Une journée à Auschwitz-Birkenau

Auteur : Gil Cohen-Alloro

Je suis tombé par hasard sur le texte de Gil Cohen-Alloro sur Auschwitz-Birkenau et ai décidé de le traduire en français car quatre ans après la rédaction de ce papier, les graves questions qui y sont soulevées me semblent hélas toujours pertinentes. A l’heure où la junte birmane massacre son peuple et où ses forces de l’ordre font preuve d’une grande cruauté, allant jusqu’à brûler vif un manifestant, la communauté internationale est devenue impuissante devant les vetos chinois et russe, refus justifiés par la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État. Il semblerait que nous n’ayons rien appris de l’histoire. La soif du pouvoir des uns et la recherche du profit des autres priment sur les principes fondamentaux des droits de la personne. En 2021, le monde connaît toujours le totalitarisme, la théocratie et de nombreux crimes contre l’humanité dont certains sont proche du génocide. L’antisémitisme revient au galop notamment en Europe et pas seulement chez l’extrême-droite allemande ou hongroise. On le trouve désormais bien ancré chez les populations d’origine maghrébine, voire africaine en général. Pierre Scordia - le 24 avril 2021.

L’ARRIVÉE À AUSCHWITZ

Nous sommes aux portes du tristement célèbre camp de la mort d’Auschwitz. Après quelques jours maussades de grisaille à Cracovie, le temps devient étonnement beau et lumineux. L’endroit est calme, les arbres se balancent légèrement sous la brise et les bâtiments de briques rouges donnent presque l’illusion d’une esthétique harmonieuse.

Il y fait un temps glacial et ce froid vous saisit le visage. Je me suis vêtu de quatre couches de vêtements, d’une écharpe, d’un chapeau, de gants et de sous-vêtements longs. Comment résister à ce plein hiver habillé d’un seul pyjama à rayures ?

Beaucoup de gens sont déjà là, alignés ; on nous sépare en groupes. La sécurité est stricte, seuls de petits sacs à main d’un format A4 tout au plus sont autorisés car des visiteurs un peu trop collectionneurs seraient repartis avec quelques objets du musée. Il est étrange qu’un camp de la mort soit devenu une telle attraction touristique. J’en déduis que pour beaucoup, il s’agit d’un lieu important à visiter afin d’être témoin de l’horreur et de se la rappeler. J’essaie comme un bon nombre - je suppose - de m’imaginer dans ce monde. Comment aurais-je fait pour survivre ?

Je ne me sens pas d’humeur à parler et j’espère que mon ami anglais qui m’accompagne ne me tiendra pas rigueur d’être un peu en retrait.

Je vais vite aux toilettes : 1 zloty. Heureusement qu’il me reste des pièces. Pourquoi ne peuvent-ils pas ajouter quelques zlotys au prix d’entrée et nous laisser utiliser gratuitement les WC (et garder la monnaie) ? On nous demande gentiment de mettre nos téléphones portables sous le mode silence, rappel que je trouve judicieux. On donne ensuite des écouteurs et une radio qui nous permettent d’entendre notre guide, une Polonaise à la voix apaisante, comme celle d’un ronronnement.

LA VISITE DU MUSÉE

Nous traversons les différents blocs de l’enceinte de manière ordonnée. La dame à la voix apaisante fait quelques commentaires intéressants : « ici, ils dormaient par terre ; ici, on les torturait ; ici, on les fusillait ; ici, les prisonniers nettoyaient les excréments – une des meilleures corvées au camp apparemment. Là, le groupe de musiciens jouaient de joyeux airs de musique allemande le matin ; là, les 19 heures d’attentes dans le froid ; là-bas, les pendaisons, les expériences médicales, les tentatives de fuite, les 20 minutes agonisantes qu’il fallait pour mourir par le gaz Zyklon B, les visages sur les photos d’identité qui vous hantent, les milliers de déportés qui arrivent chaque jour, le numéro tatoué sur le bras, l’extraordinaire efficacité.

Des milliers de chaussures, de brosses, de lunettes… quantité de cheveux. Des tas et des tas. Et le tissu fait de cheveux. Les nazis étaient dans l’esprit du recyclage bien avant que cela devienne la mode. Nous traversons l’enceinte, nous écoutons les explications, nous lisons les commentaires, prenons des photos. Je souhaite juste que la guide parle un peu moins et laisse le silence des murs et le murmure de ceux et celles qui y ont péri.

BIRKENAU : L’INDUSTRIE GÉNOCIDAIRE

Là, l’espérance de vie moyenne était de trois mois. En hiver, la plupart mouraient au bout de quelques semaines. L’immensité du camp est stupéfiante. Si je pensais qu’Auschwitz 1 était vaste, Birkenau, alias Auschwitz 2, était 20 fois plus grand. C’est là que la stratégie d’extermination a été véritablement perfectionnée.

Le train arrive facilement directement dans le camp, on décharge, la sélection est faite rapidement pour ne retenir que les plus forts, une douche « rapide » et le départ pour le crematorium…

Wikipedia

Les nazis étaient si compétents en la matière que vers la fin, 80% des milliers d’arrivants – celles et ceux qui ont survécu au long voyage dans des wagons à bestiaux, debout sans nourriture et sans eau – ont été gazés et incinérés en l’espace de quelques heures après l’arrivée de leur convoi.

Nous sommes sur le point de partir, je dois passer aux toilettes. Un zloty. Heureusement que j’ai des pièces.

Je ne suis pas totalement sûr de ce que j’attendais de ma visite à Auschwitz. Étant israélien, j’ai été accoutumé très tôt aux images horribles de l’holocauste. Dès notre plus jeune âge, nous étudions cette période de l’histoire à l’école, nous regardons des films, nous assistons aux commémorations, nous visitons les musées et écoutons les témoignages des survivants. Il n’y avait rien de nouveau dans le contenu de cette visite. Ce n’était pas l’expérience bouleversante à laquelle on pouvait s’attendre. Et pourtant, le fait d’y être allé m’a bouleversé plus que j’aimerais l’admettre. Je me suis senti quelque peu déprimé et arraché au monde pour le reste de la journée.

Voir de ses propres yeux le lieu où s’est perpétré le plus grand crime contre l’humanité, ce comble de la barbarie, suscite en moi une grande affliction ; en tant qu’être humain, a fortiori de descendance juive.

RÉFLEXIONS

Que doit-on faire de toutes ces informations ? Comment devraient-elles éclairer nos choix d’aujourd’hui ? Sachant ce dont les êtres sont capables, comment devons-nous réagir quand une idéologie meurtrière s’associe à une méthode efficace ? Comment pouvons-nous nous protéger ? Comment devons-nous vivre notre vie lorsque notre capacité individuelle d’avoir un impact sur la réalité est si faible ?

Nous sommes sur le chemin de retour vers Cracovie. Notre charmant jeune chauffeur met de la musique disco dont Bonnie M et Michael Jackson. Essaie-t-il de nous égayer ou de nous remonter le moral ? Je m’abstiens de faire tout commentaire durant le trajet mais lui fais remarquer à notre arrivée que certains d’entre nous étaient en train de mesurer toute la portée de ce qu’ils venaient de voir et que la musique pop était sans doute inopportune. Le conducteur semble perplexe.

Traduit de l’anglais par Pierre Scordia. Version originale en anglais 

©Gil Cohen-Alloro

Follow Us

Facebooktwitterlinkedinrssyoutubeinstagram

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Qui sont les Gagaouzes ?

April 18, 2021

La sabiduría del pulpo

April 25, 2021