Deux Proto-féministes du Siècle d'Or espagnol :

María de Zayas et Ana Caro de Mallén

Claudio Sales Palmero

María de Zayas et Ana Caro de Mallén, deux auteures du Siècle d'Or espagnol se distinguent de leurs contemporaines par leurs personnages féminins très émancipés.

María de Zayas

María de Zayas (Madrid 1590 - ?)

Maria de Zayas naquit à Madrid dans une famille de petite noblesse, son père était capitaine au service du duc de Lemos, nommé vice-roi de Naples, ce qui entraîna des déplacements permanents de la famille. Elle vécut à Naples, à Madrid et probablement à Séville et à Barcelone. On en sait très peu sur sa vie personnelle, mais elle nous a laissé un travail abondant de courts romans qui ont eu beaucoup de succès. On sait également qu'ils ont été traduits en français.

Ses romans bien que picaresques concernent la haute société de son temps. Ses personnages s'abandonnent librement à leurs passions et, même si les récits ont un dénouement moralisateur, comme le prescrivaient les canons de l’Église, elle met en valeur la manière dont ses personnages vivent leurs passions. Elle a évité les abus rhétoriques du style baroque, ses récits sont pleins d’une vivacité et d’une fraîcheur à forte connotation  érotique à la manière du Décaméron de Boccace. Ses dames se comportent avec une désinvolture inhabituelle, une s’est entichée d'un cavalier qu’elle voit de son balcon et le poursuit par la suite, une autre cache son amant noir jusqu'à ce que ses pulsions soient rassasiées. Curieusement, ses œuvres échappèrent à la censure de l'Inquisition au XVIIe siècle mais ce redoutable tribunal interdit sa réédition au XVIIIe.

Au XIXe siècle, Emilia Pardo Bazán redécouvre les oeuvres de Maria de Zayas et souligne les qualités féministes de leurs personnages. Pour le prouver rien de mieux que de les laisser parler :

“Pues no hay duda que si no se dieran tanto a la compostura, afeminándose más que naturaleza las afeminó, y como en lugar de aplicarse a jugar las armas y a estudiar las ciencias, estudian en criar el cabello y matizar el rostro, ya pudiera ser que pasaran en todo a los hombres” 

« Il ne fait aucun doute que si les femmes ne se donnaient pas autant à la mesure, en s’efféminant plus que la nature le leur a accordé et qu’elles s’appliquaient à l’emploi des armes et étudiaient les sciences au lieu d’étudier à arranger leur coiffure et à embellir leur visage, elles surpasseraient alors en tout les hommes ».

“En la era que corre estamos con tan adversa opinión con los hombres, que ni con el sufrimiento los vencemos ni con la conciencia los obligamos. (...) ¿Por qué, vanos legisladores del mundo, atáis nuestras manos para la venganza, imposibilitando nuestras fuerzas con vuestras falsas opiniones, pues nos negáis letras y armas? ¿Nuestra alma no es la misma que la de los hombres? (...) Por tenernos sujetas desde que nacimos, vais enflaqueciendo nuestras fuerzas con temores de la honra, y el entendimiento con el recato de la vergüenza, dándonos por espadas ruecas, y por libros almohadillas”

« Dans les temps où nous sommes, nous avons un tel désaccord avec les hommes, que nos souffrances ne les touchent pas, et nous ne parvenons pas non plus à émouvoir leur conscience. (...) Pourquoi, vains législateurs du monde, vous nous liez les mains pour vengeance, rendant nos forces impossibles avec vos fausses idées, nous refusant éducation et armes ? Notre âme n'est-elle pas égale à celle des hommes ? (...) Pour nous avoir mis dans un état de soumission depuis notre naissance, vous affaiblissez nos forces avec des craintes sur notre réputation, nos pensées avec la peur de la honte, vous nous donnez des rouets à la place d’épées et des tambours (pour broder) au lieu de livres. »

Ana Caro de Mallén

Ana Caro de Mallén (Grenade ou Séville 1590 - Séville 1646)

On sait peu de choses sur les origines d’Ana Caro de Mallén, Il est possible qu'elle naquît esclave ou qu'elle connût très jeune cet état, mais elle fut adoptée par Gabriel Caro de Mallén et Ana María de Torres. Ses parents biologiques étaient sans doute mauresques. 

Qu’elle ait connu la reconnaissance et la gloire dans le milieu très compétitif des poètes et des dramaturges du baroque espagnol a été un exploit.

Elle reçut la protection du comte-duc d’Olivares, favori de Philippe III et celle du conseil municipal de Séville. Elle obtint des commissions pour écrire des « relaciones » : de longs poèmes qui seront édités pour être vulgarisés, poèmes qui célébraient certains événements importants ou voulus tels par le pouvoir en place. Elle était également l'auteure d’autos sacrementales (pièces à caractère religieux), de pièces de théâtre, de comédies d'intrigues où elle détaillait la mise en scène et les «effets spéciaux» qui devaient accompagner l'œuvre.

Il est à noter que ses personnages féminins, comme ceux de Maria de Zayas, réagissent vivement contre les injustices dont elles sont victimes en raison de leurs relations avec les hommes. Elle était une amie de Maria de Zayas et elles vécurent même ensemble pendant une période à Madrid.

Elle mourut en 1646 lors d'une épidémie de peste à Séville où fut érigé un tombeau grandiose en sa mémoire.

FORMIdea Nantes, le 11 septembre 2018 - Texte traduit de l'espagnol par Pierre Scordia.

Notre série : Des Espagnoles d'exception

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