Le documentaire : O.J. | Made in America

Un déni de justice pour une paix civile ?

Auteur: Pierre Scordia

Disponible sur la plateforme Disney+, le long documentaire de 7h30 d’Ezra Edelman, en 5 épisodes, est captivant. Il raconte l’ascension et la chute d’une star afro-américaine O.J. Simpson, footballer, acteur et homme d’affaires dont le destin reflète les relations complexes, sensibles et tendues entre les communautés noires et blanches aux États-Unis.

O.J. la réussite sociale extraordinaire d’un afro-américain

L’ascension sociale d’O.J. Simpson est remarquable, surtout dans une Amérique sortant à peine de la ségrégation raciale.

A la recherche d’une meilleure vie, sa famille originaire de Louisiane s’installe en Californie, un État où les Noirs se sentent plus libres. O.J. naît le 9 juillet 1947 à San Francisco d’une mère pieuse et d’un père homosexuel.

Remarqué pour ses exploits sportifs en 1967, O.J. choisit de poursuivre ses études à l’University of Southern California, institution connue pour être exclusivement blanche. Il joue pour l’équipe de football de l’USC et se révèle très vite un joueur exceptionnel ; il remporte le prestigieux trophée Heinsman en 1968. Il jouit alors d’une notoriété extraordinaire dans l’ensemble de la société américaine.

A l’heure où de nombreux athlètes afro-américains soutiennent le boycott des Jeux Olympiques de 1968 pour protester contre les discriminations que subit leur communauté, Simpson préfère garder une ligne apolitique. Il ne montre aucune solidarité envers la cause noire aux États-Unis, car son talent prouve qu’on peut réussir aux États-Unis.

O.J. s’intègre dans la société blanche américaine

Simpson s’épanouit dans cette société américaine qui l’accepte. Il s’installe d’ailleurs dans un quartier blanc et friqué de l’ouest de Los Angeles, Brentwood, où Il en devient la coqueluche. Il décroche un gros contrat publicitaire avec la multinationale Hertz, une première pour un Afro-américain. Dans le documentaire, on apprend que dans les spots publicitaires, on fait en sorte qu’il n’y ait aucun figurant noir et que ceux qui encouragent O.J. à aller plus vite « go O.J., go » soient tous de type caucasien afin que la majorité blanche puisse identifier le héros du football à l’un des leurs. On met en valeur aussi les traits fins du beau O.J.

Simpson ne fréquente que les endroits ultra-chics de la société blanche en Californie : clubs, golfs et restaurants mondains. En 1977, il rencontre une très belle serveuse blonde de 18 ans dans un club de Beverly Hills, Nicole Brown dont il devient éperdument amoureux. En 1979, il divorce de Marguerite Whitley, sa première épouse afro-américaine pour la remplacer par Nicole en 1985. Ce mariage dont vont naître deux enfants profitera à toute la famille Brown, notamment les parents de la mariée. Le millionnaire afro-américain se montre très généreux envers sa belle-famille.

Nicole Brown & OJ Simpson

1992, les émeutes raciales de Los Angeles

La Terre Promise californienne pour les Afro-Américains est de courte durée. Dans les années 40, 50 et 60, la Californie voit sa population noire augmenter de 600% alors que pour les autres communautés, le taux est de l’ordre de 100%. En effet, les Afro-américains en proie au harcèlement et aux discriminations épouvantables dans le Sud fuient le Texas, la Louisiane et la Géorgie pour s’installer dans les deux grandes agglomérations californiennes : San Francisco et Los Angeles. La minorité devient majoritaire dans toute une partie de Los Angeles (notamment le Sud de la ville), ghettos pauvres où sévissent la drogue et la délinquance. La relation entre la communauté noire et la police de Los Angeles (LAPD) se dégrade à cause de nombreux abus et humiliations dont sont victimes les Afro-américains. D’ailleurs, un certain nombre de policiers sont connus pour leur sympathie envers les suprématistes blancs et le Ku Klux Klan.

En 1992, à la suite du verdict du procès de l’affaire Rodney King où des policiers blancs sont acquittés après avoir été accusés d’usage excessif de la force contre un conducteur afro-américain - arrêté pour délit de fuite, excès de vitesse et conduite sous l’influence de la drogue - de graves émeutes raciales embrasent tout le sud de Los Angeles ; la vidéo témoignant de la brutalité choquante et gratuite des policiers n’a pas convaincu le jury blanc.

1994, O.J. soupçonné de double meurtre

C’est dans ce contexte tendu que survient le double meurtre de Nicole Brown-Simpson et de son ami, Ron Goldman le 12 juin 1994, une véritable boucherie ! Les deux victimes sont décédées à la suite de multiples blessures au couteau et l’ex-épouse d’O.J. a presque été décapitée[1]. Les images sont effroyables ! Tous les indices mènent à un seul suspect : O.J. Simpson.

  • Des tâches de sang sont retrouvées dans sa voiture et dans sa maison. O.J. a même une entaille au couteau à une main.
  • L’un des gants de l’assassin est retrouvé dans le jardin de la maison d’O.J. Les traces de sang correspondent à l’ADN des deux victimes et à celui d’O.J.
  • Un historique avec de nombreuses interventions de police au domicile des Simpson pour violence conjugale.
  • Un rapport dans lequel Nicole Brown craignait que son mari la tue.
  • Le manque d’alibi d’O.J. Simpson le soir du crime.
  • La fuite d’O.J. Simpson lorsqu’il est convoqué par la police.

Certains de ses amis dont son agent sont convaincus de sa culpabilité.

L’acquittement d’O.J. sera quand même prononcé par des jurés influencés par les arguments avancés par la défense.  Grâce à la stratégie remarquable des meilleurs avocats du pays – Simpson a beaucoup d’argent – le procès se concentre sur le passé trouble de l’inspecteur qui a mené l’enquête, Mark Furhman et sur le racisme dont fait preuve la police de Los Angeles.  Dans sa plaidoirie, l’un des avocats de Simpson, Johnnie Cochran, rapporte les nombreuses vexations et humiliations subies par la communauté afro-américaine dans le pays – ce qui ne pouvait que résonner dans l’esprit d’un jury composé à 80% d’afro-américains. La défense va plus loin et ose comparer l’inspecteur Furhman à Hitler, ce qui en était trop pour la famille de Ron Goldman de confession juive.

La chute d’une star

Certes, O.J. est acquitté mais il devient honni dans son quartier de Brendwood où les habitants sont convaincus de sa culpabilité. Par ailleurs, les Goldman, choqués par la relaxe de Simpson, portent l’affaire au civil et gagnent leur procès. Simpson est déclaré responsable de la mort de Nicole Brown et de Ron Goldman et est condamné à verser 33 millions des dollars aux familles des victimes, somme considérable que la star ne possède pas. Il quitte ainsi la Californie pour s’installer en Floride, état où l’expropriation est illégale.

Comme dans le roman « Crime et châtiment » de Dostoïevski, O.J. n’arrive pas à oublier le double meurtre. Ses nouvelles relations sont peu fréquentables, il s’adonne à l’alcool, à la drogue et au sexe : est-ce une échappatoire ? Pire, dans un but lucratif, il publie un livre « If I did it » (si je l’avais fait) où il raconte comment il pourrait procéder s’il avait été le meurtrier. Les détails sont troublants ; la fiction colle à la réalité. C’était compter sans les Goldman qui dans une logique de vengeance ont gagné les droits d’auteur grâce à un procès. Ils changent le titre pour « If (en tout petit) I did it (en gros caractères), confessions of a killer » (littéralement « si je l’ai fait, confessions d’un tueur).

Peu de temps après, O.J. Simpson est jugé au Nevada pour un braquage à main armée dans un hôtel de Las Vegas où il aurait tenté de récupérer des objets qui lui avaient appartenu. Il est jugé coupable par un jury blanc et condamné de façon outrageusement disproportionnée pour le délit commis : 33 ans de prison, sentence prononcée le 3 octobre 2007 - exactement 12 années après son acquittement, jour pour jour.

Conclusion

Grâce à cette série-documentaire, on comprend à quel point la société américaine reste profondément divisée plus d’un siècle et demi après l’abolition de l’esclavage. Même s’il y a eu des progrès notables – on pense ici à l’inculpation puis à la condamnation du policier Derek Chauvin pour le meurtre de George Floyd et au mouvement national Black Lives Matter - le pays devient de plus en plus séparé. Le Grand Old Party qui est à l’origine de l’abolition de l’esclavage est désormais sous la botte de Donald Trump, homme d’affaires douteux et politicien complotiste soutenu par la classe ouvrière blanche. On a l’impression que plus la société progresse, plus elle s’expose à une contre-réaction violente.

Ce qui afflige surtout dans ce documentaire est la détresse d’une femme battue, terrorisée par les violentes explosions colériques de son mari ; les enregistrements des appels de Nicole Brown-Simpson à la police dans lesquels elle dit craindre pour sa vie ont été conservés. Simpson, la star au sourire angélique et séducteur, devient un monstre qu’on ne peut plus résonner, possédé par la jalousie et par son égo.

Les jurées afro-américaines numéro 2 et numéro 9 interviewées dans ce documentaire admettent qu’il était important d’innocenter O.J. pour la cause noire. Même si on comprend leur raisonnement, on reste étonnés qu’elles soient restées insensibles à la cause féminine. Si la victime avait été noire, est-ce que cela aurait changé leur verdict ?

Néanmoins, l’acquittement a soulagé bon nombre de gens car il semble que les passions l’ont emporté sur la raison en Californie. Aucun société n’est à l’abri d’une guerre civile.

[1] Le double meurtre a eu lieu alors que les enfants dormaient à l’étage.

form-idea France, le 22 mai 2021. 

Follow Us

Facebooktwitterlinkedinrssyoutubeinstagram

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *