Idéal national-républicain : quel coût pour la Catalogne ?

Auteur : Pierre Scordia

Dix ans après, je retourne en Catalogne, pays qui serait réprimé par le centralisme madrilène et écrasé sous le poids du rouleur compresseur espagnol ; or, lorsqu’on arrive à l’aéroport d’El Prat à Barcelone, toutes les enseignes privilégient le catalan, les messages destinés aux voyageurs sont annoncés d’abord, la langue de Cervantes étant reléguée au même statut que l’anglais, c’est-à-dire celui de langue étrangère. On devient vite sceptique quant à une prétendue répression politique et culturelle dans ce coin de la péninsule ibérique. 

Lorsqu’on se promène à Barcelone, l’ambiance est relaxe et gaie. Seul le catalan a pignon sur rue, ses drapeaux flottent partout que ce soit celui de la Generalitat de Catalunya, la région autonome (bandes horizontales rouges et jaunes) ou celui de la république envisagée :  les mêmes bandes et l’étoile blanche sur fond bleu en plus. Quelques drapeaux espagnols sont encore hissés. Sur les édifices gouvernementaux de la Generalitat, on peut lire sur de grandes banderoles déroulées le message suivant : libérez nos prisonniers politiques. Je suis allé dans des pays où la répression existe, en Turquie ou à l’Est de l’Ukraine et je n’ai pas souvenir d’une telle liberté d’expression sur les édifices gouvernementaux. Les quelques leaders indépendantistes qui sont sous les verrous aujourd’hui l’ont été sur ordre d’une justice totalement indépendante et non sur ordre du pouvoir.

Un référendum souhaitable

Néanmoins, beaucoup pensent avec raison qu’une sortie de crise devrait être d’ordre politique et non judiciaire, car pour le moment on assiste à un dialogue de sourds, même si la venue au pouvoir du socialiste Pedro Sanchez a atténué les tensions. Deux couples catalans quingénaires de Barcelone parlant castillan entre eux  - mais s’exprimant toujours en catalan avec leurs enfants - m’ont assuré que les partisans de l’indépendance ne représentaient pas la majorité dans la population, il serait souhaitable que l’Espagne devienne pragmatique et accepte l’idée qu’on organise un référendum légal à l’instar de ceux qui ont eu lieu au Québec et en Écosse afin que la question soit tranchée une fois pour toutes car, depuis 2014, cette affaire pompe toute l’énergie du pays. Les Espagnols sont excédés par le sécessionnisme catalan qui accapare tous les débats à l’heure où le pays est menacé par le terrorisme islamique et la crise migratoire.

Coûts économiques

« Ils ne nous aiment plus et ils commencent à boycotter nos produits » me déclare une des deux femmes parlant des « Espagnols ». Le prix à payer pour le rêve indépendantiste est trop élevé selon elle, même si elle cultive au fond d’elle ce romantisme de voir un jour la Catalogne indépendante. En effet, les conséquences économiques sont considérables. Avec la déclaration d’indépendance en octobre 2017, ce sont 4057 compagnies qui ont quitté cette région séparatiste, soit 20% du PIB catalan. Depuis que Quim Torra, le nouvel ultra-indépendantiste a été nommé au poste de président de la Généralité par l’assemblée législative cette année, ce sont plus de 100 entreprises qui ont annoncé leur départ. Le journal El Mundo parle de véritable débandade. Par comparaison, ce sont 243 entreprises québécoises qui ont quitté Montréal entre janvier 1977 et novembre 1978 après l’accession au pouvoir des indépendantistes québécois en novembre 1976.

Un soutien français ?

Par ailleurs, une Catalogne indépendante prend le risque de se voir expulsée de l’Union européenne, même si certains espèrent obtenir à moyen terme le soutien de la France, pays influent dont ils se sentent proches culturellement. J’ai dû leur rappeler que la France ne laissait aucune place aux identités régionales et que la Catalogne pouvait s’estimer heureuse d’être dans une Espagne tolérante envers le pluriculturalisme. On ne fait pas l’histoire avec des « si » mais si la Catalogne s’était réunie à une France républicaine et jacobine, elle se serait probablement retrouvée amputée de Barcelone ou même aurait vu une partie de son territoire annexée à une entité administrative créée de toute pièce comme par exemple les Français l’ont fait avec l’invention de la région des Pays de la Loire pour priver la Bretagne de son moteur économique nantais. Quant à la langue catalane, elle n’aurait pas eu l’importance qu’elle a aujourd’hui.

Le seul intérêt qu’aurait la France serait l’imposition de l’apprentissage du français dans les écoles d’une Catalogne ayant rejoint la Francophonie.

Dangers du nationalisme

Quoi qu’il en soit, on peut comprendre la fierté que les Catalans tirent de leur culture et de leur entreprenariat ; Leurs très belles villes et leurs artistes leur assurent une renommée internationale. Mais leur nationalisme aujourd’hui flirte avec de nombreux courants extrémistes (surtout de gauche radicale). Un couple d’amis franco-britannique installé à Barcelone depuis une vingtaine d’années pense déménager à Valence car ils déplorent l’étroitesse d’esprit et le manque de dialogue. « Quand on parle d’immigrants en Catalogne, on parle des Andalous et des Galiciens qui sont venus s’installer ici, comme si la crise des migrants africains ne les concernait pas », me dit Isabelle qui enseigne le français : « Mon fils subit un lavage de cerveau à l’école publique du quartier. En géographie et en histoire, on ne leur enseigne que la Catalogne, rien de l’Espagne. Les cours en espagnol ne commencent qu’à l’âge de 6 ans mais avec très peu d'heures, alors que l'enseignement de l'anglais débute à l'âge de 3 ans ». « Aujourd’hui, j’ai même peur d’afficher mon attachement à l’unité espagnole car je risque de me mettre à dos de nombreuses connaissances dans cette ville. La situation ne peut que se dégrader. Ceux qui gèrent l’éducation contrôlent l’avenir ».

Il est essentiel pour qu’un pays fonctionne et prospère à long terme qu’il respecte l’identité de ses différentes composantes historiques mais il serait dommage d’avoir recours au sécessionnisme dès que survient une crise économique ou financière, la solidarité n’étant plus une valeur. Néanmoins, dans un contexte européen, il est devenu quasi-impossible de se séparer sans l’aval de l’Union européenne. Bruxelles détient la clef de la prospérité économique que ce soit pour la Catalogne ou l’Écosse ; même le Royaume-Uni en est dépendant. Quand les Catalans vous disent qu’ils ne veulent plus payer pour le reste de l’Espagne, il se peut qu’un jour ils se retrouvent dans la situation de l’arroseur arrosé.

FORMIdea Nantes, le 7 septembre 2018. Publié aussi dans le HuffPost Québec.

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