Le court règne d’Arthur III, duc de Bretagne, face à la France et à l’Angleterre

Au XVe siècle, la Bretagne, duché fier de son identité et de son autonomie, se trouve à la croisée des ambitions rivales de la France et de l’Angleterre. Dans ce contexte troublé, l’avènement d’Arthur III en 1457 marque un épisode bref mais symboliquement fort. Ancien chef de guerre de Charles VII, cet homme de cour et de champ de bataille hérite d’un territoire jalousement indépendant, qu’il entend gouverner avec prudence et fermeté. À travers ses choix diplomatiques et ses prises de position, Arthur III incarne la tension constante entre fidélité au roi de France et volonté d’affirmation bretonne. Son court règne, bien qu’éphémère, soulève des enjeux essentiels : la nature de la suzeraineté, l’équilibre entre autonomie régionale et unité monarchique, et la gestion d’un pouvoir pris entre deux puissances concurrentes.

I. L’affirmation d’un pouvoir breton autonome

En 1457, Arthur III accède au duché de Bretagne après une longue carrière militaire au service de la couronne française. Compagnon d’armes du roi Charles VII, il a acquis une légitimité fondée autant sur ses compétences stratégiques que sur ses origines ducales. À son arrivée au pouvoir, il s’attache immédiatement à affirmer l’indépendance politique du duché face au pouvoir royal.

Contrairement à ses prédécesseurs, qui se contentaient de formules d’hommage volontairement floues — « en forme et manière comme mes prédécesseurs » —, Arthur choisit une approche plus explicite. Il refuse de rendre un hommage lige au roi de France, c’est-à-dire un serment de fidélité absolue. Cette décision, lourde de sens, marque sa volonté de conserver une marge de manœuvre diplomatique, notamment face à l’Angleterre.

Il accepte néanmoins de prêter hommage à Charles VII, mais seulement pour certains fiefs relevant directement de la couronne, comme Montfort et Neauphe. En déclarant publiquement : « je ne le fais point lige », Arthur III dessine une ligne claire entre soumission partielle et souveraineté bretonne. Par cette stratégie, il entend poser les bases d’un duché stable, autonome et respecté dans l’échiquier politique du royaume de France.

II. Une diplomatie tendue avec la monarchie française

La posture politique d’Arthur III ne tarde pas à être confrontée à des tensions concrètes. L’affaire du duc d’Alençon, son neveu, met à rude épreuve les relations entre la Bretagne et la couronne. En 1456, ce dernier tente de négocier avec les Anglais, leur proposant de livrer ses places fortes en Normandie. Mais le contexte instable du royaume d’Angleterre, secoué par la guerre des Deux-Roses, rend le duc d’York peu réceptif à ses propositions.

Face au refus de soutien du roi de France, Alençon sollicite l’aide de son oncle Arthur dans l’espoir de récupérer Fougères. Malgré l’échec de cette tentative, Arthur intervient personnellement auprès de Charles VII pour plaider la cause de son neveu, condamné à mort pour trahison. Grâce à son habileté diplomatique et à l’estime dont il jouit encore à la cour, il obtient la grâce du duc d’Alençon.

L’historien Roger Grand voit dans cette neutralité prudente une stratégie visant à maintenir la paix et la prospérité du duché. Toutefois, cette lecture, peut-être trop idéalisée, ne doit pas occulter le réalisme d’Arthur III, conscient des limites du pouvoir breton face à la puissance capétienne.

III. Une autonomie menacée par les tensions franco-anglaises

Malgré ces efforts diplomatiques, le duché breton reste exposé aux enjeux de la politique européenne. Si l’Angleterre est temporairement neutralisée par sa guerre civile entre les maisons de Lancastre et d’York, la France, quant à elle, veille avec inquiétude sur ses territoires fraîchement reconquis, notamment la Normandie et la Guyenne. Charles VII redoute que ces provinces, encore fragiles dans leur attachement à la couronne, ne se laissent influencer par une Bretagne trop indépendante.

La rupture de la trêve de Tours vient cristalliser ces tensions. Le conflit sur le statut juridique du duché relance la question de la suzeraineté et montre que la France n’est pas prête à tolérer indéfiniment l’autonomie d’un territoire frontalier. Dans cette lutte d’influence, Arthur III incarne une forme de résistance mesurée, mais la brièveté de son règne l’empêche d’inscrire son action dans la durée.

En effet, son gouvernement ne dure qu’une seule année, de 1457 à 1458. Ce laps de temps trop court ne lui permet ni de consolider ses positions ni d’orienter durablement le destin du duché. Toutefois, son règne, par son intensité politique et symbolique, demeure une parenthèse singulière dans l’histoire de la Bretagne du XVe siècle.

Conclusion

Si le règne d’Arthur III s’achève prématurément en 1458, son héritage n’en demeure pas moins significatif. En affirmant une fidélité mesurée à la couronne française, tout en refusant l’hommage lige, il poursuit la tradition d’une Bretagne soucieuse de sa souveraineté. Son intervention en faveur du duc d’Alençon, son refus des pressions royales, et sa vigilance face à une possible menace anglaise témoignent d’une intelligence politique rare. En définitive, Arthur III incarne une forme de neutralité stratégique, au service de la stabilité de son duché. Sa figure, aujourd’hui statufiée à Vannes et à Nantes, reste celle d’un médiateur entre deux royaumes, d’un homme à la fois enraciné dans son territoire et conscient des rapports de force européens. Son règne, bien que bref, fut le théâtre d’une ultime tentative de concilier puissance et indépendance dans une Bretagne bientôt rattrapée par les impératifs de l’unité monarchique.

D’après Jean Fouquet — Cette image provient de la bibliothèque en ligne Gallica, Domaine public.

Références historiques

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  • Bouchart, Grandes Chroniques de Bretagne, p. 378.
  • Jeulin, Étude sur les institutions féodales en Bretagne, pp. 450-454.
  • Roger Grand, « L’après-guerre en Bretagne au XVe siècle », M.S.H.A.B., 1921, pp. 9-35.
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  • Stevenson (éd.), Letters and Papers Illustrative of the Reigns of Richard III and Henry VII, 1863, pp. 342-343.
  • Allmand, The Hundred Years War: England and France at War, 1983, pp. 265-266.
  • M. de Bouard, « Normands et Anglais après la guerre de Cent Ans », Mélanges d’histoire normande, 1970.

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