Les Macédoniens

Auteur : Rinaldo Tomaselli

Sous l’Empire ottoman

Makedonyalıler

La Macédoine a été longtemps l’une des principales régions de l’Empire ottoman et sa capitale, Salonique (Selanico, Selanik, Salun, Saruna, Thessaloniki), l’une des trois villes qui composaient le cœur de l’Etat, avec Istanbul et Izmir, formant le triangle prospère tant convoité par les puissances européennes et par les nationalistes des petits pays voisins.

La région était divisée en trois provinces (vilayets) : Üsküp / Pristina, Monastır / Bitola et Salonique. Elles étaient comprises dans la Roumélie, qui elle-même s’étendait de l’Adriatique à la mer Noire et de la Bosnie aux Dardanelles. Une multitude de peuples occupaient cette immense région, mais ce sont les Slaves qui dominaient numériquement (Serbes, Bulgares et Slaves musulmans). L’élément albanais était surtout concentré à l’Ouest et au Nord, les Aroumains en Epire et en Macédoine, les Grecs le long des côtes de Macédoine, de Thrace et dans les Dardanelles, tandis que les Turcs formaient des îlots majoritaires en Roumélie orientale, en Bulgarie du Nord, en Thrace occidentale et en Macédoine. S’ajoutaient encore des populations juives dans les villes, notamment à Salonique, Edirne, Ohrida, Castoria, Ichtipol, Yambol et Çanakkale, et des populations nomades comme les Tziganes ou les Yeuruks, musulmans ou non. Enfin, dans les régions de Shköder (Scutari), les montagnes du Pinde et des Rhodopes, se trouvaient également des groupes isolés, tels que des Egypto-balkaniques, des Valaques ou des Pomaques.

Les origines de la population macédonienne sous les Ottomans

Il n’est pas aisé d’estimer les différents groupes ethniques de Macédoine pendant la période ottomane. Toutes les statistiques émises par les communautés présentes ou même par les Européens de l’Ouest, sont immanquablement partiales et tentent toujours à prouver une majorité quelconque à des fins séparatistes ou annexionnistes.

Les premiers recensements ottomans ne visaient pas à dégager une majorité spécifique, mais ils sont biaisés par l’appartenance religieuse des Macédoniens. En effet, la « nationalité » était uniquement basée sur la religion, écartant d’office la distinction ethnique. Ainsi, en 1478, il ressort que Salonique possède une population de 4 320 musulmans et 6 094 Grecs orthodoxes (Roums / Rumlar). Il est évident que pour ces derniers, il s’agit de membres de l’Eglise de Constantinople et non d’hellénophones. En 1519, il ressort que la même ville compte 8 575 musulmans, 7 986 Grecs et 15 715 Juifs. Pour les musulmans, il s’agit très certainement d’Albanais et de Slaves musulmans, pour leur majorité. Tandis que pour les Grecs (Rumlar), il s’agit surtout de Bulgares et dans une moindre mesure, de Serbes, d’Aroumains et de Grecs. La spectaculaire progression de la population juive est due à l’arrivée des réfugiés d’Espagne à la fin du XVe siècle. Salonique restera une ville majoritairement juive jusqu'à l’annexion grecque de 1913 et leur départ, plus ou moins forcé, à partir de cette date.

Pendant l’antiquité

Pendant l’Antiquité, les Grecs eurent une influence sur la Macédoine, qui était essentiellement peuplée d’Illyriens et de Thraces, mais l’hellénisation n’y pénétra jamais complètement. Les Anciens grecs voyaient les tribus de Macédoine, d’Epire et de Thrace, comme des barbares. Leur colonisation se borna le long des côtes, y compris dans les Dardanelles et sur la mer Noire. L’hellénisation de la Thrace s’opéra plus tard, à l’époque byzantine, mais jamais de façon complète avant d’être slavisée par les Bulgares.

En Epire, les Illyriens résistèrent longtemps à l’hellénisation. Les Tosques et leurs voisins du Nord, les Guègues, sont leurs descendants et forment les principales branches de la nation albanaise. Toutefois, dans les régions sous domination grecque, la langue albanaise a pratiquement disparu de nos jours.

La ligne de partage entre les tribus thraces et illyriennes se trouvait dans le sud de la Macédoine, où s’élevait la capitale du puissant royaume, Pella. C’est sûrement dans cette région que la langue grecque a été des plus influentes dans l’Antiquité.

Le Royaume de Macédoine

Le royaume de Macédoine fut fondé au VIIe siècle avant J.C., mais les tribus macédoniennes du Nord restèrent longtemps indépendantes. Alexandre Ier (498-454) parvint à étendre sa domination au Nord, puis sur une partie de la Thrace et une partie de l’Illyrie. En s’alliant aux Perses, il s’empara également des colonies grecques de Chalcidique. Sous Philippe II (359-336), la Macédoine s’agrandit considérablement en occupant une grande partie de l’Illyrie et la Thessalie, tout en s’alliant à l’Epire et en attaquant régulièrement le royaume de Thrace. Mais c’est sous Alexandre III le Grand (336-323) que la Macédoine parvint à édifier l’un des plus vastes empires de l’Antiquité, couvrant les territoires du sud des Balkans jusqu'à l’Indus. Alexandre commence son règne en soumettant les Grecs et en s’alliant aux Epirotes et aux Spartes. Deux ans après son avènement, il attaque les Perses qui occupent la Thrace. En moins de 13 ans, il parvient à prendre tout l’Empire perse, ne s’arrêtant qu’aux portes de l’Inde.

L’Empire d’Alexandre ne survivra pas à sa mort, et sera partagé entre ses généraux. La Macédoine sera incorporée à l’Empire romain en 168 avant J.C., et divisée en deux provinces. La conquête romaine laissera une empreinte culturelle importante dans les Balkans et les peuples subiront une progressive latinisation, sauf à l’extrême sud de la péninsule où la langue grecque restera prédominante (Achaïe, Thessalie, Dardanelles et les côtes de la Thrace).

La ligne de partage des influences latine et grecque différait de la séparation entre les empires romains d’Orient et d’Occident. Si cette dernière est longitudinale (Pannonie, Dalmatie), l’autre était horizontale, et courait de l’Adriatique à la mer Noire.

Foyers latins et pénétration slave

On retient généralement la ligne Jirecek (Dyrachium - Odessus), comme la plus plausible séparation des zones d'influences, cependant on sait également qu'il y avait des colonies latines bien plus au sud, notamment dans les provinces romaines d'Europa (Turquie actuelle), des Rhodopes et de Thessalie (Grèce actuelle). Il serait donc illusoire de tenir une ligne parfaite entre l'Adriatique et la mer Noire, alors que les deux cultures sont représentées des deux côtés de cette ligne. Quoi qu'il en soit, de nos jours les Aroumains (Valaques), les Moldaves et les Roumains, présents dans toute la région, sont les seuls à avoir gardé des bases latines dans leur langue respective.

La pénétration slave dans les Balkans débute au commencement du VIe siècle. Progressivement, l'Empire romain d'Orient perd ses possessions européennes au profit de petits royaumes, dont certains se montrent menaçants, à l'instar des Bulgares qui occupent la plus grande partie de la Thrace et de la Macédoine. Entre 976 et 1018, ceux-ci érigent un royaume en Macédoine dont la capitale est Ohrid.

 

Au XIIIe siècle, les Serbes occupent la Macédoine et les régions avoisinantes. Les Ottomans les repoussent vers le Nord et occupent à leur tour la Macédoine en 1389, qui restera ottomane jusqu'en 1913.

Sous les Ottomans, les Macédoniens sont considérés comme bulgares

Lors de la période ottomane, d'autres populations virent s'ajouter à celles déjà présentes, notamment des Turcs et des Juifs d'Espagne. Les Slaves de Macédoine étaient considérés comme bulgares par les autorités ottomanes. Lorsque fut créé l'exarchat bulgare en 1860, la plupart des Slaves de Macédoine s'y rattachèrent. Ceux restés fidèles au patriarcat de Constantinople furent considérés comme Grecs (Roums).

Après la guerre russo-ottomane de 1877-78 et le traité de Berlin qui s'ensuivit, la Macédoine reste ottomane, tandis que la Thessalie était attribuée à la Grèce. Mais la situation devint de plus en plus tendue et plusieurs organisations séparatistes vont devenir actives, qu'elles soient grecques, bulgares, serbes ou valaques.

La rédition ottomane à Thessalonique en 1913.

 

Aujourd’hui

À la fin de la Première Guerre mondiale, la partie nord de la Macédoine, peuplée en majorité de population slave et albanaise est annexée au Royaume des Serbes, des Slovènes et des Croates (future Yougoslavie), tandis que la partie sud, de population héllénique, a été rattachée quelques années plutôt à la Grèce. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la partie nord devient l'une des six républiques constituant la Fédération yougoslave, connue sous le nom de République yougoslave de Macédoine dont la capitale est Skopje. Lors de l'éclatement de la Yougoslavie en 1991, les Macédoniens déclarent leur indépendance en choisissant d'appeler leur pays "Macédoine", ce qui entraîne de vives protestations du gouvernement grec qui, en représailles, bloque tout rapprochement entre cette nouvelle nation et les institutions européennes et l'OTAN de peur qu'elle n'ait des visées irrédentistes et qu'elle ne s'approprie le patrimoine culturel macédonien héllénique. En 2019, un compromis est trouvé avec Athènes : l'ancienne république yougoslave de Macédoine devient désormais la Macédoine du Nord même si de nombreux Grecs restent hostiles à cet accord. Par ailleurs, un certain nombre de Bulgares refusent de reconnaître les Macédoniens d'origine slave comme un peuple distinct qu'ils considèrent bulgare. Enfin, le gouvernement de Skopje a pour ultime défi de créer une sentiment d'appartenance nationale commun entre les Slaves de tradition orthodoxe et les Albanais plutôt de confession musulmane ; l'Islam représentant plus de 30% de la population du pays.

Texte de Rinaldo Tomaselli. Avec nos remerciements à Marina Rota.

La dernière partie intitulée "Aujourd'hui" a été ajoutée par Pierre Scordia. 

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