Anatomie d’une chute : l’idée du couple passée au crible
Hier soir j’ai enfin vu ce film, abondamment récompensé et commenté, tant par les admirateurs & admiratrices et les détracteurs & détractrices. Entre celles et ceux qui pensent que c’est trop long et celles et ceux qui considèrent le film comme un chef d’œuvre en allant le voir plutôt deux fois qu’une, j’admets que je me range plutôt dans la deuxième catégorie.
Dès le début du film, cette séquence d’ouverture remarquable d’avant la chute, avec la musique joyeuse de 50 cents, la présence totalement envahissante mais hors champ du mari, une présence physique de l’héroïne tout en liberté et charme physique, crée une tension irrévocable, plante le suspense et évoque d’entrée de jeu la subtilité d’écriture du scénario.
Le titre est une référence explicite à “Anatomy of a murder” d’Otto Preminger ; on l’a dit : le suspense est hitchcockien dans sa force psychologique et cinématographique. Et l’isolement de ce couple avec leur enfant unique dans la montagne enneigée, spacieuse m’a renvoyée en filigrane à cet hôtel dans “The Shining” de Kubrick. Ainsi que les gros plans sur les visages…On suit la chronologie de l’histoire : avant la chute du haut du chalet, la découverte du corps, l’enquête policière, avec son questionnement afférent : s’agit -il d’un accident, d’un suicide ou d’un meurtre ? Puis le temps du procès et de ses plaidoiries dans lequel nous sommes un peu à la place des jurés que l’on ne voit guère. Le suspense n’est non pas haletant mais enserrant comme un étau nous faisant naviguer entre doute et certitude de façon habile et pleine de rebondissements.Même si le film est porté par le regard de l’enfant (par ailleurs mal voyant) qui voit disséqué le duo formé par ses parents, le questionnement sur le couple est complètement moderne et contemporain et incarné et filmé avec brio.
Qu’est-ce qu’on se doit dans un couple ?
Qu’est-ce qu’on se donne ?
A soi-même ? A l’autre ?
Qu’est-ce qu’on se prend ?
Qu’est-ce qui transforme ?
Qu’est-ce qui “transfuge” ?
Qu’est-ce qu’on se reproche ?
Une vraie réciprocité est-elle possible ?
Le partage est-il un leurre ?
La liberté est-elle égoïste ?
Quel est le point de rencontre dans un couple mixte ?
Où et comment s’entrechoquent les cultures différentes ? Les milieux sociaux différents?
Qu’est-ce qui se renverse quand on fait famille ?
Quel est le regard renvoyé à nos enfants de ce que et de qui nous sommes ?
L’habitude du succès et du pouvoir est-elle essentiellement masculine ?
Qu’est-ce qui bascule quand un membre de la famille, d’un couple change, évolue, grandit et redéfinit les zones de pouvoir ?
Quid de penser ? De faire ?
De panser ? De défaire ?
Rien que pour ce brassage de questionnements sur l’identité et la relation, “Anatomie d’une chute” vaut le coup ! Et d’ailleurs on ne dit pas grand mot sur le compagnon de Justine Triet, co-écrivain de ce somptueux scénario. Un petit effet miroir ?
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