De l’éclat à l’oubli : la vie de la baronne Hélène von Vetsera
La baronne von Vetsera : Née Eleni Baltazzi en 1847 à Tharapia (Constantinople), Empire ottoman, décédée le 2 janvier 1925 à Vienne, République autrichienne.
Auteur : Rinaldo Tomaselli
Les origines vénitiennes de la famille von Vetsera (les Baltazzi)
Venise, Gênes, Pise et Amalfi étaient les quatre cités maritimes italiennes qui créèrent des comptoirs dans toute la Méditerranée orientale, en Egée, et autour des mers Noire, de Marmara et d’Azov. Gênes avait les comptoirs les plus lointains, mais c’est Venise qui eut la plus grande expansion territoriale. La cité des doges possédait de nombreuses villes et ports, des îles parfois importantes comme la Crète ou Chypre et même des terres sur le continent, notamment en Istrie, en Morée ou en Thrace. Ses premiers comptoirs commerciaux ont été fondés en 1082 alors que Venise dépendait encore nominalement de l’Empire byzantin. A Constantinople les Vénitiens avaient leur propre quartier et jouissaient d’une autonomie. Quelques années plus tard, ils avaient le contrôle sur tout le commerce de la mer Adriatique.Les Vénitiens s’établissant dans les comptoirs faisaient fortune rapidement en important des produits d’Orient vers l’Occident. Ce sont eux qui ramenèrent, entre autres, le café en Occident au milieu du XVIe siècle. Certaines de ces familles se multiplièrent dans les îles de l’Egée surtout, mais aussi à Constantinople, à Smyrne et dans d’autres grandes villes de l’Empire byzantin d’abord, puis de l’Empire ottoman qui le remplaça.Même après plusieurs siècles de présence en Europe orientale, les Vénitiens et les Génois restaient sauf exception, de religion catholique. Parfois, des mariages avec des bourgeois locaux, contribuaient à un changement de religion ou à une hellénisation du nom de famille. La plupart des mariages mixtes avaient lieu avec des Grecs ou des Grecques orthodoxes et, à partir du début du XVIIe siècle, avec des Occidentaux du Levant (Levantins), originaires de pays plus au Nord (France, Autriche-Hongrie, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suède).La famille Baltazzi était l’une de ces familles vénitiennes établies sur les îles de l’Egée depuis la nuit des temps. Elle comptait plusieurs ramifications sur plusieurs îles, à Izmir et à Istanbul. Comme tous les Vénitiens du Levant, les Baltazzi étaient devenus autrichiens après la destruction de la République par les Français en 1797 et son annexion par l’Empire d’Autriche la même année. Dès lors, un nouveau et vaste territoire s’ouvrait au commerce pour ces nouveaux citoyens autrichiens, qui s’additionnait à l’Empire ottoman où ils exerçaient déjà depuis plusieurs siècles.Plusieurs Levantins se lancèrent alors dans le secteur bancaire. Avec leurs fortunes phénoménales, ils pouvaient prêter de grosses sommes aux États qui favorisaient leurs banquiers en les couvrant de titres et en les exonérant d’impôts.
La richesse des Baltazzi dans l’Empire ottoman
Deux de ces familles, les Baltazzi et les Camondo, dont les fortunes rivalisaient avec celles des plus grands souverains européens, avaient prêté sans compter au sultan Mahmut II. En contrepartie, elles avaient obtenu en 1838, le droit de posséder des biens immobiliers sur le territoire ottoman, ce qui n’était pas permis à l’époque pour les résidents étrangers.Théodore Baltazzi (1788-1860) possédait un nombre considérable d’immeubles à Constantinople et dans les environs de la capitale. Sa résidence de ville, le palais Baltazzi, avait été érigé sur les hauteurs du quartier levantin de Péra (ravagé par l’incendie de 1871, puis reconstruit). La bâtisse était entourée de jardins à la française et était équipée d’un mobilier venant d’Europe. Tapisseries de Saxe, meubles de France et d’Italie, lustres de Bohême, pendules et horloges de Suisse et vaisselle de Limoges. Un palais à peine plus modeste se trouvait à Tarabya sur le Bosphore pour la saison d’été.En 1846, Théodore Baltazzi épousa une Serbe de Constantinople, Despina Vukovich (Vuković). Ils eurent une première fille Eleni (Hélène) en 1847, puis une seconde, Elisabeth en 1849, mais Despina mourut en couche.Théodore Baltazzi se remaria en 1850 avec une Levantine de Constantinople d’origine anglaise, Elisabeth (Elise / Eliza) Sarrell, de 25 ans sa cadette. Ils eurent ensemble sept enfants entre 1850 et 1858. Baltazzi mourut en 1860 laissant sa femme enceinte, qui accoucha quelques mois plus tard d’une petite Julie.La veuve Baltazzi se retrouva donc seule avec dix enfants : Hélène, Elisabeth, Alexandre, Aristides, Hector, Eveline, Charlotte, Virginie, Henri et Julie. Ils furent élevés dans la religion anglicane. Tous deviendront des personnalités très en vue de par leur vie sociale et leurs mariages.Un an après le décès de Théodore, la veuve Baltazzi épousa son amant à Paris. Charles Alison, avait été consul de Grande-Bretagne à Constantinople. Le couple et une partie des enfants allèrent s’établir au Caire où Charles Alison venait d’être nommé consul, mais Elisabeth tomba gravement malade et mourut quelques temps après son arrivée en Egypte (1863) à l’âge de 39 ans. Les plus jeunes de ses enfants furent élevés entre Le Caire et Londres, tandis que les plus âgés retournèrent à Constantinople.
Hélène von Vetsera : la branche autrichienne des Baltazzi
Hélène, l’aînée des Baltazzi, n’avait que 16 ans quand elle hérita d’un immense patrimoine. Même divisée entre les dix enfants, la fortune restait considérable. Certaines sources indiquent que sa part était de six millions de francs or. Hélène passait pour la plus riche héritière de la capitale.Elle tomba amoureuse d’un secrétaire de l’ambassade d’Autriche-Hongrie, le baron Albin Johannes von Vetsera, originaire de Presbourg (Slovaquie, Royaume de Hongrie), qui avait vingt-deux ans de plus qu’elle. Ils se marièrent en 1864 à la chapelle anglicane Sainte-Hélène à Péra. C’est entre le palais Baltazzi de Péra et le palais de Tarabya sur le Bosphore que le couple habitait au début de leur mariage. Ils eurent un premier enfant, Ladislas en 1865, puis un autre en 1868, Johanna. En 1869, la famille quitta Istanbul et s’installa à Vienne où le couple eut encore deux autres enfants. Marie-Alexandrine (Mary) naissait en avril 1871 et l’année suivante, Francis (Franz) vint au monde.Malgré la différence d’âge, le couple s’entendait bien, même avec les longues absences d’Albin en mission à l’étranger. Il avait été nommé consul à Izmir, puis à Lisbonne et à Saint-Pétersbourg, tandis que sa famille restait à Vienne. Hélène compensait sa solitude en recevant souvent dans leur palais et en ayant une vie mondaine très active.Le 8 décembre 1881, l’aîné des enfants von Vetsera alors âgé de 16 ans, obtint la permission de sa mère à se rendre au spectacle des « Contes d’Hoffmann » donné au Ringtheater de Vienne. Un incendie éclata juste avant la représentation alors que la salle était comble. Ladislas von Vetsera fut l’une des 449 victimes de ce drame. Très affectée par la disparition de son fils, il fallut quelques années avant qu’Hélène ne reprenne goût à la vie et aux mondanités.
Les quatre frères d’Hélène étaient des cavaliers hors pair. Les deux aînés, Alexandre et Aristides, avaient fondé le Jockey-Club de Presbourg (Bratislava) et possédaient une importante écurie. Hector était jockey, tandis que le plus jeune, Henri, était connu également pour être bon cavalier, mais surtout comme le plus bel homme de l’Empire des Habsbourg. Il connaissait son charme et collectionnait les maîtresses.Toute la famille, Hélène comprise, avait déjà été présentée à la cour et les Baltazzi étaient souvent invités par l’impératrice Elisabeth (Sissi) en son château de Gödöllö.
Dès l’été 1886 la vie mondaine reprit au palais Vetsera où toute l’aristocratie viennoise se donnait rendez-vous aux bals organisés par la maîtresse de maison, dont la vie allait s’assombrir avec un nouveau deuil.Le 14 novembre 1887, le baron Albin von Vetsera décéda d’une insuffisance cardiaque au Caire où il était représentant autrichien à la Caisse de la Dette publique Égyptienne.Hélène surmonta sa peine en se lia d’amitié avec la comtesse Marie-Louise Elisabeth von Wallersee, une nièce de l’impératrice Sissi, qu’elle connaissait déjà.Excellente cavalière, la comtesse était une relation du frère d’Hélène, le bel Henri Baltazzi. Elle était devenue sa maîtresse et, bien que mariée, lui donna au moins deux enfants qui, cependant, furent reconnus par son mari légitime.
le drame : la mort de L’archiduc Rodolphe et Mary Von Vatsera, fille d’Hélène Baltazzi
La comtesse se rendait souvent au palais Vetsera. Parfois elle emmenait au théâtre, à la patinoire ou aux courses de chevaux Mary, la fille d’Hélène, alors âgée de 16 ans. C’est lors d’une de ces sorties, le 12 avril 1888, que la comtesse présenta Mary à son cousin l’archiduc Rodolphe de Habsbourg, héritier du trône d’Autriche-Hongrie. En automne de la même année, la jeune Mary et le prince-héritier devinrent amants. Elle avait 17 ans et lui 31. Au matin du 30 janvier 1889, le couple était retrouvé mort dans le pavillon de chasse de Mayerling. Tués par balles, leur mort resta mystérieuse. Officiellement il s’agissait d’un double-suicide.
Pour éviter le scandale, les oncles de Mary, les frères Baltazzi, reçurent l’ordre d’évacuer le corps de leur nièce discrètement. Ils l’emmenèrent à l’abbaye d’Heiligenkreuz afin de l’enterrer immédiatement, sans témoin. Il fut interdit à Hélène d’assister à l’enterrement sur ordre impérial.Sous prétexte qu’il s’agissait d’un suicide, l’abbé s’opposa à un enterrement catholique à l’intérieur du cimetière et l’on ensevelit Mary à l’écart et sans cérémonie.La présence de Mary au pavillon de chasse s’ébruita tout de même. Puis, le 16 mai 1889, Hélène obtint l’autorisation d’ensevelir décemment sa fille à l’intérieur du cimetière de l’abbaye avec une cérémonie religieuse.
Les von Vetsera indésirables à la cour de Vienne
Après la mort de sa fille, Hélène était devenue « persona non grata » à la cour d’Autriche. Elle quitta Vienne quelque temps pour échapper aux menaces qui fusaient de toute part. Elle n’était pas la seule à subir une sorte de « quarantaine sociale ». Tous ceux qui avaient été mêlés de près ou de loin à la relation amoureuse et extraconjugale du prince-héritier, furent écartés de la cour. Les frères Baltazzi n’échappèrent pas à cet isolement mondain. Les noms de Vetsera et Baltazzi furent pour toujours liés au scandale de Mayerling.
Hélène resta seule dans son palais viennois. Il lui restait néanmoins sa fille Johanna et son fils Francis. Johanna épousa le comte Hendrik von Bylandt en 1897 à Londres. Elle mourut en couche en 1901.Francis, le seul survivant des enfants d’Hélène et Albin von Vetsera, épousa la comtesse Margit von Bissingen à Vienne en 1904. Ils eurent trois filles.En 1915, Francis von Vetsera, qui était un officier de l’armée austro-hongroise, se noya dans une rivière de Volhynie, sur le front russe.
Fin misérable de la baronne
La Première Guerre mondiale acheva de ruiner Hélène, qui fut obligée de vendre son dernier bien immobilier, le palais Vetsera à Vienne, qui servit un temps d’ambassade des Etats-Unis, puis du Japon, avant d’être démolit en 1916 pour élargir le boulevard. Elle loua un appartement au centre de Vienne où elle termina sa vie en 1925, seule, pauvre et oubliée de tous.La baronne Hélène von Vetsera-Baltazzi a été enterrée au cimetière du village de Payerbach en Basse-Autriche.
Tomaselli , Rinaldo. 25 vies extraordinaires. Kindle Edition.