu’elle a décimé une grande partie de la vieille aristocratie anglo-normande, ce qui permet à ce Royaume de connaître une mobilité sociale. Cromwell en est l’exemple. Progressivement, il accède aux plus hautes sphères du Royaume, déclenchant jalousie et haine des membres de vieilles familles aristocratiques ayant survécu à la Guerre des deux Roses, notamment les Pole et les Howard.

Cromwell se fait connaître à la Cour en tant qu’agent du tout puissant cardinal et chancelier Thomas Wolsey. Il parvient à inviter la disgrâce du roi à la chute de Wolsey grâce à son ingéniosité et à sagacité qu’Henry VIII a remarquées. Son ancien maître Wolsey qui a échoué dans les tentatives de persuader la papauté de dissoudre le mariage d’Henry VIII et de Catherine d’Aragon échappe de peu à l’échafaud. Il meurt sur le trajet qui aurait dû le conduire à la Tour de Londres.

A la cour, Cromwell s’allie à la nouvelle Reine, Anne Boleyn, avec qui il partage certaines idées du protestantisme. Les deux prennent le parti de la rupture avec Rome et de l’accès à la Bible en anglais. Mais lorsque des différends surgissent entre les deux, notamment sur l’usage des biens confisqués aux monastères et sur la politique étrangère [1] (Anne Boleyn, francophone, est favorable à l’alliance avec la France). À la suite de fausses couches de la reine, Cromwell se révèle d’une aide précieuse au Roi pour entraîner la chute d’Anne Boleyn, ce qui la mène sur l’échafaud. Henry VIII avec sa grande âme chrétienne accorde à sa femme d’avoir le cou tranché à la française c’est-à-dire avec l’aide d’une épée. Le lendemain de l’exécution, Henry VIII se fiance avec la dame d’honneur d’Anne Boleyn, Jane Seymour qui meurt en couche dix-sept mois plus tard en laissant enfin un héritier mâle aux Tudor, le futur Edward VI.

Il est important de mentionner que la Reine Anne a été trahie aussi par son oncle, le duc de Norfolk, Thomas Howard qui a d’ailleurs présidé son procès où de nombreux chefs d’accusation inventés ont été prononcés contre l’infortunée Reine. Ce même duc, personnage détestable et hautain, défenseur des prérogatives de la vieille aristocratie et des rites catholiques sera le principal acteur dans la chute du Chancelier Cromwell suite à l’infructueux mariage d’Henry VIII avec la princesse allemande luthérienne, Anne de Clèves. Le jour de l’exécution laborieuse de Cromwell à la hache, le Roi épouse la jeune Catherine Howard, nièce du duc.

Anne de Clèves (4e femme d’Henry VIII)

L’infortunée Catherine Howard (5e femme du roi)

Cette dernière, imprudente, ne règne que brièvement. Elle est accusée seize mois plus tard d’adultère et de trahison et sera décapitée à la hache le 13 février 1542. Le 12 juillet 1543, c’est au tour de Catherine Parr de monter sur le trône. Il lui est impossible de refuser la main du roi.

Catherine Parr : l’art de gouverner et de survivre aux complots

Catherine Parr se révèle une souveraine avisée et extrêmement prudente. Elle assure la régence quand son mari part faire la guerre en France en 1544 et encourage son mari à inclure les princesses Mary Tudor (fille de Catherine d’Aragon) et Elizabeth (fille d’Anne Boleyn) dans la lignée de succession au trône. La reine se distingue de ses précédentes notamment par ses écrits. Elle publie plusieurs livres en anglais sous son nom, ce qui est rarissime pour l’époque. Elle protège aussi les prédicateurs protestants dont Anne Askew. Cependant, ses idées réformistes lui attirent l’hostilité des traditionnalistes dont l’évêque de Winchester, Stephen Gardiner et le duc de Norfolk, Thomas Howard. Ils accusent Anne Askew d’hérésie (elle est la dernière femme condamnée à être brûlée en Angleterre [2]) et complotent contre la reine en projetant de la faire arrêter pour hérésie. Catherine Parr, habile, arrive à conserver les faveurs du roi et, grâce à l’aide des Seymour, entraîne la disgrâce des Howard, père et fils. Les deux sont conduits à la Tour de Londres et sont accusés de trahison. Le fils du duc, le poète Henry Howard est décapité mais le père – qui a pourtant trahi son fils pour sauver sa peau – échappe de peu à l’échafaud grâce à la mort du roi.

La reine Catherine Parr

Thomas Howard, l’ennemi de Cromwell et de Parr

Catherine Parr survit à Henry VIII. Les historiens s’accordent pour affirmer que la Reine aurait eu une grande influence sur la deuxième fille du roi, la princesse Elizabeth, fille d’Anne Boleyn, la future Elizabeth 1er. D’une part, elle lui aurait servi de modèle pour la gouvernance lorsque Catherine Parr fut régente et d’autre part, elle lui aurait inculqué les valeurs protestantes. A la mort d’Henry VIII, elle prend sous sa protection la princesse Elizabeth.

Autre portrait de la reine Catherine Parr

Elizabeth I, adolescente

Catherine est désormais reine douaire et hérite d’une des plus grandes fortunes du Royaume. Elle se marie quatre mois après le décès du roi avec l’ambitieux Thomas Seymour, ce qui fait scandale dans le pays. L’oncle du roi d’Edward VI aurait été son amant avant qu’elle n’épouse Henry VIII.

Ce couple puissant est de courte durée. Catherine Parr meurt à la suite des complications après un accouchement le 5 septembre 1448. Thomas Seymour, homme politique aux aspirations démesurées, sera finalement exécuté pour trahison en mars 1449. Il a été accusé par son frère Edward Seymour, le Protecteur, d’avoir tenté de prendre le pouvoir en voulant écarter le jeune roi Edward VI et épouser la princesse Elizabeth. Ironie du destin, Edward Seymour connaîtra la même fin tragique deux ans plus tard.

Les romancières Hilary Mantel et Philippa Gregory ont un style très différent mais leurs œuvres littéraires restent néanmoins passionnantes. Avant de lire Dans l’ombre des Tudors il serait utile de lire un petit résumé de l’histoire de l’Angleterre afin de comprendre le contexte politique complexe de l’île (Angleterre et Écosse). Quant à La Dernière Reine, le contenu et le style sont beaucoup plus accessibles à un public non averti.

Notes de l’auteur

[1] Les contemporains rapportaient que Anne Boleyn s’exprimait en anglais avec un accent français. Par ses nombreuses années passées d’abord à la Cour bourguignonne en Flandre puis à la Cour de France, le français était devenu sa langue véhiculaire. Par ailleurs, la reine voulait que l’argent des biens confisqués serve à l’éducation et à des œuvres caritatives et non à l’enrichissement de la Couronne.

[2] Les agents de la Reine arrivent à dissimuler de la poudre à canon dans les vêtements d’Anne Askew afin de racourcir son supplice.

La famille royale à la fin du règne d’Henry VIII. On n’y voit de gauche à droite : la Princesse Mary, le Prince de Galles (le futur Edward VI), le roi, la reine et la princesse Elizabeth. Á l’origine, la reine sur le tableau devait être Catherine Parr. Mais le roi a demandé au peintre Hans Holbein le Jeune que le visage de Jane Seymour remplace celui de sa femme afin que la mère du Prince de Galles y figure. On peut voir en arrière plan, la bouffonne de Mary Tudor et le bouffon du roi.

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Pierre Scordia



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