La tragédie des Menendez
La brillante série Netflix Monsters, qui retrace l’assassinat perpétré par les frères Menendez, soulève une question troublante : un crime – en l’occurrence un parricide – peut-il être justifié ?
Dans la plupart des sociétés, la légitime défense exonère généralement l’accusé. En revanche, lorsqu’un meurtre est prémédité, les auteurs sont condamnés à de lourdes peines.
L’affaire du double meurtre de José et Kitty Menendez par leurs fils Erik et Lyle, âgés respectivement de 18 et 21 ans, a fasciné l’Amérique entre 1989 et 1992. Cet intérêt médiatique a perduré jusqu’à l’éclatement d’un autre procès retentissant : celui de O.J. Simpson qui a captivé non seulement les États-Unis, mais aussi une bonne partie du monde occidental. Dès lors, les frères Menendez sont peu à peu tombés dans l’oubli.
La série produite par Netflix s’ouvre sur les faits bruts du crime, avant de nous entraîner dans un enchaînement d’hypothèses sur ce qui a poussé les deux jeunes hommes à assassiner leurs parents milliardaires. José Menendez, patriarche de la famille et incarnation du rêve américain, est interprété par l’acteur espagnol Javier Bardem. D’origine cubaine, José fuit le régime castriste pour bâtir une immense fortune dans l’industrie du divertissement. Il devient l’un des dirigeants de la maison de disques RCA Records, puis PDG de la société de production Live Entertainment. Parfaitement intégré dans le paysage américain, il épouse une Américaine blanche, protestante et d’origine anglo-saxonne, jouée par Chloë Sevigny.
Très vite, la série dévoile l’horreur vécue par les deux frères dès l’enfance : dès l’âge de six ans, ils subissent des sévices, des violences psychologiques et des abus sexuels infligés par leur père, sous le regard indifférent d’une mère complice par son silence. Lyle et Erik, incarnés respectivement par Nicholas Alexander Chavez et le brillant Cooper Koch, apparaissent à l’écran comme des figures complexes, à la fois ambiguës et profondément bouleversantes. En filigrane, la série met aussi en lumière l’influence écrasante des médias sur la société américaine et la fascination quasi obsessionnelle du public pour les milliardaires, qu’ils soient vertueux ou corrompus.

Il aura fallu deux procès avec jury pour parvenir à un verdict. Le second, tenu à huis clos, représentait un enjeu crucial pour une justice californienne alors en perte de crédibilité. D’un côté, elle était discréditée par l’acquittement des policiers impliqués dans le passage à tabac de Rodney King, un homme afro-américain, ce qui avait déclenché des émeutes d’une violence inédite à Los Angeles. De l’autre, par l’acquittement retentissant d’O. J. Simpson, malgré de nombreuses preuves l’incriminant dans le double meurtre de son ex-femme et de son compagnon. Dans ce contexte, les autorités judiciaires se devaient de prononcer une peine exemplaire : la peine de mort ou, à défaut, la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération.
La série, captivante de bout en bout, a eu le mérite de remettre en lumière cette affaire oubliée, au point de pousser la justice californienne à la réexaminer plus de trente-cinq ans après les faits.

Mon conseil : commencez par regarder la série, puis enchaînez avec l’excellent documentaire consacré aux frères Menendez – également disponible sur la même plateforme. On y entend les témoignages des deux frères, de leurs proches, des jurés, ainsi que des représentants de l’accusation et de la défense.
Cette affaire bouleversante met en lumière un double tabou : celui de l’inceste subi par des garçons, et celui du meurtre perçu comme ultime échappatoire à un enfer domestique. Le plus jeune, Erik, aurait continué à subir les viols de son père jusqu’au jour du drame.
L’accusation, elle, soutient que les deux frères auraient pu simplement fuir le domicile familial. Mais peut-on réellement échapper à l’emprise d’un bourreau doté d’un immense pouvoir financier et d’un contrôle absolu sur son entourage ? Le poids culturel du milieu cubain, très soudé, a sans doute aussi joué un rôle, exerçant une pression psychologique pour les pousser à revenir au foyer. Fait notable : la famille cubaine a pris le parti des deux frères, tout comme la sœur de la mère assassinée.

En définitive, l’affaire Menendez dépasse largement le cadre d’un fait divers sordide. Elle interroge les limites de la justice face aux violences intrafamiliales, les silences complices d’un entourage, et les mécanismes de survie psychologique de victimes prises au piège. En replaçant cette tragédie dans son contexte social, culturel et judiciaire, Monsters et le documentaire qui l’accompagne offrent une relecture saisissante d’un drame familial resté trop longtemps dans l’ombre.
Peut-on excuser l’irréparable lorsqu’il est commis pour échapper à l’insupportable ? La question, troublante, demeure ouverte – et c’est précisément ce qui rend cette affaire si bouleversante et essentielle à revisiter aujourd’hui.
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