SIX LIVES
La passionnante expo de la National Portrait Gallery
La National Portrait Gallery qui se trouve tout près de Trafalgar Square a reconstitué les vies des six femmes du tristement célèbre Henri VIII Tudor à travers des portraits, des costumes, des lettres, des manuscrits, des inventaires, des images, d’artéfacts et des objets commémoratifs. L’exposition se concentre uniquement sur le destin des six femmes et non sur le règne de leur terrible époux. Le musée a réuni brillamment de nombreuses œuvres d’art et de pièces historiques dont un tableau de Catherine Parr qu’on pensait perdu à la suite d’un incendie en 1949.
L’exposition commence par les portraits photographiques impressionnants de Hiroshi Sugimoto, œuvres qu’il a réalisées à partir de masques de cire fabriqués par Madame Tussaud’s. Le résultat est saisissant. On a l’impression que ces clichés ont été pris du vivant des reines. La ressemblance avec les portraits royaux du XVIe siècle est remarquable.Le musée consacre une salle entière pour chaque épouse. L’expo respecte l’ordre chronologique.
Catherine d’Aragon : la diplomate (1485-1536 – reine de 1509 à 1533)
Reine pendant plus de 20 ans, loyale et humble, Catherine d’Aragon est restée très populaire en Angleterre de son vivant. Fervente catholique, elle s’est opposée au divorce parce qu’elle cherchait avant tout à conserver les droits de sa fille Marie sur le trône d’Angleterre. D’ailleurs, Marie Tudor sera la première femme à régner de son plein droit sur le royaume après la mort de son demi-frère Edouard VII. C’est en rompant avec Rome que le mariage entre Henri VIII et Catherine fut annulé (en 1533), sous prétexte qu’elle fut mariée en premier au Prince de Galles, Arthur, frère d’Henri VIII.
Dans cette pièce, on peut voir aussi de nombreux portraits : celui d’Henri VIII jeune qui était réputé beau et exceptionnellement grand pour l’époque avec son 1m88 ; celui d’Arthur, fils ainé d’Henri VII et de Elizabeth d’York ; celui du puissant Cardinal de Wolsey, tombé en disgrâce à cause de son échec dans les négociations avec le Pape ; celui de John Fisher, archevêque de Rochester, papiste qui a soutenu les droits de la reine, ce qui l’a conduit à l’échafaud ; celui de Jacques IV d’Écosse, époux de la sœur d’Henri VIII, Marguerite d’York ; ceux des rois catholiques, parents de Catherine d’Aragon, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon ; et enfin celui de Marguerite d’Autriche, petite-fille de Charles Le Téméraire et belle-sœur de Catherine. Elle a été nommée gouverneur des Pays-Bas par son neveu Charles Quint. Sa cour était l’une des plus brillantes en Europe. D’ailleurs, Anne Boleyn y a été envoyée pour apprendre le français.
Catherine d’Aragon a été préparée dès son plus jeune âge à jouer un grand rôle politique. Elle s’est montrée comme une femme capable de gouverner et Henri VIII lui confia à plusieurs reprises la charge du Royaume.
NPG L246. Catherine d’Aragon (vers 1520) par un artiste inconnu ©National Portrait Gallery, Londres. Avec la permission de l’archevêque de Canterbury et des commissaires ecclésiastiques ; emprunt de la National Portrait Gallery.
Anne Boleyn (1501-1536 – reine de 1533 à 1536)
Connue aussi sous le nom français d’Anne de Boulen, elle est probablement celle des six femmes qui a le plus intéressée la littérature et le cinéma. Elle fut élevée à la cour de Marguerite d’Autriche, puis à celle de la reine Claude de France, femme de François Ier et fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne. Ainsi n’est-il pas étonnant que le français fût la langue usuelle d’Anne Boleyn et certains contemporains ont rapporté qu’elle parlait même l’anglais avec un accent français. Femme ambitieuse et charismatique, elle refusa contrairement à sa sœur de devenir la maîtresse d’Henri VIII, ce qui poussa ce dernier à demander le divorce avec Catherine d’Aragon afin d’épouser Anne Boleyn. Henri a dû attendre sept ans avant de consommer sa relation. Mais la victoire d’Anne Boleyn fut de courte durée. Incapable d’assurer sa position en donnant un fils au roi, son dernier mort-né a précipité sa chute. Accusée de sorcellerie et d’infidélité, elle fut condamnée à être brûlée. Henri VIII, grand roi « chrétien » lui concéda finalement une faveur en lui accordant la décapitation à la française, c’est-à-dire à l’épée.
Bien qu’elle ne fût reine que trois ans, Anne Boleyn a laissé une grande emprunte sur l’Angleterre en approuvant les nouvelles idées de la Réforme. L’influence de Marguerite de Navarre, femme de lettres, sœur de François Ier, protectrice des réformateurs fut prédominante : ses écrits ont façonné la pensée d’Anne Boleyn. Et c’est surtout par sa fille, seul fruit de l’union avec Henri VIII, qu’elle changea la destinée de l’Angleterre et même celle de la Grande-Bretagne. Elizabeth 1er sera celle qui établira l’Église anglicane, suivant ainsi les idées de Catherine Parr et de sa mère qu’elle réhabilitera d’ailleurs. Contrairement à Catherine d’Aragon, Anne Boleyn restera impopulaire auprès de ses contemporains qui la surnommeront la putain. Certains historiens pensent que cette mauvaise réputation d’Anne Boleyn poussera Elizabeth vers une prudence et un pragmatisme politique afin que les grands du royaume et le peuple ne remettent pas en question sa légitimité.
Dans la salle consacrée à Anne Boleyn on y découvre de nombreux portraits : celui de Thomas Cromwell, architecte de la montée et de la chute d’Anne Boleyn – à lire absolument la trilogie d’Hilary Mantel sur ce personnage arriviste et terriblement efficace ; celui de Sir Nicholas Carew, ennemi de la nouvelle épouse royale, celui de Sir Thomas More, procureur et persécuteur des hérétiques. More refusa de prêter serment à l’Acte de Succession et de reconnaître la légalité du mariage d’Anne Boleyn, ce qui le conduisit à la Tour de Londres pour y être décapité. On y trouve aussi le magnifique portrait de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre (portrait attribué à Polet Clouet). Anne Boleyn possédait de nombreux ouvrages évangéliques dont l’œuvre de la sœur du roi de France « le miroir de l’âme pécheresse », femme qu’elle côtoya de nombreuses années. A la cour, on finit par appeler la nouvelle épouse d’Henri VIII, la reine française. Elle œuvra d’ailleurs au rapprochement avec la France.
Le destin à la fois extraordinaire et tragique d’Anne Boleyn a souvent été représenté au cinéma. Cliché du film “Anne Boleyn (1920) réalisé par Ernst Lubitsch, cliché 1:42:48. Source Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung, Wiesbaden, Allemagne.
Jane Seymour (1508-1537 – reine de 1536 à 1537)
Femme de compagnie de la reine Anne Boleyn, elle se révèlera comme l’antithèse de sa précédente. A peine Boleyn exécutée, Henri VIII épousa Jane Seymour qu’il considèrera toujours comme sa première femme. D’ailleurs, il demandera à être enterré auprès d’elle. La devise de Jane Seymour « Bound to obey and serve » en dit long sur sa personnalité. Elle ne joua pas de rôle politique pendant son bref règne mais son mariage a permis l’ascension politique de ses deux frères, Edouard et Thomas. Jane est morte peu de temps après avoir mis au monde l’héritier mâle tant attendu par le roi, le futur Edouard VI.
Dans cette section, le bel Edouard Seymour – créé Vicomte Beauchamp en 1536 puis duc de Somerset sous le règne de son neveu Edouard VII – nous fixe de son regard noir, plein d’ambition. Les tableaux peints par Hans Holbein the Younger font aussi partie de la collection dont celui de Jane et celui de la famille Tudor (Henri VIII, Henri VII, Elizabeth d’York, Jane Seymour et le prince de Galles, Edouard VI).
Anne de Clèves (1515-1557, reine de 1539 à 1540)
L’éminent Cromwell favorable à une alliance avec les Protestants d’Allemagne contre les puissances catholiques chercha à marier le roi avec une princesse luthérienne. Il proposa Anne de Clèves dont le portrait un peu trop flatteur enthousiasma outre mesure Henri VIII. Sa déception quand il la vit pour la première fois en Angleterre en 1540 précipita la chute du chancelier Cromwell. Henri VII demanda l’annulation du mariage six mois après les noces et envoya Cromwell à l’échafaud. Le fait qu’Anne de Clèves accepta sans protester les termes imposés par le roi et qu’elle se montra digne face aux railleries de la cour lui assura sa survie. Elle gagna la sympathie du roi qui l’appelait désormais « ma sœur » et elle fut invitée aux grandes cérémonies du Royaume.
Dans la salle consacrée à cette reine allemande est exposé à côté des portraits d’Anne de Clèves – dont un tableau par Degas – l’effigie de Christine du Danemark, nièce de Charles Quint. Un mariage entre Christine du Danemark et Henri Tudor était négocié mais la princesse danoise exprima ses craintes face à un roi qui s’était débarrassé de trois reines en si peu de temps. Finalement l’excommunication d’Henri VIII mit un terme aux tractations.
Katherine Howard (1523–1542, reine de 1540 à 1541)
Remarquée par le roi à l’arrivée de l’Allemande, très vite, elle remplaça Anne de Clèves en tant que maîtresse royale et devint la cinquième épouse quelques semaines après le divorce avec Anne.La réputation de la jeune reine fut vite salie par des rumeurs d’anciennes relations qu’elle aurait eues avant les noces avec Henri Tudor. Mais ce serait la vue d’une étreinte avec le courtisan Thomas Culpeper qu’elle avait reçu en privé qui a provoqué la chute de la reine. Henri VIII qui était devenu énorme l’a déchue de ses titres (l’armure gigantesque du roi est montrée au début de l’exposition afin qu’on puisse de rendre compte du gabarit royal). Katherine fut par la suite jugée pour trahison et condamnée à mort. Elle demanda la veille de son exécution un billot afin de se préparer à poser sa tête correctement le jour où elle monta sur l’échafaud pour être décapitée à la hache.
Dans la salle “Katherine Howard“, il y a le portrait de son oncle effrayant, Thomas Howard, duc de Norfolk qui n’eut aucun remords à soutenir la condamnation à mort de sa nièce. Comme plus tard, il sacrifiera son fils pour sauver sa propre peau. L’effigie du poète Thomas Wyatt est aussi exposée, artiste que la reine défendit auprès du roi lorsqu’il fut arrêté pour trahison. Katherine Howard obtint sa libération.Enfin, on trouve le tableau représentant Thomas Cranmer, archevêque de Canterbury, défenseur des idées de la Réforme, celui qui informa le roi des bruits sur les mœurs douteuses de la reine. Dans cette section, la fameuse lettre de Katherine Howard à Thomas Culpeper est présentée au public.
Catherine Parr : la survivante (1512-1448 – reine de 1443-1447 & reine douairière 1447-1448)
Moins connue dans la mémoire collective sans doute parce qu’elle n’a pas eu de fin tragique, Catherine Parr est l’épouse d’Henri VIII qui a probablement le plus influencé le cours de l’histoire anglaise. Femme de lettres et proche des idées protestantes, elle intercéda auprès d’Henri VIII en faveur des deux filles du roi, Marie Tudor et Elizabeth. Grâce à son intervention, les deux princesses retrouvèrent leur légitimité et figurèrent dans l’ordre de succession. Nous avons publié tout un article sur le règne de Catherine Parr dans un article publié en 2023 : Parvenir ou mourir à la cour des Tudors. Ce qu’il faut retenir de son règne est qu’elle protégea les réformateurs et qu’elle sut déjouer les complots contre elle, notamment celui manigancé par les Howard et Gardiner. Catherine Parr eut le mérite de survivre à l’ogre qu’était devenu Henri VIII.
Dans cette partie de l’exposition sur Catherine Parr, on retrouve les portraits de Stephen Gardiner, évêque de Winchester, qui fit fouiller les appartements de la reine espérant trouver ainsi des ouvrages hérétiques. Il réussit même à obtenir un mandat d’arrêt contre elle. Cependant, Catherine Parr fit semblant d’être malade afin de faire venir le roi auprès de sa couche et réussit à implorer son pardon. Enfin, il y a le portrait de Thomas Seymour en miniature, l’homme dont Catherine Parr était amoureuse. Elle l’épousa en mai 1547 et mourut l’année suivante après avoir donné naissance à une fille, Marie. Dans son testament, Catherine Parr, la femme la plus riche du Royaume, légua tous ses biens à Thomas Seymour mais ses possessions furent inventoriées et restituées à la Couronne anglaise.
Mes remerciements au personnel dévoué de la National Portrait Gallery qui m’ont permis de visiter l’expo et m’ont donné des renseignements précieux sur les six vies de ces femmes qui ont marqué le XVIe siècle ainsi que sur les œuvres d’art exposées.
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